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Samer Issawi écrit depuis la prison : « Ma famille vit l’enfer »

vendredi 18 janvier 2013 - 15h:49

Shahd Abusalama

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Le stress nous pousse à développer certains tics. Comme je vis dans la Bande de Gaza où le stress fait partie du quotidien, je m’acharne contre mes doigts...

Il est vrai que j’’ai plusieurs fois essayé de me débarrasser de cette mauvaise habitude mais en vain ; dès que je commence à stresser, je les mords. A présent, j’ai l’index enflé et j’avoue que ça fait très mal, surtout quand il fait froid. Ce matin, la douleur a dépassé les normes du supportable au point où j’ai pleuré, mais j’ai vite fini par essuyer mes larmes. En effet, comment pleurer d’une petite douleur au doigt alors que quelque part, dans une des prisons israéliennes, notre héros Samer Issawi est en ce moment même en train de souffrir de douleurs tellement atroces que le cerveau humain ne peut imaginer.

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Portrait de Samer Issawi dressé par Shahd Abusalama

Samer Issawi souffre certes, mais il est le symbole d’une lutte soutenue pour la justice et nous en sommes fiers. Son corps a brisé les limites de la faim et la faim a brisé le silence pour mettre enfin à nu et combattre l’injustice et l’oppression d’Israël.

Je pense sans cesse à lui. Samer Issawi a vraiment marqué et hanté mon esprit tandis que la nature se déchaîne dehors où pluies torrentielles et vents violents persistent. Tout en observant les quelques personnes qui marchent dans la rue, et les quelques voitures qui circulent encore, j’ai pensé à ma propre grève de la faim entamée lundi dernier. Un « jeûne » de 24 heures seulement, au terme desquels je me suis retrouvée avec une mal de tête insupportable qui m’a empêché de me concentrer sur mes révisions pour les examens finaux. Toutes ces scènes m’ont réorientée vers le cas de Samer. Je ne pouvais que lui témoigner de mon profond respect et de ma grande admiration, tout en m’inclinant devant sa capacité et volonté choquante à refuser la nourriture pendant plus de 168 jours. Un tel courage mérite une attention particulière, c’est pourquoi, j’ai mis mes révisions de côté et j’ai commencé par dresser son portrait.

Oui, mais comment ? Il n’y a pas plus douloureux que d’essayer de l’imaginer à cet instant même, d’essayer d’imaginer à quel point il souffre de l’oppression constante d’Israël, de la négligence médicale, de la douleur, de la faim et du froid. Je dis cela car j’essaie de me mettre à sa place ; je suis dans mon lit, bien au chaud et c’est à peine si peux me lever pour aller dans la salle de bain. Réfugiée sous trois couvertures, je suis en train de réviser et de pitonner sur mon ordinateur avec des doigts qui tremblent. Qu’en est-il pour Samer ? Ce froid ne doit pas être clément avec lui. Chez moi, ma mère est aux petits soins ; il lui arrive de m’apporter le manger jusqu’à mon lit afin que mes révisions ne soient pas interrompues, ni la chaleur dans laquelle je me suis blottie d’ailleurs. Pendant ce temps, Samer souffre tout seul. Ceux qui l’entourent ne sont pas là pour soulager ses souffrances et ses douleurs, bien au contraire. Samer n’a personne pour le réconforter, il est entouré de ceux qui le harcèlent constamment.

Toutefois, alors que je suis dans mon lit douillet, je me rends compte que j’ai perdu le contrôle de mes pensées : elles sont partagées entre mes livres et Samer Issawi. Cette confusion n’a pas trop duré puisque je n’ai pas pu m’empêcher de m’envoler jusqu’à Samer qui doit maintenant se trouver en isolement cellulaire, dans l’une des cellules glaciales, sales et étroites que comporte l’hôpital de la prison de Ramleh.

Enchaîné

Samer peut à peine se tenir debout sur ses jambes et se tourne difficilement dans son borsh, un lit métallique contenant un matelas très fin et pas commode, d’ailleurs, mon père et des amis qui sont déjà passés par les prisons israéliennes se plaignent souvent des douleurs au dos causées par ces lits et leurs matelas.

La souffrance s’intensifie en hiver où les services pénitentiaires israéliens utilisent les pratiques les plus brutales qui soient pour persécuter nos prisonniers. Ces derniers sont privés du minimum requis en hiver, à savoir des couvertures épaisses et des vêtements chauds, voire même de l’eau chaude. Et c’est pour ces raisons que Shireen, la sœur de Samer s’inquiète davantage pour l’état de santé de son frère.

En effet, Jérusalem a sorti son manteau blanc d’hiver qui amène Shireen à penser : « D’habitude, lorsque les premiers flocons de neige font leur apparition, je suis tout particulièrement joyeuse. Mais cette fois, je suis indifférente devant ce décor où les couches de neige ont couvert toute la ville. Si quelqu’un souffre d’une blessure, aussi banale soit elle, le froid la rend insupportable. Que dire alors de la situation de Samer qui est à son 168ème jour de grève de la faim, sans couvertures et sans vêtements épais. Imaginons un instant son état après avoir été sauvagement attaqué par des soldats israéliens barbares, le laissant avec des fractures au niveau de la cage thoracique. Ce sont des douleurs insupportables qu’aucune personne ne peut endurer. Pourtant, Samer vit avec ces douleurs et souffre le martyre chaque jour, à chaque instant. »

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Samer Issawi, en grève de la faim depuis plus de 168 jours

Oui, Samer est enchaîné par les mains et par les pieds et attaché à son lit ou à son fauteuil roulant. En d’autres termes, on ne lui a rien laissé pour se défendre. Malgré cela, les soldats israéliens restent très acharnés contre lui et ne manquent pas une occasion pour le tabasser. En vérité, Israël emploie tous les moyens inhumains et sauvages pour l’obliger à mettre fin à sa grève. Et ce n’est pas tout. Il convient de souligner que Samer n’est pas le seul à payer par ces actes de barbarie ; il y a sa famille, les gens dans le village Issawiyeh et même les tentes de solidarité plantées pour lui apporter le soutien dont il a besoin.

Des bulldozers israéliens ont récemment démoli la maison en construction du frère de Samer, ne laissant que des décombres. Cette agression n’a pas été à la hauteur de la ténacité du frère de Samer qui a fait part de son soulagement car après tout, son sort est meilleur que celui de beaucoup de Palestiniens qui n’ont pas le temps de quitter leurs maisons et finissent par être enterrés vivants.

Sadiques

De plus, les forces israéliennes, sadiques au point d’en éprouver un grand plaisir, continuent d’accabler tout ce que le cœur d’une mère chérit le plus : ses enfants. Les israéliens ont à maintes reprises arrêté son fils Fares et sa fille Shireen. Ils les ont plusieurs fois convoqués pour des centres d’investigation, leur tort étant d’avoir fait parvenir à la conscience humaine la voix étouffée de Samer aspirant à briser les murs racistes.

Plusieurs fois, peu importe s’il est minuit ou si c’est l’après-midi, la maison de la famille de Samer a été prise d’assaut. Israël a même fait plus, il a coupé l’alimentation en eau de la maison familiale. En fait, les forces israéliennes se réjouissent de torturer la famille de Samer nuit et jour, comme si l’emprisonnement et l’agonie de leur fils ne suffisait pas !

D’autre part, Samer reste au fait de tout ce qui touche sa famille par le biais de son avocat. Dans un message transmis par son avocat, Samer a puissamment commenté les récentes pratiques inhumaines israéliennes contre sa famille. Il déclare à ce sujet : « Avec toute la pression exercée sans vergogne aussi bien sur ma famille que sur moi, Israël vise à me forcer à en finir avec ma grève de la faim. Les dernières agressions reflètent leur sentiment de défaite traduit par la soif de me punir et de punir ma famille, comme si ma détention et ma vie en danger ne suffisaient pas. »

Par ailleurs, Samer s’indigne : « Après une mise en scène sans scrupule où Israël a bien évidemment joué le rôle de la victime, on m’attribuant le rôle de l’agresseur pendant que ma famille et moi étions agressés et ouvertement attaqués, il y a un mois de cela au sein du tribunal raciste israélien et ce, malgré mon état de santé critique, les forces israéliennes se sont précipitées pour démolir la maison de mon frère. Pourquoi maintenant ? » S’interroge-t-il.

Il explique : « A travers cette démolition, Israël a voulu me passer un message, une menace. J’avais planifié de me marier dans cette maison et de fonder mon propre foyer lorsque, dans le cadre de l’accord d’échange des prisonniers [Accord Shalit], j’ai été libéré des prisons israéliennes au terme de 10 années de détention. De plus, en réaction à l’échec des services de renseignements israéliens à tromper et à duper l’opinion publique autour des véritables raisons de ma nouvelle arrestation, on s’en est pris à ma famille en lui coupant l’approvisionnement en eau sans se soucier de leurs souffrances. Ce fut donc une autre menace dont l’objectif était de faire pression sur ma volonté pour m’amener à baisser les bras et à abandonner mon combat. »

Samer poursuit : « Toutes ces agressions n’ont pas réussi à assouvir l’envie israélienne à rendre la vie de ma famille infernale. Israël continue, de temps à autre, à provoquer ma famille en convoquant ma sœur Shireen et mon frère Fares dans des centres d’interrogatoires et en les arrêtant afin de les empêcher de parler en mon nom et de faire parvenir mon message au monde entier. Ils veulent tout simplement briser ma détermination qui, je peux les assurer, ne faiblira jamais. »

Samer Issawi conclut son message : « A la lumière de tout ce qui se passe, je me demande bien où sont les organisations internationales des droits de l’homme ? Israël poursuit ses crimes contre nous et le monde répond par le silence. Le peuple Palestinien est-il exclu du droit international ? Ou alors on ne nous considère pas comme des êtres humains et c’est pourquoi ces droits et lois ne s’appliquent pas sur nous ? »

Gratitude

Toutefois, et malgré toutes les douleurs et souffrances qui rongent le corps frêle de Samer, notre héros a tenu à transmettre un message de gratitude et de reconnaissance à tous ceux qui le soutiennent. Le message a été envoyé avec son avocat qui a, lors de la dernière visite, pris acte de la terrible détérioration de son état de santé. C’est avec beaucoup de joie, d’espoir et de confiance dans le rôle de l’humanité que Samer a appris la nouvelle de la toute récente grève de la faim internationale, organisée par Malaka Mohamed. Des personnes de différentes nationalités ont jeûné pendant 24 heures pour faire part de leur solidarité avec Samer. De plus, il y a eu des messages de soutien du monde entier appelant pour sa libération. « J’adresse mes remerciements et ma profonde reconnaissance à tous ceux qui se joignent à moi dans cette bataille et qui sortent pour soutenir cette cause. Je ne vous appellerai pas des solidaires, vous êtes des guerriers. » Écrit Samer.

Que nos voix s’élèvent haut et fort au point de briser les murs racistes pour parvenir jusqu’à Samer et lui procurer la force dont il a besoin pour résister au supplice. Conjuguons nos efforts pour préserver sa vie. Contribuons ensemble pour que sa voix résonne dans chaque coin du monde et scandons avec lui « La liberté et la dignité sont plus précieuses que la nourriture. » Samer Issawi ne doit pas rester seul dans sa lutte contre l’injustice.

« Une injustice commise quelque part est une menace pour la justice dans le monde entier, » disait un jour Martin Luther King Jr. J’écris cela pour vous inviter tous à vous inspirer des paroles de King afin de soutenir et d’accompagner Samer dans sa lutte contre les injustices israéliennes. Sa mort serait une véritable menace pour votre sécurité, pour votre humanité, pour vos valeurs de justice et des droits de l’homme. Nous les Palestiniens, nous exigeons que notre légende Samer Issawi reste en vie, car il mérite de vivre libre et digne.

* Shahd Abusalam est artiste, blogueuse et étudiante en littérature anglaise dans la bande de Gaza.
« Mes dessins ainsi que mes articles sont ma façon de transmettre un message, et le plus important pour moi est d’élever la conscience de la communauté internationale au sujet de la cause palestinienne. Je suis très intéressée à saisir les émotions des gens, les images de ma patrie, la force de mon peuple, de sa détermination, de sa lutte et de sa souffrance. »

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10 janvier 2013 – Palestine from my eyes – Vous pouvez consulter cet article à :
http://palestinefrommyeyes.wordpres...
Traduction : Info-Palestine.net - Niha


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