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Chrétiens et musulmans cohabitent dans les écoles de Terre sainte

dimanche 8 avril 2007 - 09h:18

Henri Tincq - Le Monde

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La fête de Pâques sera à nouveau morose pour les 300 000 chrétiens de Terre sainte (2 % de la population des territoires palestiniens, d’Israël et de Jordanie). Dans leur uniforme écossais, les jeunes filles du collège Saint-Joseph de Bethléem chantent : "Je rêve de liberté. Je rêve de voyager... Je ne veux plus de la guerre. Je veux libérer ma terre... Je rêve de l’arc-en-ciel. Je rêve d’aller en forêt pour manger du miel."

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Bethléem, de nuit

Le rêve est le seul horizon de ces adolescentes palestiniennes. Rêve de sortir d’une ville ceinturée par le "mur de sécurité" israélien, où commerces et hôtels pour touristes et pèlerins sont fermés, où les regards sont éteints. Rêve de vacances. Rêve de voyage à Paris ou San Francisco. Rêve entretenu par Internet, seule fenêtre de liberté ouverte sur d’autres paysages, d’autres visages.

"Le moral de nos élèves est très bas. L’absence d’avenir les mine", se désole le Père Marwan Dides, franciscain du lycée Terre sainte de Bethléem, qui compte 1 335 élèves, dont un tiers de musulmans. Proviseur, il évoque les "traumatismes" subis par les enfants liés aux raids aériens, aux arrestations dans les familles : "Il n’y a pas de suicide, ni de drogue, mais des dépressions profondes."

Les directeurs d’établissement enragent devant les difficultés opposées par les autorités israéliennes au moindre voyage scolaire. La Jordanie est accessible, mais pas Jérusalem, ni la Galilée. "On ne peut pas digérer ça, explose Mgr Fouad Twal, coadjuteur du patriarche latin de Jérusalem. Le Palestinien de San Francisco peut venir au Saint-Sépulcre pour la fête de Pâques, mais pas celui de Bethléem, d’Hébron ou de Naplouse. Nos lieux saints sont ouverts aux étrangers, mais pas aux habitants de Bethléem. C’est inadmissible."

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Le Mur à l’entrée de Bethléem
"Peace be with you", affiché en anglais, en hébreu et en arabe par le Ministère israélien du tourisme

Au total, une cinquantaine d’établissements quadrillent la Terrre sainte, comptant jusqu’à 65 000 élèves et 1 700 professeurs. "La foi a commencé dans ce pays et aujourd’hui, sans nos écoles, la présence chrétienne serait réduite à néant. Les musulmans le savent et admettent que la survie de l’identité palestinienne passe par sa diversité religieuse", explique le Père Majdi Al-Siryani, directeur de l’enseignement catholique.

"UN ENDROIT PLUS SÛR"

Les écoles chrétiennes accueillent de plus en plus d’élèves musulmans. Même les dirigeants du Hamas - comme l’ex-chef spirituel assassiné Ahmed Yacine, le premier ministre Ismaïl Haniyeh, le ministre Mahmoud Zahar - y ont inscrit leurs enfants. A Ramallah, la moitié des 500 élèves des écoles catholiques sont des musulmans. A Gaza, deux écoles chrétiennes comptent 1 200 élèves, dont seulement 150 chrétiens. A Naplouse, ils sont 500, dont 90 % de musulmans. A Bethléem, Beit Jala et Beit Saour, les proportions sont plus équilibrées.

"Nous n’imposons pas notre foi, mais nous disons clairement qui nous sommes, souligne le Père Dides au collège de Terre sainte. Il y a des crucifix dans toutes les classes, mais cela ne fait pas problème pour nos élèves musulmans". L’université catholique de Bethléem compte 70 % de jeunes étudiantes musulmanes, la plupart voilées : "Les familles musulmanes nous envoient leurs filles parce qu’ici, c’est un endroit plus sûr", explique une enseignante. Chaque matin, au collège des Frères des écoles chrétiennes - 600 élèves, dont 45 % de musulmans -, des familles musulmanes viennent depuis Hébron pour y amener leurs enfants : "Nous ne voulons pas que nos enfants deviennent des fanatiques. Vous leur apprenez la tolérance", s’entend dire le directeur, Michel Sansour.

A croire les enseignants, la cohabitation entre jeunes chrétiens et musulmans se passe sans accroc majeur. Les cours de religions (trois heures par semaine) sont séparés, mais les fêtes religieuses célébrées de manière commune. Les professeurs concèdent quelques difficultés dans les cours d’histoire, s’agissant par exemple des croisades : "Il nous faut sans arrêt expliquer que ces massacres étaient liés à une époque donnée", dit l’un d’eux. Lors de la polémique provoquée par le discours du pape à Ratisbonne en 2006, la direction du collège de Terre sainte a convoqué les professeurs de religion et les a chargés de décrypter le discours du pape de manière contradictoire.

L’IDÉOLOGIE DU HAMAS

"A notre échelle d’établissement, un dialogue entre chrétiens et musulmans est donc possible. Pas sur le dogme bien entendu, mais sur les moyens de vivre ensemble dans la fraternité et la lutte pour nos droits", explique le proviseur Marwan Didès. Au moment du Ramadan, la liberté de jeûne est totale pour les élèves musulmans, mais la direction veille "à ce que personne n’empêche les autres d’aller à la cantine". De même, ceux qui jeûnent font l’objet d’une surveillance, "mais la décision de s’absenter si l’élève ne va pas bien n’est jamais prise par nous. C’est aux parents ou au professeur de religion musulman de la prendre".

Le poids du Hamas n’est pas perçu comme une menace pour les écoles chrétiennes. Personne n’ignore la progression du voile, les pressions sur les jeunes étudiantes légèrement habillées, le droit revendiqué à l’université de Bethléem de réciter la prière musulmane du vendredi. "Nous sommes coincés entre les fanatiques et les occupants", admet Michel Sansour, directeur du collège des Frères. Mais il ne croit pas que les établissements chrétiens de Palestine soient menacés : "Nous n’accepterons jamais un gouvernement islamique, parce que nous sommes à la fois chrétiens et laïques."

Même son de cloche à la direction de l’enseignement catholique. "Je n’accepte pas l’idéologie du Hamas, dit le prêtre jordanien Majdi Al-Siryani. Mais l’Occident doit comprendre que l’Eglise est une composante de l’identité nationale palestinienne. Nous ne sommes que 2 %, mais sans les chrétiens, ce pays serait incapable de vivre. Arafat l’a toujours dit, le prince Hassan de Jordanie et les dirigants du Hamas ne cessent de le dire." En pleine colère musulmane contre le discours de Benoît XVI à Ratisbonne, des militants du Hamas sont allés dans les églises distribuer des roses !


Pâques en Orient et en Occident

Hasard du calendrier, Pâques tombe cette année le même jour, dimanche 8 avril, dans les Eglises orthodoxe, catholique et protestantes. En Occident et en Orient, des millions de fidèles vont donc fêter la Résurrection du Christ. Le 6 avril, vendredi saint, de nombreux chemins de croix ont été célébrés en souvenir de la mort du Christ. Le soir à Rome, le pape devait présider le chemin de croix dans le Colisée, avant de célébrer samedi et dimanche la vigile et le jour de Pâques et de prononcer, dimanche, le message urbi et orbi.

Henri Tincq, envoyé spécial à Bethléem - Le Monde, le 6 avril 2007


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