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Le Droit international et la protection d’un peuple contre l’annexion

mardi 18 septembre 2012 - 06h:00

Monique Chemillier-Gendreau - REP N°34 - Hiver 1990

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Le titre donné à cette communication doit tout naturellement être replacé dans le cadre général de cette rencontre autour du thème : occupation étrangère et cristallisation de la conscience nationale. C’est dire que le droit international positif sera ici examiné dans les rapports qu’il a entretenus avec l’organisation et la consolidation du peuple palestinien comme entité nationale.

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Un des aspects les plus criants et les plus cruels de l’occupation israélienne : des milliers de Palestiniens croupissent dans les prisons sionistes,

L’écheveau n’est pas simple à démêler. Il est vrai que le droit est une donnée sociale pétrie d’histoire et d’idéologie. Il n’est évidemment pas extérieur au devenir des sociétés qu’il prétend réguler. Il marche à leur pas, mais parfois les devance ou les suit.

Je tenterai de poser une problématique aussi complète que possible malgré l’ampleur du sujet et les contraintes d’une intervention de ce type ; pour cela, je développerai trois points de complexité croissante.

Je ferai d’abord rapidement état des sources du droit positif général sur la question de l’annexion. C’est évidemment le plus simple, bien qu’il soit nécessaire de le faire dans une perspective d’évolution historique.
J’examinerai, et ce sera le point central, les données particulières au cas des territoires occupés, et comment a fonctionné jusqu’ici le droit positif dans ce cas.

Enfin, dans une partie de conclusion, je voudrais dégager les rapports très dialectiques qui s’établissent entre l’évolution et l’application du droit international d’une part et la conscience nationale d’un peuple d’autre part, conscience qui se développe justement dans la démarche de revendication du droit.

I - Le droit international positif offre-t-il des moyens de protection contre l’annexion d’un peuple ?

La réponse, encore incertaine au début du siècle, est aujourd’hui résolument positive. Retraçons rapidement l’évolution et repérons les pièces principales du mécanisme.

Rappelons d’abord pour mémoire que jusqu’au début de ce siècle, la guerre de conquête était autorisée par le droit international. Le fondement en était coutumier mais ancien, aussi ancien que le statut juridique de l’État souverain. Les légistes qui, à partir de la Renaissance, théorisèrent autour de l’État (Machiavel, Jean Bodin) énumérèrent les droits régaliens dont le souverain était dépositaire et qui comprenaient le droit de faire la guerre : guerre de défense mais aussi guerre de conquête. Mais cette dernière, dans le grand débat de l’époque sur le caractère juste ou injuste d’une guerre, n’était pas moins juste que la première (la guerre de défense) si la conquête était menée pour évangéliser les infidèles ou, plus tard, civiliser les barbares.

« Le droit de guerre appartient à tout Etat indépendant. » Les manuels de Droit international public jusqu’au traité de Versailles portent encore cette affirmation. Le basculement du droit international dans une révolution, complété par la condamnation en droit international du recours à la force, est récent. Cela s’est fait par étapes. Et n’a pas eu pour effet de supprimer la guerre dans les faits. De sorte que se sont développés deux mouvements du droit :

- Une tentative de réglementation de la guerre pour en limiter les effets lorsqu’elle a lieu en fait ;

- Un cheminement différent d’interdiction de la guerre, de réglementation des exceptions à cette interdiction et de précision des qualifications nécessaires (agression, 1974), donc de condamnation pure et simple de l’annexion.

1) Lors de la Conférence de la paix réunie à la Haye en 1907, la IVe convention alors adoptée développait une section intitulée « De l’autorité militaire sur le territoire de l’État ennemi ». Ce texte, sans interdire la guerre, fixait le régime de l’occupation militaire sous la forme d’un compromis entre les exigences de l’action militaire et la nécessité d’une administration continue.

Les mesures prévues par la quinzaine d’articles que comporte ce texte tendaient à une protection des personnes et des biens « en respectant, sauf empêchement absolu, les lois en vigueur dans le pays » (art. 43). C’était empêcher, ou en tout cas freiner, les mécanismes pouvant conduire à l’annexion, puisque cette mesure sauvait la législation de l’occupé donc sa personnalité. Après la Première puis la Deuxième Guerre mondiale, le même souci de réglementer le phénomène de la guerre (lorsqu’elle est de facto inévitable) conduisit à conclure les conventions sur le droit humanitaire en cas de conflit armé, complétées par le protocole de 1977.

Les conventions de Genève de 1949 et le protocole de 1977 interdisent à la puissance occupante tout ce qui conduirait à une destruction de la personnalité internationale du peuple occupé, de son tissu social avec ses composantes administratives et législatives. Sont aussi interdits les abus de l’occupant concernant la réquisition des personnes et des biens, les déplacements forcés des populations, les sanctions collectives, l’administration de la justice par l’occupant etc. De manière plus précise et plus perfectionnée que dans les conventions de La Haye, la voie de l’annexion est entravée.

Israël est partie aux conventions de 1949. Il faut cependant ajouter ici, puisqu’il est question du droit positif, c’est-à-dire des mécanismes par lesquels la règle du droit s’impose à ses destinataires, que le contenu des textes que je viens de citer s’impose en premier lieu aux États qui les ont signés. C’est leur valeur conventionnelle d’engagement par traité. Mais ces textes-là, pour des raisons qu’il serait trop long de développer ici, ont de surcroît une valeur coutumière qui leur donne force à l’égard de tous les membres de la communauté internationale sans exception.

2) L’autre partie du système est plus récente, plus idéaliste et plus révolutionnaire. C’est la condamnation du recours à la force (donc de l’annexion de territoires). Là encore, la Première puis la Deuxième Guerre mondiale ont ménagé les étapes.

L’interdiction n’est pas formulée dans le pacte de la SDN (traité de Versailles, 28 juin 1919). Des précautions y sont prises pour épuiser toutes les voies de règlement non violent des litiges et pour différer le recours aux hostilités (art. 12).

Par ailleurs, le régime des mandats prévu à l’article 22, sans remettre en cause le régime colonial donc les conquêtes qui l’avaient fondé, inaugurait pour les colonies ou territoires qui n’étaient plus aux mains du conquérant d’origine un système nouveau qui protégeait davantage les populations, et leurs droits nationaux.
C’est dans le pacte Briand - Kellog du 27 mars 1928 que (art. 1er) les hautes parties contractantes condamnent le recours à la guerre et y renoncent. Plus tard, c’est-à-dire en 1945, avec l’art. 2 par. 4 de la Charte, l’emploi de la force est interdit contre l’intégrité territoriale de tout État. La conquête cesse donc d’être un mode légitime d’acquisition de territoires.

La déclaration 2625 de l’Assemblée générale des Nations unies votée en 1970, véritable complément et mise à jour de la Charte, précise que « nulle acquisition territoriale obtenue par la menace et l’emploi de la force ne sera reconnue comme légale ».

Le discours du droit positif a donc bien opéré une révolution totale. L’occupation militaire n’est plus autorisée que dans le seul cas de légitime défense. Les limites de cette institution sont posées par la définition de l’agression intervenue en 1974.

Les cas d’occupation militaire de fait qui surviennent dans les relations internationales ne relèvent plus du même régime juridique qu’autrefois. Tant que l’occupation n’était que réglementée, les conséquences de la réglementation débouchaient seulement sur une mise en jeu éventuelle de la responsabilité internationale. Depuis qu’elle est interdite, la violation de l’interdiction autorise les Nations unies à exercer une forme de contrôle dont le principe est admis tant par l’Assemblée générale que par le Conseil de sécurité.

Le contrôle a pour but, précisément, d’empêcher le transfert de souveraineté territoriale en faveur de l’occupant, et d’empêcher les mesures partielles qui conduiraient à terme à ce transfert. Les Nations unies ont veillé à cela dans les dix ou quinze dernières années, aussi bien pour la Namibie ou l’Afghanistan que pour le Liban ou la Palestine. Elles l’ont fait tant par des déclarations générales que par des textes plus pointus relatifs à la protection des droits de l’homme et des droits des peuples, ou à la souveraineté sur les ressources naturelles de l’occupé et jamais de l’occupant. La jurisprudence internationale et la doctrine confirment cet acquis du droit. L’occupation de guerre n’est pas et ne saurait être translative de souveraineté. Elle constitue par essence une situation provisoire qui n’entraîne ni ne suppose aucune dévolution de souveraineté. La Cour permanente de justice internationale l’a rappelé dans certaines affaires (1934, affaire franco-hellénique des phares). Le Tribunal militaire international de Nuremberg l’a redit. Les auteurs sont unanimes dans le même sens.

La précision et la force du droit positif ne permettent aucun mécanisme d’exception. Il est donc impossible que fonctionne une sorte de prescription acquisitive. Cela existe pourtant en droit international sous le nom de principe d’effectivité. Et il est vrai qu’une occupation paisible et continue peut créer des droits. Mais, précisément, elle doit être paisible, ce que, par nature, l’occupation militaire n’est pas.

Nous avons donc sur ce point un rapport du droit positif sans ambiguïté. Cela permet de passer au deuxième point.

II - Les données particulières au cas des territoires occupés par Israël.

On sait que dès l’origine du conflit du Proche-Orient, les données du problème ont été brouillées. Les circonstances historiques ont permis d’entretenir la confusion quant au titulaire de souveraineté sur les territoires antérieurement à leur occupation militaire.
Depuis 1988, les données de fait ont permis de mettre fin à cette ambiguïté. Mais le problème s’est posé de manière différente à chaque étape historique.

L’Empire ottoman exerça longuement les titres de souveraineté sur la Palestine (4 siècles) jusqu’à sa défaite militaire à la fin de la Première Guerre mondiale. Et c’est alors qu’apparaissent, après la longue période turque, les Palestiniens, auteurs de leur propre histoire. Leur apparition se fait dans le contexte de l’époque, marqué par la domination des Occidentaux sur le système international, mais en même temps par la nouveauté des mandats, qui n’était pas le passage d’un colonialisme à un autre. Il faut rappeler les termes de l’article 22 du pacte : « Certaines communautés, qui appartenaient autrefois à l’Empire ottoman, ont atteint un degré de développement tel que leur existence comme nations indépendantes peut être reconnue provisoirement, à la condition que les conseils et l’aide d’un mandataire guident leur administration jusqu’au moment où elles seront capables de se conduire seules. »
Ceci est fondamental car il s’agit non pas d’un acte de naissance mais d’un acte international (avec toute l’autorité du pacte) de renaissance du peuple palestinien.

Et je me plais ici à citer le commentaire du professeur Charles Rousseau dans la dernière édition de son Traité de droit international public (1974) : « Il s’agissait véritablement d’États au plein sens du mot... et dont l’accession à l’indépendance était momentanément différée. » Faisant partie des communautés qui appartenaient autrefois à l’Empire ottoman, le peuple palestinien voyait par ce texte sa vocation à l’indépendance confirmée. Elle était seulement retardée jusqu’à l’acquisition prévue d’un statut national.

Mais dans le cas de la Palestine, deux complications commencèrent à jouer simultanément :

a) La première est en liaison avec le projet sioniste : la déclaration Balfour était intervenue le 2 novembre 1917. Elle n’était juridiquement rien qu’un texte donnant les intentions du gouvernement britannique (mais la Grande-Bretagne n’avait alors aucun titre sur la Palestine). Pour apaiser les légitimes inquiétudes arabes, une déclaration franco-anglaise du 7 novembre 1918 rappela l’objectif franco-anglais d’une « émancipation complète et définitive des peuples arabes et l’établissement de gouvernements et administrations nationaux ».
Pourtant, l’ambiguïté s’installa pendant la Conférence de la paix à Paris en 1919. Et l’émir Fayçal, fils du chérif de la Mecque, Hussein, fut convaincu de donner quelques vagues assurances sur la possibilité d’une immigration juive en Palestine.
A San Remo, le 25 avril 1920, la Palestine passa sous tutelle britannique et, sous la pression de l’Organisation sioniste, le préambule du mandat intégrait la déclaration Balfour, et désignait le peuple palestinien comme « collectivités non-juives existant en Palestine ». Mais c’est à la recherche du droit positif que nous sommes ici et je dois donc raisonner en juriste, c’est-à-dire me situer dans la hiérarchie des textes les uns par rapport aux autres. Ni l’intégration de la déclaration Balfour au texte du mandat accordé à la Grande-Bretagne, ni la rédaction de cette déclaration éminemment critiquable n’invalident l’article 22 du Pacte qui est le fondement de ce mandat et le texte de référence. Cela reste décisif y compris pour les analyses à faire aujourd’hui. Les membres de la SDN s’étaient engagés sur la notion de nations indépendantes.

b) La seconde complication a trait à la Transjordanie.
L’article 25 du mandat donné à la Grande-Bretagne prévoyait que le mandat sur la Palestine englobait la Transjordanie. Mais en vertu d’un avenant à cet article et avec l’approbation de la SDN, la Transjordanie fut administrée séparément à compter de septembre 1922 et elle devint indépendante en mars 1946 sous le nom de royaume de Jordanie.

Sur la Palestine, le mandat demeura en vigueur jusqu’en 1947 lorsque le Royaume-Uni renonça à son autorité en faveur de l’ONU. Celle-ci réalisa le plan de partage par la résolution 181 du 29 novembre 1947. Ce faisant, elle créait deux États dont un État arabe palestinien (art. 3).

Si contestable que soit cette résolution par de multiples aspects et s’il est légitime de se demander si l’ONU avait compétence pour disposer d’un territoire jusque-là sous mandat, autrement que pour en constater l’indépendance, on peut et on doit admettre que sur le principe de la création d’un État arabe palestinien, ce texte est décisif. Il réalise le passage attendu de la fin du mandat à la souveraineté du peuple jusque-là protégé. Il confirme déjà aux yeux de la société internationale l’existence d’un peuple palestinien identifié.

Celui-ci, mis face à l’amputation de son territoire ancestral, rejeta cette résolution, non bien sûr pour la partie qui projetait un État palestinien mais parce qu’elle le mutilait dès sa naissance. Le rejet de ce plan par les Arabes était inévitable.

Mais là encore, il faut tenter de raisonner correctement. Le rejet du plan de partage ne peut aucunement être analysé comme un renoncement au territoire qui leur était proposé, ni au projet même de la souveraineté étatique. Ce rejet était seulement une protestation contre l’amputation du territoire ancestral.

Cependant, ce rejet créait un vide juridique qui permit par la suite toutes les manipulations. La partie de territoire qui leur était attribuée (et les habitants qui l’occupaient) se trouvaient en quelque sorte en déshérence provisoire.

On sait ce qu’il en advint.

Les États-Unis proposèrent bien de placer temporairement la Palestine sous tutelle des Nations unies, ce qui était une autre logique de succession au mandat, mais les dirigeants sionistes s’y opposèrent violemment.

Le 14 mai 1948, Israël proclama son indépendance. Le 15 mai, les forces britanniques, en se retirant, mettaient fin au mandat en laissant tous les éléments d’un conflit. Qui se déclara, pour la première fois, fin mai 1948.

Le territoire attribué par le plan de partage à l’État arabe de Palestine fut pour une partie occupé par Israël (y compris la zone Ouest de Jérusalem), une autre partie par l’Égypte, une troisième (y compris Jérusalem-Est) par la Jordanie qui n’était alors pas membre des Nations unies.

Ralph Bunche, médiateur des Nations unies par intérim et successeur du comte Bernadotte, assassiné, réussit à négocier les accords de trêve qui portaient seulement sur la situation militaire. Il y était précisé qu’ils ne préjugeaient pas des positions politiques des diverses parties à la question palestinienne. Aussi aucun droit n’était acquis à Israël sur les territoires occupés au-delà de ce que lui confiait la résolution de partage. Aucun titre légal n’était donné non plus aux États arabes qui occupaient la Palestine.

La Commission de conciliation créée par l’Assemblée générale en décembre 1948 n’aboutit qu’à préciser les prétentions d’Israël qui entendait garder les territoires occupés en 1948 ainsi que Gaza tout en laissant la rive occidentale sous occupation jordanienne « sans entrer dans la question du statut futur de la région ».

En novembre 1948, la demande d’admission d’Israël à l’ONU fut repoussée. Elle fut acceptée en mail 1949 après un débat au cours duquel le représentant d’Israël s’était prononcé solennellement sur la résolution de partage 181. Ce texte vaut d’être rappelé :
« Quant à la nature des résolutions de l’Assemblée du point de vue du droit international, nul ne sait que les résolutions qui mettent en cause la souveraineté nationale des membres des nations unies ne sont que de simples recommandations sans force obligatoire. Toutefois, la résolution relative à la Palestine est d’une autre nature car elle concerne l’avenir d’un territoire soumis à un mandat international. Seules les nations unies dans leur ensemble sont compétentes pour décider de l’avenir de ce territoire et a donc force obligatoire. »

Tout cela est d’une extrême importance car le droit international est dominé par le principe de la bonne foi et de la cohérence d’attitude.

La reconnaissance internationale d’un État arabe palestinien a eu lieu par le texte de la résolution 181 qui sans réserve a été reconnu par Israël comme obligatoire. Israël lui-même et l’ensemble des États membres sont évidemment liés par ce texte.

Mais revenons à la quête du titulaire de la souveraineté sur la partie de la Palestine non attribuée à Israël par la résolution de partage. Ce territoire mutilé n’est pas alors accepté par les Arabes comme base de la création d’un État arabe palestinien.

Pour la partie occupée en 1948 par Israël, celui-ci pratique aussitôt une annexion de fait par extension à ces territoires de sa législation et de son administration propre (à titre civil), y compris la zone ouest de Jérusalem.

Et les lois d’Israël ne contiennent aucune disposition laissant entendre que, en attendant un règlement définitif de la question de la Palestine, ces mesures ont un caractère provisoire.

En 1950, la Jordanie fit passer officiellement la rive occidentale sous son contrôle (malgré la désapprobation des autres États arabes). C’est l’acte d’unification voté le 24 avril 1950 à Amman par le Parlement. Cependant, la législation jordanienne stipulait que cette mesure était prise « sans préjudice du règlement définitif de la juste cause de Palestine dans le cadre des aspirations nationales, de la coopération entre pays arabes et de justice internationale ».

Avec la guerre de juin 1967, Israël élargit son occupation aux territoires restants de la Palestine sous mandat (y compris la zone orientale de Jérusalem).

Les Nations unies commencèrent par obtenir un cessez-le-feu, par demander l’application des conventions de Genève de 1949 dans les territoires occupés. Puis le Conseil de sécurité adopta la résolution 242 qui rappelle l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la guerre et demande le retrait des forces années israéliennes des territoires occupés.

Israël n’en fit rien. Bien au contraire, depuis cette date, la position d’Israël est de pratiquer ce que l’on peut appeler une annexion rampante.

Israël prétend que la Jordanie n’ayant jamais eu de souveraineté légitimée sur les territoires occupés, la convention de Genève de 1949 ainsi que l’article 49 qui vise à protéger les droits du souverain légitime ne s’appliquent pas, et qu’Israël n’est pas puissance occupante. Selon Sw ?bel et Blum :
« Étant donné que dans l’optique actuelle aucun État ne peut formuler, à propos de la Judée et de la Samarie, une revendication en droit qui soit égale à celle d’Israël, cette supériorité relative d’Israël peut être suffisante en droit international pour rendre la possession de ces territoires par Israël pratiquement impossible à distinguer d’un titre absolu qui serait valable “erga omnes". Le droit d’Israël ne tombe pas sous le coup des limitations que le droit international impose à un occupant belligérant ’. »

La position juridique d’Israël n’est pas exempte de contradictions. La Cour suprême a refusé d’appliquer les conventions de Genève, mais dans certaines affaires a accepté d’appliquer la convention de La Haye (droit coutumier).

Ce qui domine cependant, c’est la revendication d’annexion. Elle a été exposée à plusieurs reprises à propos notamment du débat relatif au rapport de la commission nommée en 1979 par le Conseil de sécurité (résolution 446) pour étudier la situation dans les territoires occupés, (doc. S/13450 et S/13852, 22 octobre 1979).

« Israël a mieux droit que tout autre pays à tout l’ancien territoire sous mandat de la Palestine à l’ouest du Jourdain. »

Elle s’exprime dans les faits à la fois par le développement des colonies de peuplement et par la prise en charge de l’administration des territoires par l’armée israélienne (dès le 7 juin 1967). L’article 3 de la proclamation militaire n° 2 donne toutes les attributions d’ordre administratif et législatif au commandement israélien. Je pourrais évidemment développer ce point et analyser plus à fond l’annexion rampante, mais ce sont là des éléments factuels. Il me semble préférable de revenir au débat ouvert par ce sujet et à la situation telle qu’elle est gérée par le droit positif.

La qualification peut être déduite sans peine de ce qui a été exposé jusqu’ici : trois composantes de la situation doivent être dégagées et une quatrième plus récente complétera les données.

1) De tout ce que je viens de rappeler, il résulte qu’aucune souveraineté de remplacement n’a pu disposer du titre laissé vacant par les circonstances mais destiné clairement au peuple palestinien. Israël a sans doute raison de dire que la Jordanie ne disposait pas de la souveraineté mais lui-même n’en est pas le titulaire pour autant.

2) Ni l’annexion de fait pour certaines parties des territoires, ni l’annexion rampante développée dans ceux occupés depuis 1967 ne peuvent entraîner de conséquences juridiques. La situation est qualifiée par le droit international. Il s’agit d’une occupation militaire provisoire et rien que cela. M. Perez de Cuellar, secrétaire général des Nations unies, s’est prononcé encore récemment à ce sujet. S’agissant des mesures de bannissement dont certains Palestiniens ont été victimes, contrairement au droit positif en matière d’occupation militaire, il a appelé Israël « puissance occupante, à annuler ces ordres de déportation et à remplir ses obligations conformément à la IVe convention de Genève » (le Monde du 30/8/89).

3) Les Nations unies ont, depuis 1967, mené un travail persévérant de condamnation des menées d’Israël et parallèlement de réaffirmation des droits nationaux du peuple palestinien. Là encore, la masse des textes qui témoignent de ce cheminement est trop importante pour qu’il soit possible d’en rendre compte. Je ne peux qu’illustrer mon propos par des exemples.

Contre le projet annexionniste, je citerai la résolution 465 du Conseil de sécurité du 1er mai 1980, adoptée à l’unanimité et selon laquelle « toutes les mesures prises par Israël pour modifier le caractère physique, la composition démographique, la structure ou le statut institutionnel des territoires arabes occupés depuis 1967, y compris Jérusalem, ou de toute partie de ceux-ci, n’ont aucune validité en droit... », et la résolution du 20 août 1980 par laquelle, à l’unanimité, le Conseil de sécurité a condamné l’annexion de Jérusalem-Est.

Pour le soutien aux droits nationaux du peuple palestinien, les textes sont innombrables. C’est surtout à partir de 1970 que ces droits sont précisés : résolution du 8 décembre 1970 de l’Assemblée générale dans le cadre du droit à l’autodétermination. En 1971 (résolution 2787), il est précisé que ce droit à l’autodétermination doit conduire à la création d’un État souverain et indépendant.

Il est vrai qu’alors le Conseil de sécurité ne suivit pas l’Assemblée générale sur cette voie. Le 22 novembre 1975 (résolution 3236), l’Assemblée générale adopta la Charte des droits du peuple palestinien. Puis l’ONU contribua à faire du peuple palestinien un peuple représenté en donnant à l’OLP un statut d’observateur privilégié. Enfin l’ONU a travaillé à la protection des droits de ce peuple. Elle a condamné le 29 novembre 1979 « tous les accords partiels et traités séparés qui constituent une violation flagrante des droits du peuple palestinien ». Et le 7 septembre 1983, la Conférence internationale sur la question de Palestine adoptait à Genève une Déclaration sur la Palestine.
Par leur nombre, leurs conditions de vote et leur contenu inlassablement répété, ces résolutions ont acquis un caractère normatif incontournable.
Tout ce travail a abouti à un résultat très précis : la désignation par les organes les plus autorisés de la société internationale du véritable titulaire de la souveraineté sur les territoires occupés par Israël : à savoir le peuple palestinien.

Mais cette désignation a été pendant plusieurs années un acte conservatoire plus qu’autre chose. En effet, sur le terrain, la fiction de l’administration jordanienne fonctionnait et masquait mal le poids de l’administration militaire israélienne, cependant qu’ailleurs, il était possible de contester la représentation du peuple palestinien.

4) La quatrième composante des données juridiques a été créée par des événements récents : l ’Intifada bien sûr, mais aussi la disparition de la fiction d’administration jordanienne par la décision prise le 31 juillet 1988 par la Jordanie. Le retrait de cet intermédiaire éclaircit le tableau. Une clarification que renforcent la Déclaration d’indépendance de la Palestine du 15 novembre 1988, et l’auto-proclamation de la Palestine comme État.

Les conditions historiques ont imposé au peuple palestinien de longs délais pour que, peu à peu, il trouve les voies d’une représentation qui lui permette de s’affirmer en tant que gouvernement, à la fois par sa propre administration et dans le champ des relations internationales. L’accélération brutale de l’histoire sur ce point depuis 1988 a mis l’État de Palestine, reconnu par une centaine d’États de la société internationale, en position de se présenter à l’accès dans les organisations internationales.

III - Je voudrais en guise de conclusion tirer, comme je l’ai annoncé, quelques rapprochements entre le droit positif et son application à ce cas complexe d’une part et la formation et le développement de la conscience nationale d’autre part.

Il y a eu sans aucun doute un va-et-vient, une dialectique subtile entre les mécanismes juridiques et les mécanismes sociaux ou idéologiques.

Il est vrai que le cadre juridique que j’ai décrit sommairement dans mon premier point s’est précisé depuis les premières étapes (pacte de Paris, 1928) jusqu’à l’extrême condamnation de l’annexion par la force telle qu’elle est formulée de nos jours. Il a, ce faisant, permis au peuple palestinien, conforté par son bon droit de se renforcer dans son existence nationale, de mieux percevoir quels sont les ingrédients qui par une certaine alchimie, mettent en place un État. Il a permis la protection du peuple et l’expression de ses droits. Mais, en même temps, ce peuple-là, au destin si différent de celui de tous les autres peuples colonisés, par sa capacité de résistance forgée au fil des épreuves, a sans doute précipité la formulation du droit. Il a contribué à pousser les conséquences de la notion de droit des peuples au-delà du cas de décolonisation traditionnelle.

L’importance et l’approfondissement des débats sur le cas palestinien dans les organes onusiens ont été d’un poids très lourd dans le choix des termes de certains textes décisifs comme la résolution 2625 votée en 1970, considérée comme un acte d’approfondissement de la Charte, qui conforte les peuples qui luttent contre une domination étrangère à poursuivre la lutte et légitime les appuis qui leur sont donnés.

Il en va de même pour les textes relatifs à la souveraineté permanente des peuples et des États sur leurs ressources naturelles, où la précision des peuples a été apportée en relation avec un cas comme celui de la Palestine. Enfin, le cas palestinien et le déclenchement de l’Intifada confirment que le cadre du droit positif n’est rien si les hommes n’y insufflent pas un contenu. Désignés comme des communautés non-juives, chassés de leurs terres, dispersés aux quatre coins du monde, souvent divisés politiquement, s’appuyant sur des alliés qui l’étaient aussi, les Palestiniens ont compris, et les plus jeunes d’entre eux semblent l’avoir compris plus fort et plus vite que leurs aînés, que la froide expression juridique du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes restait un texte couché dans les recueils du droit si le peuple concerné n’y mettait pas la pièce essentielle pour rendre le droit efficace : le témoignage.

Ils ont alors rempli cette condition essentielle à l’identification d’un peuple candidat au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes : le témoignage de la lutte. Ce mécanisme a été de manière très profonde mis en lumière par Ch. Chaumont dans un texte intitulé « Le droit des peuples à témoigner d’eux-mêmes » (ATM, 1976, p. 15) où il dégage bien le progrès véritable du droit international contemporain : un peuple ne peut plus être un objet, ne peut être assujetti.

Mais alors, me dira-t-on, à quoi sert que le droit positif condamne l’annexion, s’il est si peu efficace dans cette condamnation qu’il lui faille le témoignage physique de la lutte ?

On ne peut qu’accepter l’argument dans la phase actuelle que traverse le droit international, droit encore sommaire par bien des aspects, surtout du point de vue de son exécution. Encore faut-il souligner l’utilité du droit comme garde-fou. Il intervient comme un élément dans le rapport de forces. En effet, pour le vérifier, posons-nous cette question : si la condamnation de l’annexion n’existait pas en droit international et n’avait pas été rappelée avec force à l’ONU à propos des territoires occupés, quel serait leur statut aujourd’hui ?

Rien n’aurait arrêté les appétits territoriaux d’Israël. Et nul ne peut dire où en serait alors la conscience nationale palestinienne.

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Monique Chemillier-Gendreau

* Monique Chemillier-Gendreau
Laboratoire « Tiers-Monde » Université de Paris VII

Revue d’Études Palestiniennes N°34 - Hiver 1990


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