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Samer al-Barq en grève de la faim : « Chaque minute compte » nous dit son père

dimanche 23 septembre 2012 - 10h:07

Shahd Abusalama

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La dignité et la liberté sont plus précieuses que la nourriture : c’est la conviction qui donne de la force aux prisonniers politiques palestiniens et qui renforce leur détermination face à leurs geôliers israéliens.

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Le père Samer Al-Barq, protestant devant l’ambassade égyptienne à Ramallah hier. Il appelle l’Égypte à accueillir Samer - Photo : Yasin Abu Lafah

La révolution des grèves de la faim à l’intérieur des prisons israéliennes se poursuit. La grève de la faim emblématique de Khader Adnan contre la détention administrative - la détention sans inculpation ni jugement - avait commencé en décembre 2011, et elle a duré 66 jours pour se terminer par une victoire. Cela a ravivé la fierté de nos héros pour suivre les traces de Khader Adnan et mettre un terme à la détention illimitée sans inculpation ni jugement.

Des vagues de grévistes de la faim ont rejoint la bataille depuis lors, avec parmi eux Hana Al-Shalabi, Thaer Halahleh, Bilal Diab, et Mahmoud Sarsak. Les victoires remportées par ces détenus administratifs et leur libération des mains d’Israël, ont inspiré d’autres prisonniers pour poursuivre la lutte.

Actuellement, quatre autres détenus administratifs sont en grève de la faim : Hassan Safadi, Samer Al-Barq, Ayman Sharawna, et Samer Al-Eisawy. Chacun a sa propre histoire, pleine d’amertume et de dignité.

L’autre soirée, je suis allée avec un groupe d’amis et de parents à la plage de Gaza pour échapper aux coupures d’électricité dans nos maisons. Je voulais apprécier le coucher du soleil et respirer l’air frais tout en causant du mariage de ma s ?ur dans un mois. Au lieu de cela, je me suis trouvée disant à quel point je me sentais honteuse d’être préoccupée avec mes études pendant la période des examens, au lieu de blogger au sujet des grévistes de la faim. Cela a démarré une conversation sans fin et émotionnelle à leur sujet. Il était très tard quand nous nous sommes rendus compte que nous étions tellement absorbés par la conversation que nous avions manqué le coucher du soleil.

« Pourquoi Samer Al-Barq de Samer et Hassan Safadi n’ont-ils toujours pas gagné, même après que leurs grèves de la faim aient brisés des records ? » nous sommes-nous demandés.

Qui devons-nous blâmer de la situation critique qui est la leur ? Devrions-nous critiquer les dirigeants palestiniens, pour qui la question semble sans importance ? Ou ces politiciens qui font commerce des vies des Palestiniens ? Ou les factions divisées qui s’occupent d’abord de pleurs propres intérêts plutôt que de l’intérêt général ? Ou le mouvement populaire à l’intérieur de la Palestine qui n’est pas assez mobilisé ? Ou la situation économique en plein dégradation qui oppresse les gens en Palestine et les pousse à l’auto-immolation, comme Ehab Abu Nada ? Ou les organismes de la communauté internationale et de défense des droits de l’homme qui restent silencieux tout en se contentant d’observer ces crimes contre l’humanité en Palestine, dans les prisons d’Israël, dans la prison à ciel ouvert de la Bande de Gaza, ou en Cisjordanie occupée ?

Je me sens confuse. Je peux excuser mon peuple opprimé, parce que ses priorités ont changé. Les Palestiniens font face à la mort lente sous le régime suffocant de l’apartheid israélien. Tout ce dont ils s’inquiètent est de survivre jour après jour. Ils n’osent pas faire de projets pour le futur parce qu’ils ne peuvent pas désirer quoi que ce soit dans un environnement aussi instable politiquement, économiquement et socialement.

Mais que dire des peuples qui sont libres à travers le monde ? Nos grévistes de la faim sont des combattants de la liberté, luttant pour la justice, pour l’humanité. Pourquoi leur tourner le dos ?

Chaque seconde écoulée fait une différence

Quand je suis retournée de la plage à la maison, j’ai téléphoné à la famille de Samer Al-Barq’s dans Jayyous, un petit village près de Qalqilya en Cisjordanie occupée - un endroit que je ne peux pas visiter en venant depuis la Bande de Gaza.

Mes mains tremblaient tandis que je parlais au père de Samer. J’ai pensé qu’il apprécierait un appel venant de Gaza. Il apprécia effectivement, mais je me suis sentie inutile et honteuse à l’idée que mon appel est survenu tard, alors qu’il s’attend à entendre la nouvelle de la mort de son fils à tout moment. Je savais bien que mes mots seraient inutiles. J’ai essayé de me contrôler et de ne pas pleurer pendant que je lui disais : « Je prie pour votre force, et pour que vous serriez bientôt dans vos bras votre fils vivant et victorieux, inch’Allah, » mais je n’étais pas assez forte pour empêcher ma voix de trembler.

Chaque minute, sinon chaque seconde, peut faire à présent une différence dans la vie de Samer. Il a entamé une grève de la faim deux jours avant que la grève de masse n’ait commencé lors de la Journée des Prisonniers, le 17 avril, pour protester contre sa détention administrative. Que soit mis fin à la pratique de la détention administrative a été l’une des revendications de la grève de la faim de masse. En échange de la fin de la grève, un accord avait été conclu le 14 mai entre l’administration pénitentiaire israélienne et le comité des prisonniers en grève - sous une médiation égyptienne - et qui devait répondre aux demandes de nos détenus.

Selon Addameer, le groupe palestinien de défense des droits des prisonniers : « l’accord comprenait une disposition qui limiterait l’utilisation de la détention administrative à des circonstances exceptionnelles, et ferait en sorte que les personnes placées en détention administrative au moment de l’accord ne voient pas leur détention renouvelée [sous le même régime]. »

En conséquence, Samer cessa sa grève. Mais une semaine après que la grève collective de 28 jours se soit terminée, il apprit que son ordre de détention administrative avait été renouvelé. Ce qui l’a poussé à reprendre sa grève de la faim pour protester contre cette violation de l’accord. Sa grève seconde grève de la faim dure depuis 110 jours.

« Depuis que Samer a commencé sa grève de la faim, il nous a été interdit de le voir », m’a dit son père au téléphone. « Pour faire pression sur lui et le pousser à mettre fin à sa grève de la faim, l’IPS [Service pénitentiaire israélien] a ignoré son droit aux visites familiales. Nous n’avons eu aucune nouvelle de sa part depuis lors, excepté par l’intermédiaire du Comité international de la Croix-Rouge. »

J’ai demandé à son père si je pouvais parler à la mère de Samer. « Sa mère parle difficilement en ce moment, » répondit-il. « Elle est traumatisée et déprimée par ce que son fils endure. Elle pleure sur Samer toute la journée. Elle ne s’arrête que quand elle s’endort. Elle a été hospitalisée à plusieurs reprises. Priez pour qu’elle soit forte ! »

Je suis resté silencieuse pendant quelques secondes, incapable de dire quoi que ce soit. Je ne pouvais pas imaginer à quel point il est pénible pour une mère d’assister à la mort lente de son fils. Mais il reprit avec colère : « Ça me rend fou de voir mon fils emprisonné sans aucune raison. »

« Aucune accusation n’a été portée contre lui ? » l’ai-je interrompu.

« Rien du tout, si ce n’est d’être un homme religieux avec une barbe et qui a vécu au Pakistan, où il a obtenu sa maîtrise en analyse des Sciences, et a enseigné dans les universités », a-t-il ajouté. « Il y a épousé une femme pakistanaise, mais il n’a vécu qu’un an avec elle pour des raisons que nous ne connaissons pas » avant qu’il ne soit arrêté et que son calvaire ne commence.

Arrêté au Pakistan, détenu en Jordanie et livré à Israël

Les détails de l’arrestation de Samer ne sont pas entièrement connus, mais ce que l’on sait, c’est que Samer a été arrêté et emprisonné dans divers pays, sans accusation ou procès. Amnesty International signale que selon son frère, Samir Helmi al-Barq, Samer « a été arrêté par les autorités pakistanaises le 15 juillet 2003 et emprisonné pendant 14 jours après avoir étudié pour un doctorat dans des études islamiques à Islamabad. »

Amnesty International ajoute :

Il a été alors remis aux autorités des États-Unis et maintenu pour trois mois supplémentaires dans une prison secrète dans un emplacement inconnu en dehors du Pakistan.

Il a affirmé, dans une déclaration privée reçue par Amnesty International, qu’il « a enduré de nombreuses formes de torture inhumaine au cours de cette période ». 

Al-Barq a indiqué qu’il a été remis aux autorités jordaniennes le 26 octobre 2003, qui l’ont maintenu en détention pendant plus de quatre années, sans l’accuser ou lui dire pourquoi il était détenu.

Il a dit qu’il « a été torturé physiquement et mentalement » et « dissimulé aux yeux des groupes de défense des droits de l’homme, et qu’on lui a interdit de contacter [sa famille] ».

Après avoir été transféré plusieurs fois entre différentes prisons, il a été libéré sous caution en janvier 2008. 

Les autorités jordaniennes l’ont arrêté à nouveau en avril 2010 et lui ont livré aux autorités Israéliennes trois mois plus tard.

Bien que certains des détails diffèrent des informations communiquées par Amnistie, Addameer rapporte également que Samer a été détenu pendant plus de quatre années en Jordanie sans procès ou accusation, ajoutant qu’il a passé trois de ces années en isolement. Addameer ajoute :

Samer a été par la suite été libéré en janvier 2008 et il est alors resté en Jordanie où il a commencé à travailler dans un laboratoire médical, tandis que son épouse le rejoignait depuis le Pakistan. Pendant ce temps les services jordaniens du renseignement continuaient à s’en prendre à Samer et l’ont soumis à des séances intensives d’interrogatoire qui duraient de quelques jours à un certain nombre de mois. Sa dernière détention a duré d’avril au 11 juillet 2010.

Le 11 juillet 2010, Samer a été emmené par la police jordanienne au pont Allenby, le passage des frontières entre la Jordanie et les territoires palestiniens occupés, où il a été remis aux forces israéliennes d’occupation. Samer a été alors placé à la Prison d’Ofer, près de Ramallah, où un tribunal militaire israélien l’a emprisonné avec un ordre de détention administrative. Depuis lors, Samer a été retenu prisonnier pendant presque 800 jours - sans procès ou accusation - uniquement sur la base d’informations tenues secrètes.

Le père de Samer m’explique alors que depuis que sa détention par Israël a commencé, l’ordre de la détention administrative de Samer « a été renouvelé sept fois. Le dernier renouvellement s’est produit le 22 août, après plus de trois mois de sa grève de la faim. Son état de santé qui se détériore rapidement n’a pas empêché l’impitoyable administration pénitentiaire de prolonger sa détention. »

Le temps passé par Samer en détention en Jordanie était très dur. Quand il a été arrêté par Israël, il a cependant enduré encore plus de brutalité, particulièrement pendant sa grève de la faim. Voulant faire pression sur lui pour pour qu’il arrête sa grève, l’administration pénitentiaire l’a transféré à l’hôpital de la prison de Ramleh, ou « l’abattoir, » comme d’ex-détenus appelle ce lieu en se souvenant de la négligence, de l’humiliation et de la discrimination qu’il ont dû supporter de la part des « médecins ».

Akram Rikhawi, qui souffre de plusieurs maladies, et qui a suivi une grève de la faim de 102 jours à l’encontre de la négligence médicale dont lui et ses camarades également malades ont souffert dans les prisons israéliennes, parle de l’hôpital de la prison de Ramleh comme d’un « abattoir, et pas un hôpital, avec des geôliers portant des tenus de médecins. »

L’IPS a essayé par diverses méthodes de faire pression sur Samer et son camarade Hassan Safadi pour qu’ils cessent leur grève de la faim. Ils ont été placés dans une cellule très étroite pour y rester isolés, avec à peine de quoi faire tenir leur fauteuil roulant qu’ils doivent se partager, et rester menottés à leurs lits, bien qu’ils aient toutes les peines du monde à peine se déplacer.

Encore pire, ils ont été physiquement agressés par leurs geôliers quand ils ont protesté contre leurs terribles conditions d’incarcération dans Ramleh. Le 13 août, la tête de Hassan a été deux fois cognée contre la porte en fer de sa cellule, le faisant tomber à la terre, inconscient. Les gardiens de prison l’ont alors traîné à travers le hall, devant tous les autres prisonniers.

Il faut un miracle pour sauver Samer

Le père de Samer me dit : « Une délégation du CICR [le Comité International de la Croix Rouge] et de Médecins pour la défense des droits de l’homme - section Israël nous ont rendu visite récemment et ont dit que la mort de Samer était imminente, à moins qu’un miracle ne vienne le sauver. Il a déjà perdu plus de 20 kilogrammes. »

Selon Al Jazeera (version arabe), Israël a accepté de libérer Samer sous condition de déportation et s’il cesse sa grève de la faim, mais sans le laisser vivre en Cisjordanie ou dans la Bande de Gaza sous occupation. Souvenons-nous que la déportation des Palestiniens, dans ou en dehors des territoires Palestiniens, est un crime de guerre en vertu de l’Article 49 de la Quatrième Convention de Genève. Aucun pays jusqu’ici n’a voulu le recevoir.

Hier, le père de Samer a protesté devant le bureau de représentation de l’Égypte dans Ramallah pour demander que Samer soit accueilli en Égypte.

À la fin de la conversation, j’ai demandé à son père de me dire ce qu’il souhaitait transmettre comme message au monde. Il a répondu avec force : « son audition a lieu ce dimanche, le 9 septembre, et personne ne sait si la cour décidera en faveur de Samer ou contre lui. En outre, je ne pense pas même que Samer puisse attendre plus de jours. Il est quasi-inconscient sur son lit d’hôpital, souffrant terriblement. »

« Chaque minute importe maintenant pour sa vie. Je veux que le monde sache que mon fils n’est pas en grève de la faim parce qu’il voudrait mourir. Il veut simplement et désespérément une vraie vie, faite de liberté, de dignité et de justice. J’appelle le monde à agir, et si mon fils meurt, la responsabilité de sa mort sera sur nos épaules. »

* Shahd Abusalam est artiste, blogueuse et étudiante en littérature anglaise dans la bande de Gaza.
« Mes dessins ainsi que mes articles sont ma façon de transmettre un message, et le plus important pour moi est d’élever la conscience de la communauté internationale au sujet de la cause palestinienne. Je suis très intéressée à saisir les émotions des gens, les images de ma patrie, la force de mon peuple, de sa détermination, de sa lutte et de sa souffrance. »

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7 septembre 2012 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/blogs...
Traduction : Info-Palestine.net - Claude Zurbach


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