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Égypte : Notes sur « Chevaucher le sphinx »

mardi 21 août 2012 - 07h:27

Dedefensa

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Depuis dimanche, se succèdent les interprétations du « coup d’État » interne réalisé par le président Morsi dans de remarquables conditions de surprise, de rapidité et d’efficacité. Diverses étoiles de maréchaux et de généraux se trouvent dispersées, d’autres aussitôt regroupées dans les fonctions ainsi laissées vacantes. Ce « coup » suit les diverses péripéties des « attaques » terroristes dans le Sinaï, elles-mêmes soumises à de bien diverses interprétations.

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Place Tahrir




Quelques jours après l’événement, alors que le sable soulevé par l’audace de l’acte commence à retomber, - à sa place initiale ou dans d’autres selon le vent qui souffle, - alors que nombre d’articles et d’analyses ont été publiés sans qu’aucune ligne précise ne s’impose, alors que la direction égyptienne et Morsi en particulier continuent à jouer un jeu subtil qu’on apparenterait aux habituelles attitudes d’un sphinx qui sait ce qu’il veut, on doit tenter de proposer une vision plus claire où l’intuition poursuivie des évènements d’Égypte aura sa place à côté des commentaires et des observations diverses. Ce qui se passe dépend de l’Histoire devenue métahistoire bien plus que de la man ?uvre politique.

Bon baisers de Sissi

A tout seigneur, tout honneur... Enfin, « seigneur », c’est vite dit. Dans cette affaire et ce qui a précédé, les visites à grande fanfare et grande pompe, au Caire, d’Hillary et de Panetta successivement, pour remettre de l’ordre dans les rangs, il semble que les USA aient montré leurs habituels aveuglement et méconnaissance (et non l’inconnaissance, certes) ; cela, pour les affaires égyptiennes comme pour toutes celles, en général, qui ne sont pas strictement made in USA. Ils n’ont rien vu venir et n’ont pas vu grand-chose passer. Hillary et Panetta ont embrassé Tantawi sur la bouche, comme s’il devait durer aussi longtemps que le sphinx de Gizeh, Tantawi comme puissance tutélaire tenant Morsi à la culotte, quelques jours avant son élimination par Morsi.

Alors, on se console comme on peut. Le Pentagone a fait grand cas d’un coup de téléphone rassurant du nouveau ministre de la Défense, le général al-Sissi. AFP retranscrit fidèlement la satisfaction de Panetta, le 14 août 2012... « “Le général al-Sissi a exprimé sont engagement irréversible envers les relations militaires des États-Unis et de l’Égypte dans lesquelles s’ancre réellement la stabilité du Moyen-Orient depuis plus de 30 ans," a dit le Panetta à des reporters après une conversation téléphonique avec son nouvel homologue plus tôt dans la journée. “Quant à moi, je lui ai dit que je me réjouissais de travailler avec lui et de poursuivre la relation que nous avons établie avec l’Égypte pendant toutes ces années.” »

Tout va bien dans le meilleur des Nil possibles. Pour dire le vrai, on aurait mal compris qu’al-Sissi prît son combiné pour insulter le secrétaire US à la Défense et lui annoncer la fin de la coopération avec les USA. D’ailleurs, al-Sissi est considéré par tous les experts US du domaine, qui ne cessent de montrer leurs visions à long terme, comme « un homme des USA », ce qui serait amplement démontré par son fait d’avoir suivi des études de perfectionnement d’officier général dans le fameux War College de l’U.S. Army.

Une thèse du nouveau chef d’état-major

Certes... Mais est-ce bien sûr ? On veut dire : est-ce une garantie d’orthodoxie type-BAO, ce studieux séjour au War College ? Issandr el Amrani, du site Arabist.net, a retrouvé une étude du deuxième homme nouvellement aux commandes, le général Sedky Sobhy nommé chef d’état-major général des forces armées. (Voir sur ce site, le 13 août 2012.) Cette étude, visible sur le site du U.S. War College, date du 18 mars 2005, dans le cadre du USAWC Strategy Research Project, sous le titre La présence militaire étasunienne au Moyen-Orient : questions et perspectives. C’est la thèse, si l’on veut, de Sobhy, après une année de perfectionnement au U.S. Army War College, (USAWC) - très orthodoxe, là aussi... (Orthodoxe du point de vue du statut comme on le perçoit, mais qui n’a jamais hésité, le USAWC, à publier des travaux qui ne l’étaient nullement, cela faisant la réputation de qualité de l’établissement.)

...Et la thèse n’est pas, elle, vraiment orthodoxe. On en appréciera quelques extraits choisis, en ayant à l’esprit la modération que met un officier non-US qui fait une thèse dans un établissement de si grand prestige et si complètement au c ?ur de la communauté de sécurité nationale des USA, à une époque où l’orthodoxie (encore ce mot) du régime égyptien (Moubarak) était indiscutée.

 ? Sur la présence militaire US « visible », d’unités régulières, au Moyen Orient : « ...Cependant, c’est ce niveau de présence militaire étasunienne dans la région qui est à l’origine des effets de déstabilisation idéologique qui ont donné naissance aux activités des terroristes islamistes radicaux et d’Al Qaeda. Par conséquent, il faudrait envisager le retrait total des forces au sol des États-Unis de la région. » ... Et sur le substitut de cette présence militaire US, avec le remplacement des unités régulières par des unités de forces spéciales et autres groupes semi-clandestins de la sorte : « ...Il est presque certain que les sociétés arabes verront la présence et les opérations de ces unités militaires étasuniennes au Moyen-Orient d’un ?il soupçonneux si ce n’est pas avec une franche hostilité. Le manque de transparence qui accompagne la présence et les opérations des forces spéciales étasuniennes sera considéré par la "rue arabe" et les médias populaires de masse du Moyen-Orient comme étant susceptible de saper ou déformer les processus de démocratisation nationale. »

 ? Sur les relations des USA avec Israël : « Rien ne définit mieux l’opposition idéologique que les États-Unis doivent surmonter au Moyen-Orient que l’hostilité et les perceptions négatives dont ils sont l’objet dans la région à cause de la relation stratégique unique et partiale qu’ils entretiennent avec Israël. » ...Et sur l’exemple intéressant du traitement que font les USA de la question du nucléaire iranien par rapport au « traitement » (?) du nucléaire israélien : « Par exemple, dans le débat en cours autour de l’utilisation éventuelle du programme nucléaire civil iranien pour développer secrètement des armes atomiques, les États-Unis ont soigneusement évité de parler de l’arsenal nucléaire que possède Israël. Cette stratégie et sa mise en ?uvre concrète aura un grand impact sur la guerre idéologique que les États-Unis mènent sans grand résultat jusqu’ici pour conquérir de plus grands pans des populations musulmanes du Moyen-Orient (la "rue arabe"). »

 ? Sur la stratégie US en général au Moyen-Orient... «  La stratégie régionale des États-Unis au Moyen-Orient doit être redéfinie parce qu’elle ne peut pas continuer à se concentrer seulement sur la sécurité nationale d’Israël et la sécurité militaire des ressources en pétrole et des réserves du Moyen-Orient. La redéfinition doit aboutir à la participation directe et constructive de tous les acteurs du Moyen-Orient, même celle des acteurs qui ne sont pas des États et des groupes. »

 ? Sur la conclusion, enfin... « La solution des problèmes de sécurité du Golfe ne viendra pas nécessairement seulement de Bagdad ou du Golfe lui-même. Pour que ces solutions trouvent leur base idéologique, il faudrait que les États-Unis travaillent vraiment à une solution permanente du conflit israélo-palestinien. Les États-Unis peuvent poursuivre leur stratégie actuelle dans le Golfe largement basée sur leur présence et leur potentiel militaire. Cette stratégie n’apportera pas de solution aux problèmes politiques profondément enracinés dans des causes idéologiques, religieuses et culturelles. Les États-Unis et leurs alliés vont continuer d’être immergés dans un conflit militaire asymétrique de longue durée sans objectifs idéologiques et politiques clairs. »

...Par conséquent, nous constatons que ce qu’écrivait en 2005 le général Sedky Sobhy, au U.S. War College, pourrait avoir été écrit aujourd’hui par un général syrien ou par un général iranien. Un précurseur, en un sens.

Le très complexe président Morsi

Maintenant, le président Morsi... Il est l’objet d’un soupçon persistant de la part principalement de deux segments du large spectre qui prétend composer la force antiSystème général. (Il y aurait beaucoup à dire sur cette « force »-là, et sur sa qualification d’antiSystème ; on en a dit ici et , et l’on en dira encore.) L’un des deux segments fait partie de la frange radicale anti-globaliste, fondée essentiellement sur la mise à jour du complot sans fin des forces de la globalisation considérée comme une machine de guerre coordonnée, parfaitement efficace et sans cesse en progrès, - malgré ses nombreuses « victoires décisives », qui semblent chaque fois remises en cause par elle-même, cette machine de guerre, pour une « victoire [encore plus] décisive ».

Cette vision fait de Morsi un homme-lige. Dans ce cas, la référence contre lui devient la démocratie alors qu’en général le slogan de la démocratie est utilisé à l’avantage de la machine de guerre globalisante contre ceux qui lui résistent (Poutine en Russie). Morsi est donc accusé de bafouer la démocratie que le « printemps arabe » nous faisait espérer, pour pouvoir mieux servir la machine de guerre globalisante. S’y ajoute la thèse Sunnites versus Chiites... C’est l’analyse très fouillée et documentée de Tony Cartalucci, de LandDestroyer, le 13 août 2012. Bien que défini comme un dictateur qui bafoue la démocratie, Morsi est défini comme n’étant ni un « extrémiste » ni un « islamiste ». Pourtant, il est du camp qui rassemble l’ « extrémisme sectaire » contre le Hezbollah, la Syrie et l’Iran. Le complot est complexe.

« Morsi lui-même n’est en rien un "extrémiste" ni un "Islamiste". C’est un technocrate éduqué aux États-Unis qui fait seulement semblant d’avoir "une ligne dure" pour s’attirer le soutien fanatique des Frères Musulmans de la base. Plusieurs des enfants de Morsi sont même citoyens étasuniens. Morsi sera heureux de jouer le rôle de "l’anti-américain", "anti-sioniste", "islamiste" ricaneur, mais, même s’il pousse la comédie très loin, au bout du compte il finira par faire ce que veut l’Occident.

« Déjà, bien qu’ils aient fait semblant d’agiter de la propagande anti-américaine et anti-israélienne pendant la longue campagne des élections présidentielles égyptiennes, les Frères musulmans se sont ralliés aux appels américains, européens et israéliens en faveur d’une intervention "internationale" en Syrie. Tout comme la CIA, le Mossad et les États despotiques du Golfe, l’Arabie saoudite et le Qatar, les affiliés syriens des Frères musulmans ont fait entrer des armes, du liquide et des miliciens étrangers en Syrie pour alimenter la guerre par procuration de Wall Street, Londres, Riyad, Doha et Tel Aviv. [...]

« Flanqué à l’ouest par la Libye devenue grâce à l’OTAN un lieu de refuge pour les terroristes et à l’est par l’Arabie saoudite, l’épicentre du despotisme arabe, un empire terroriste soutenu par la finance et les multinationales allant du désert du nord du Mali aux rivages riches en pétrole de l’Arabie Saoudite, du Qatar et des Émirats arabes unis, est en cours de formation.

« Il n’y a pas de révolution. Au contraire, un front violent, extrémiste, multinational, a été constitué, comme cela était programmé depuis 2007, dans le but de déployer des extrémistes sectaires contre l’influence et les intérêts réunis du Hezbollah au Liban, du gouvernement syrien et de la République islamique d’Iran. En conséquence cette audacieuse conspiration géopolitique a aussi la Russie et la Chine dans le collimateur, ce qui laisse présager un conflit mondial de plus grande envergure encore. C’est une conspiration dont le prix sera : la vie des musulmans laïques et modérés ainsi que celle des non-musulmans de la région, la destruction d’antiques cultures et traditions et l’annihilation de tous les progrès sociaux et économiques réalisés depuis la chute de l’empire ottoman. »

Le soupçon orthodoxe de l’orthodoxie

Le second segment du front soi-disant antiSystème hostile à Morsi est celui de l’orthodoxie doctrinale, prise encore plus comme un principe de morale rigoureuse d’action en toutes choses, et sans le moindre compromis tactique, que par rapport à une idéologie. C’est notamment le cas du site WSWS.org, qui juge certes du point de vue trotskiste, mais qui entend surtout appliquer dans son jugement sur les autres domaines idéologiques ou sur l’action politique en général, la même rigueur idéologique qui le caractérise lui-même, pour son compte.

Pour WSWS.org, Morsi fait donc partie d’une organisation dont la collusion avec les forces capitalistes est avérée. C’est de cette façon que le site a jugé son action lors des troubles dans le Sinaï, à partir du 5 août. Le 9 août 2012, on lit sur le site : «  Le gouvernement des Frères musulmans de Morsi a lancé une opération de représailles après le raid armé du checkpoint de Rafah près de la frontière entre Gaza et Israël qui avait tué 16 Égyptiens et en avait blessé 8. Cette opération montre que les Frères travaillent en étroite coopération avec Israël et les États-Unis. » Le 13 août 2012, le texte de commentaire sur le « coup » du président Morsi est plus incertain. On note que Morsi est « dictatorial », « réactionnaire », donc du côté de la « bourgeoisie réactionnaire », - mais sans vraiment insister ni développer de critique idéologique, - après tout, Tantawi l’était tout autant, « dictatorial », « réactionnaire » et ainsi de suite, et il est dans la charrette remplie sur ordre de Morsi.

La souveraineté de l’Égypte dans le Sinaï

Au milieu de ce torrent d’interprétations (il y en a d’autres, ci-dessous, à suivre, on s’en doute), il y a tout de même des faits. On a vu la thèse du général Sobhy, en voici un autre complètement d’actualité. Il a été signalé notamment par Jazon Ditz, de Antiwar.com, le 14 août 2012 ; et il n’est pas rien. Il implique, fort discrètement et en termes très mesurés, - Morsi et ses hommes sont diablement prudents, - rien de moins que l’Anathème lui-même (majuscule, pour la cause) : la remise en cause d’un aspect fondamental du Traité de paix, donc du traité. (Pour certains commentateurs, comme Gregory L. Chang de Breitbart.com, le 15 août 2012, ces déclarations sont au moins aussi importantes que le « coup » du 10 août : Good Bye, Camp-David accords...)

« Les officiels étasuniens qui se plaignent de la présence militaire égyptienne relativement faible dans le Sinaï semblent oublier que selon les Accords de Camp David, le nombre de soldats que les Égyptiens "ont le droit" de maintenir à cet endroit est limité et qu’ils ne peuvent pas l’augmenter sans l’accord d’Israël. Étant donné que le nouveau président Mohammed Morsi cherche a intensifier ses opérations contre les militants le long de la frontière avec Israël, il se pourrait bien que cet aspect du traité soit reconsidéré, selon un collaborateur important de Morsi.

« Dans un interview à un journal égyptien, Mohamed Gadallah, le conseiller juridique de Morsi, a dit que Morsi cherchait un moyen de modifier le traité pour avoir la pleine souveraineté sur la péninsule, ce qui donnerait probablement à l’Égypte une plus grande marge de man ?uvre pour agir unilatéralement dans le secteur. »

Gardez à l’esprit ce terme-là, qui vaut tout le reste et fait anticiper l’incursion dans le fondamental de la position égyptienne et des rapports de l’Égypte avec Israël et les USA : « pleine souveraineté »... Le fondamental parce que nous entrons dans le domaine du Principe, par le biais d’un des principes fondamentaux, - principes structurants contre déstructuration.

Le flanc sud de Netanyahou

Ce signal alimente les arguments de ceux qui voient dans le « coup de Morsi » une avancée politique vers un changement fondamental de la position égyptienne, vers une position anti-israélienne et anti-US. C’est bien entendu le cas de DEBKAFiles qui, dès l’origine, a suivi une ligne d’analyse fondamentalement hostile à Morsi (et à l’évolution égyptienne depuis janvier 2011), c’est-à-dire privilégiant l’analyse de l’évolution radicale de l’Égypte.

Le dernier texte de DEBKAFiles sur le cas, le 13 août 2012, confirme complètement cette interprétation. En quelques lignes est résumé ce que le site juge être l’impact majeur des évènements du 10 août sur Israël...

« Dimanche à 10 H du matin, Netanyahu a affirmé à ses ministres qu’il n’y avait pas de pire menace qu’un Iran nucléaire. A 17 h 55, le président Frère musulman Mohamed Morsi a fait exploser une bombe au Caire. En un éclair, il a réduit à néant la clique militaire égyptienne qui gouverne le pays depuis des dizaines d’années, limogé le Conseil militaire suprême qui dirige l’Égypte depuis mars 2011 et enlevé aux généraux leur empire commercial en s’emparant du ministère de la défense et de l’industrie militaire. Ces fatidiques huit heures moins cinq minutes ont forcé les leaders israéliens à revoir leurs projets pour l’Iran... [...]

« Netanyahu est désormais face à un des dilemmes les plus délicats de toute sa carrière politique - faut-il poursuivre l’opération iranienne, qui exige la mobilisation de toutes les capacités militaires et de défense israéliennes - la difficulté étant surtout d’évaluer ses répercussions maintenant qu’il est tout à coup confronté à des problèmes de sécurité inattendus sur sa frontière sud ouest où la paix régnait depuis 30 ans. »

« Chevaucher le tigre »

C’est certainement le commentateur indien M K Bhadrakumar qui développe le plus ce thème d’un « coup » réorientant fondamentalement la politique égyptienne. D’abord, quelques mots sur son blog (Indian PunchLine), le 14 août 2012. M K Bhadrakumar se place du point de vue de la thèse courante et conformiste actuellement en vogue de la rivalité entre Sunnites et Chiites, avec les Saoudiens derrière l’activisme sunnite. Il rappelle ce que fut l’alignement de l’Égypte sunnite de Moubarak sur la politique saoudienne, anti-iranienne, et constate que cet alignement était beaucoup plus politique (deux « vassaux des USA ») que confessionnel... Mais tout change, désormais.

«  Mais l’équation est en train de changer même si l’Égypte et l’Arabie saoudite, resteront toujours des pays sunnites. Il est plus que probable que le président égyptien, Mohammed Morsi, participe au sommet des Non-Alignés à Téhéran en août et sa visite sera le signe de la normalisation des rapports politiques et diplomatiques entre les deux pays... [...] Voyez vous-mêmes : dimanche dernier, Morsi a pris des mesures décisives contre les hauts gradés de l’armée égyptienne et affirmé la suprématie du civil. L’Iran a semblé satisfaite de l’ascendant pris par le dirigeant élu du Caire. Mais, bizarrement, l’Arabie saoudite, elle, n’est pas contente. Le quotidien saoudien Asharq Al-Awasat a publié un article d’opinion du rédacteur en chef très négatif sur la consolidation du pouvoir de Morsi. Il dit que Morsi devient un dictateur et que cela va contre l’esprit de la révolution égyptienne en plus de constituer une "menace" pour la nation égyptienne. Oui, "voilà le danger" : que le pouvoir islamique dominé par les Sunnites du Caire soit en train de consolider son pouvoir politique !  »

L’argument de M K Bhadrakumar est beaucoup plus large et beaucoup plus général dans Strategic-Culture.org, le 15 août 2012. Il ne fait plus aucun doute pour le commentateur que l’orientation choisie par Morsi est désormais acquise, et constitue une divergence politique sensible et de plus en plus accentuée par rapport aux USA et à Israël. Ce qui est le plus remarquable, c’est l’incapacité où se trouvent les USA, notamment et particulièrement, de prévoir les évènements et l’orientation de Morsi et de l’Égypte... David Ignatius, qui y a été d’un commentaire mi-figue mi-raisin qui ne peut cacher le désarroi washingtonien, a défini la tâche des USA par rapport à l’Égypte de Morsi, selon cette expression fameuse : « chevaucher un tigre »...

« Les États-Unis savent qu’il n’est pas en leur pouvoir d’annuler ce qui vient de se passer. Les évènements de dimanche sont la preuve du déclin dramatique de l’influence des États-Unis en Égypte au cours de l’année dernière. Mais Washington a vite trouvé la parade en affirmant que Abdel Fattah al-Sissi, le nouveau ministre de la Défense nommé par Morsi, est une figure "connue" qui a fait son entraînement dans un collège étasunien il y a quelque 30 ans.

« Cela revient à éluder la vraie question. Le c ?ur du problème est que ce que Morsi a fait est loin d’être simplement un changement de figures militaires. Il a aussi abrogé la déclaration constitutionnelle qui visait à limiter le pouvoir du président et à donner à l’armée des pouvoirs législatifs et d’autres prérogatives. Il a amendé la constitution intérimaire pour empêcher l’armée d’avoir part aux décisions de politiques publiques, au budget, et au choix de l’assemblée constituante qui va rédiger la nouvelle constitution. Il s’agit pour le moins d’une prise du pouvoir par les Frères musulmans.

« Il est clair que Morsi a agi en fonction d’une décision collective des dirigeants des Frères musulmans. C’est une décision réfléchie et on ne connaît pas encore son impact sur la trajectoire future de la politique égyptienne. Comme dit Ignatius : "Il semble que la purge de dimanche inquiète beaucoup les Israéliens qui craignent que Morsi ne soit en train de prendre une série de mesure qui conduisent au conflit avec Jérusalem. Mais pour les États-Unis comme pour Israël, observer les développements en Égypte est un peu comme chevaucher un tigre - il est potentiellement très dangereux mais impossible à diriger”.  »

L’Histoire accélère et ne cesse d’accélérer

Finalement, l’argumentation de M K Bhadrakumar est peut-être, outre d’être convaincante, la plus éclairante sur le phénomène en cours en Égypte, - mais aussi en Syrie en un sens, et aussi en Turquie, et peut-être en Arabie, et ainsi de suite, comme un caractère fondamental du « printemps arabe » et, au-delà, des évènements généraux en cours, dans le cours de la crise haute en constant renforcement : leur rapidité, leur rythme, leur capacité de se générer eux-mêmes en quelque chose de différent. Son argumentation va en effet plus loin que le cas lui-même qu’elle entend traiter. Elle devient simplement exemplaire, au travers d’un cas qui ne cesse de nous stupéfier par son rythme, du rythme d’une séquence historique devenue métahistorique.

On dirait une fois de plus que l’Histoire accélère, et comme ce constat était déjà fait le 1er février 2011, on dira alors qu’elle ne cesse d’accélérer. (Déjà, le 30 janvier 2011, un parlementaire US cité dans le texte référencé disait : « Nous sommes encore en train d’essayer de comprendre ce qui se passe. Nous ne sommes pas encore fixés. [...] Les choses vont si vite, c’est difficile d’être tout à fait sûr de ce qui se passe [en Égypte]. ») Ou bien, l’on dira encore, variation sur un même thème qui montre l’infini richesse du phénomène, que le temps se contracte, ce qui était le même constat fait, déjà, le 22 février 2011, par l’amiral Mullen, alors président du comité des chefs d’état-major US. (« “Je suis frappé par la vitesse avec laquelle les choses se sont déroulées” a dit l’officier étasunien le plus haut gradé en parlant des révoltes. “Cela fait longtemps que nous parlons des problèmes sous-jacents. mais tout va si vite”, a-t-il dit aux journalistes. »)

La dynamique antiSystème contre la glaciation du Système

C’est à la lumière de ces constats qu’il faut examiner les évènements, notamment en Égypte, beaucoup plus qu’à l’éclairage falot et faiblard de nos lampes de poche pour stratèges de comptoir. Il s’agit de découvrir leur sens profond et, naturellement, fondamental.

Ainsi, au-delà des variations et humeurs des uns et des autres, sur le sens du « printemps » qui ne serait pas printanier, sur les intrigues, les complots, les corruptions qui sont de tous les temps, les enquêtes sur Morsi et les mannes de dollars répandus par la CIA, etc., il s’avère et se confirme qu’il y a une sorte d’unicité et d’exceptionnalité du phénomène. La chose dépend moins du sapiens comploteur habituel, et des grands stratèges washingtoniens et israéliens qui ne cessent de nous promettre depuis 2005 leur attaque ultime, surprise et ultra-rapide (contre l’Iran, par exemple), que des forces désormais en mouvement, et irrésistiblement en mouvement.

Nous ne faisons pas l’histoire, c’est l’Histoire qui nous fait à sa guise. Dans cette occurrence, bien entendu, les évènements vont dans un seul sens possible, qui est antiSystème, qui est une résistance dynamique et une riposte formidable aux situations de glaciation déstructurée qui furent établies ces dernières décennies par le Système.

Si Morsi agit comme l’éclair, dans quel sens voudrait-on qu’il agît sinon dans celui de l’antiSystème ! On perd un peu trop vite de vue qu’en Égypte, ce qui a été détruit et ce qui est en cours de destruction, c’est une situation déstructurée, vassalisée et ossifiée absolument acquise au Système (Moubarak). Tout ce qui bouge va contre cette situation, et si les choses bougent vite... L’affrontement, finalement, se fait entre la glaciation des situations statiques (le Système) et les dynamiques métahistoriques de bouleversement (nécessairement antiSystème). Qui n’admirera cette ironie de la métahistoire de faire un enjeu de la bataille antiSystème d’une « glaciation » (du Système) dans les pays des grands sables et du grand soleil ; cela (la « glaciation »), la nature du monde, enfin libérée, ne peut que le rejeter...

L’attraction du Principe

Cet ensemble dynamique se retrouve naturellement sur une grande idée, une structure exceptionnelle qui, seule, peut fédérer les forces en mouvement. L’idée de souveraineté, pour un Égyptien, après ce que l’Égypte a du subir pendant des décennies, ne peut être qu’irrésistible. Là aussi, ce n’est ni question de choix, ni d’idéologies, ni d’imbroglio religieux ni de man ?uvres tactiques... Le domaine est celui de l’évidence, parce que c’est celui du Principe fondateur de toutes choses.

Lorsque se produisent des incidents dans le Sinaï, quels que soient les arrangements et les manigances, quels que soient les organisateurs de la chose, et que les Égyptiens sont obligés d’aviser les Israéliens, comme pour avoir leur autorisation, qu’ils amènent quelques chars et quelques hélicoptères pour intervenir sur leur propre territoire, quel réflexe peut-on attendre sinon celui de constater l’intolérabilité de voir le principe de la souveraineté en cet état de constante violation ? Il en découle ce que Morsi a fait dire aussitôt, savoir que son but est de rétablir l’intégralité de la souveraineté égyptienne.

Ainsi la mécanique est-elle en marche pour broyer ce chiffon de papier qui organise depuis trente ans la vassalité de l’Égypte au Système. Désormais, il n’y aura de cesse de voir le Traité de 1979 dépouillé de toute substance et, par suite logique, de toute existence. Le chemin de la rupture est ouverte, et Washington devra encore pagayer ferme pour y comprendre quelque chose lorsque la chose sera accomplie.

16 août 2012 - Pour consulter l’original : http://www.dedefensa.org/article-no... -
Traduction des parties en anglais : Dominique Muselet


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