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Irak : les voitures-bombes ont-elles déjà tué la nouvelle offensive américaine ?

jeudi 5 avril 2007 - 07h:04

Mike Davis - The Electronic Iraq

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En dépit des assurances venant de la Maison Blanche et du Pentagone disant que, pour la sixième semaine consécutive, l’offensive des États-Unis dans la province de Bagdad et d’Al-Anbar suivait son cours, les « voitures-explosives suicides » continuent de dévaster les quartiers chiites et sunnites, souvent sous les nez des patrouilles et des checkpoints américains renforcés. En effet, février était un mois record pour les explosions de voitures, avec au moins 44 explosions mortelles rien qu’à Bagdad, et mars promet de reproduire ce carnage.

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19 mars 2007 : trois voitures piégées et deux bombes ont fait 18 morts et 37 blessés à Kirkouk, dans le nord de l’Irak - Photo : reuters/Slahaldeen Rasheed

Les voitures-bombes continuent à sauter dans l’horreur et de façon dévastatrice. En janvier et mars, les premières explosions chimiques « de bombe sale » ont eu lieu avec l’utilisation du gaz de chlore, donnant une possible nouvelle signification aux armes de destruction massive introuvables en Irak pour le président. Les combattants de différents groupes revendiquant une affiliation avec « Al-Qaïda en Mésopotamie » frappent maintenant sauvagement, et apparemment à volonté, contre les populations sunnites dissidentes dans la province d’Al-Anbar aussi bien que dans les secteurs chiites de Bagdad et contre les pélerins chiites en route vers le sud de la capitale. Avec chaque massacre, les bombes réfutent l’affirmation de l’administration de Bush selon laquelle les militaires américains « peuvent contrôler et sécuriser » Bagdad quartier par quartier ou établir ses propres patrouilles et mini-bases fortifiées pour se subsituer aux milices locales d’auto-défense.

Le 23 février, par exemple [...] un camion-suicide a tué 36 sunnites dans Habbaniya, à l’ouest de Bagdad, après que l’imam d’une mosquée locale ait dénoncé Al-Qaïda. Dix jours plus tard, un conducteur-kamikaze a fait exploser son camion dans le célèbre bazar littéraire de Bagdad, dans ce couloir serré fait de librairies et de cafés le long de la rue de Mutanabi, consumant au moins 30 personnes et, peut-être, les derniers espoirs d’une renaissance intellectuelle irakienne.

Le 10 mars, un autre candidat-suicide a massacré 20 autres personnes à Sadr-City, juste à quelques centaines de mètres d’une des nouvelles bases américaines. Le jour suivant, un transporteur de bombes a enfoncé sa voiture dans un camion complètement rempli de pélerins chiites, tuant plus de 30 d’entre eux. Une semaine plus tard, l’horreur a dépassé toute mesure quand une voiture-bombe a de toute évidence utilisé deux petits enfants comme moyen de leurrer un point de contrôle militaire, puis a sauté avec les enfants sur la banquette arrière.

Lors d’une démonstration d’une tactique qui s’est prouvée particulièrement mortelle au cours de la dernière année, une attaque à la voiture piégée le 23 mars a été coordonnée avec un assaillant portant un gilet-suicide et est presque parvenu à tuer le ministre Salam al-Zubaie, dont l’organisation tribale, le Conseil Anbar du Salut, avait accepté d’être financé par les Américains et avait été dénoncé par les jihadistes.

Quant au développement des véhicules-suicide, cependant, l’innovation la plus alarmante a sans doute été celle du début du mois de janvier avec des camions-bombes portant des réservoirs de gaz de chlore mêlés d’explosifs.

Naturellement, « les bombes sales, » habituellement de la variété nucléaire, ont été la hantise depuis longtemps des experts en matière d’anti-terrorisme (aussi bien que des producteurs de films alimentaires à la télévision), mais le charme sinistre des dispositifs radioactifs — dispersant des rayons mortels dans la ville de Londres ou dans Manhattan — a eu pour effet d’éclipser la probabilité bien plus grande que des bombes de fabrication artisanale seraient avant cela rendues plus séduisantes par leur coût très bas et par la facilité avec laquelle on peut combiner des explosifs avec n’importe quel produit toxique venant de l’industrie.

Comme si leur volonté était de souligner que les explosions avec des produits toxiques faisaient maintenant partie de leur arsenal standard, ceux qui sont à l’origine de ces attaques — identifiés comme d’habitude par les militaires américains comme des membres d’« Al-Qaeda en Mésopotamie » — trois attaques successives avec du chlore se sont produites le 16 mars contre les villes sunnites à l’extérieur de Falluja. Les deux attaques les plus importantes ont utilisé des camions-poubelle chargés avec des réservoirs de chlore d’environ 800 litres. Hormis les dizaines de personnes blessées ou tuées directement par les explosions, au moins 350 autres personnes ont été affectées par les nuages vert-jaune du chlore.

De la même façon qu’en avril 1915, lors des premières utilisations du gaz de chlore sur le front occidental pendant la Première Guerre Mondiale, ces explosions ont semé la panique, soulignant — comme les attaquants l’avaient sans aucun doute prévu — l’incapacité des Américains à protéger leurs alliés potentiels dans la province d’Al-Anbar, le centre de l’insurrection sunnite. (La découverte récente de stocks de chlore et d’acide nitrique dans un quartier sunnite à l’ouest de Bagdad diminuera à peine ces craintes.)

Les ondes chocs des « bombes sales » de mars ont également fait trembler les vitres des fenêtres sur le fleuve Hudson, où les experts en la matière du département de police de New York (NYPD) ont averti les médias que la faible sécurité dans les usines chimiques de la localité alimentait le danger d’attaques par des imitateurs utilisant des produits chimiques volés.

Un haut fonctionnaire, resté anonyme, du bureau du département anti-terroriste a déclaré à l’agence Reuters que « le NYPD s’attend à ce que de possibles attaquants visant New York tentent d’importer la même tactique. » En même temps, deux sénateurs démocrates du New Jersey — Robert Menendez et Frank Lautenberg - se sont plaints que l’administration Bush favorisait l’industrie chimique en empêchant le New Jersey et d’autres états de mettre en application des règlements plus stricts en matière de sécurité.

En attendant, en revenant à l’Irak, les nuages de chlore et les camions-bombes ont lancé les troupes des États-Unis dans une chasse générale et désespérée pour trouver « les usines fabriquant les voitures-piégées » que le Général William Caldwell dit prolifèrer dans les banlieues pauvres et les domaines industriels entourant Bagdad.

Par ailleurs, l’image d’une industrie clandestine de voitures piégées est pleine d’ironie. La ceinture industrielle de Bagdad contient des centaines d’usines d’état ou privées qui fabriquaient autrefois de la nourriture en boîte, des tuiles, des vêtements pour enfants, des autobus, des engrais, du verre commercial, et d’autres produits semblables. Depuis l’invasion américaine, cependant, les usines tournent à vide, ou sont à l’état d’épaves, et leurs forces de travail autrefois mélangées de sunnites et de chiites se sont dispersées, sans emploi, dans les voisinages de plus en plus organisés selon l’appartenance sectaire. Le taux de chômage dans le « grand Bagdad » est selon les estimations de 40 à 60%.

Il est peu probable que les incursions en cours — en utilisant les troupes qui autrement sécuriseraient les rues et « gagneraient les coeurs et les esprits » — découvriront plus qu’une minuscule fraction des « usines à bombes » de la ville. En effet, la voiture-bombe — encore plus que les bombes sur les bords des routes (IEDs) qui remplissent les cimetières de Humvee — s’est avérée être globalement une arme presque invincible aux mains de gens faiblement armés et financés, aussi bien que l’une des armes de destruction massive que l’administration de Bush a totalement ignorée. Aucun des commandants américains sur le terrain en 2003 et 2004, encore moins ceux qui rêvent tout éveillés d’empires et que l’on trouve dans les groupes néoconservateurs de réflexion à Washington, ne semblent avoir prévu l’ubiquité liée à son utilisation.

Selon une enquête par échantillonnage sur la mortalité en Irak depuis l’invasion des États-Unis, effectuée par des épidémiologistes à l’école de Johns Hopkins Bloomberg pour la Santé Publique et des médecins irakiens (organisés par l’université de Mustansiriya à Bagdad), environ 78 000 Irakiens ont été tués par plusieurs milliers de véhicules explosifs entre mars 2003 et juin 2006. D’ailleurs, comme je l’explique dans mon ouvrage récemment édité sur l’histoire de la voiture-bombe [Buda’s Wagon] il y a peu d’espoir qu’une quelconque avancée technologique ou qu’un miracle scientifique permette la détection fiable d’une Mercedes volée avec 250 kilos de C-4 dans le chassis ou d’un camion-poubelle chargé avec des réservoirs de chlore et d’explosifs puissants roulant au ralenti dans un des embouteillages gigantesques que connait Bagdad. (Et les points de contrôle ? Juste un synonyme pour des cibles occasionnelles.)

En attendant, ceux qui font exploser les bombes parient évidemment que s’ils peuvent soutenir le niveau actuel de carnage, les milices chiites seront renvoyées dans les rues pour protéger leurs quartiers (car les troupes américaines en sont incapables), risquant une confrontation sanglante et générale avec les forces des États-Unis pour le contrôle du vaste taudis chiite de Sadr-City et d’autres quartiers chiites à l’est de Bagdad. De l’autre côté, le Lieutenant-Général David Petraeus, expert en matière de contre-insurrection et l’esprit supérieur de l’offensive actuelle, doit stopper les voiture-bombes pour le début de l’été, ou il devra sinon faire face à une probable révolte populaire dans Sadr-City. Avec chaque explosion, ses chances de succès diminuent.


Mike Davis est l’auteur de « Buda’ Wagon » récemment édité, ainsi que de « Planet of Slums » parmi d’autres travaux.

28 mars 2007 - The Electronic Iraq - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electroniciraq.net/news/2969...
Traduction : Claude Zurbach [Info-Palestine]

Et aussi :
- Survivre dans Bagdad la rouge
- Futurs sombres pour l’Irak
- La guerre en privé


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