Mahmoud Sarsak : mes pensées sont avec mes camarades Akram Rikhawi, Samer Al-Barq, et Hassan al-Safadi
mercredi 18 juillet 2012 - 09h:35
Shahd Abusalama - EI
Rencontre avec Mahmoud Sarsak : "Ce n’est pas ma victoire, c’est la vôtre."
- Mahmoud Sarsak portant des médailles, entouré de personnes venues lui manifester leur soutien. L’auteur initial de l’article est la troisième en partant de la droite.
Depuis que nous avons appris que Mahmoud Sarsak serait libéré, les gens à Gaza attendaient ce jour avec impatience, un jour qui entrerait dans l’histoire de la Palestine.
Sarsak retournerait enfin chez lui après avoir été détenu par Israël pendant trois ans sans accusation ni procès, et après une légendaire grève de la faim de trois mois. Sa faim de liberté l’a presque tué. Il est enfin retourné à Gaza le 10 juillet, et je l’ai rencontré le vendredi.
Dans l’attente de la libération de Mahmoud
Le 18 juin, quand j’ai entendu aux infos qu’Israël avait accepté de libérer Mahmoud Sarsak, je me suis précipitée à la tente de solidarité avec les prisonniers près du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Même l’air semblait différent quand je suis sortie. La liberté emplissait l’atmosphère.
La première personne que je reconnue à la tente était l’héroïne Hana Shalabi, une ex-détenue qui avait fait une grève de la faim de 43 jours pour gagner sa liberté, sous condition d’être déportée à Gaza pour trois ans. J’ai couru vers elle et elle m’a prise joyeusement dans ses bras en me disant : « Félicitations pour la libération de Mahmoud ! ». Tout le monde faisait le signe de la victoire et chantait pour la liberté. Un homme est ensuite venu avec un grand plateau de sucreries et s’est mis à les distribuer.
Quand ç’a enfin été le 10 juillet, les chaînes de télévision et radios palestiniennes ont rapporté ce fameux événement. Des milliers de gens ont accueilli Mahmoud au check-point d’Erez, là même où il avait été arrêté il y a trois ans.
Quand l’ambulance est passée du coté de Gaza, Mahmoud est apparu à la fenêtre, un ballon de football dans une main et faisant signe de l’autre à la foule impatiente de le voir.
À la recherche de Mahmoud Sarsak
Bien que je ne supporte pas les longs trajets, vendredi dernier, j’étais assez excitée pour tolérer une heure de route afin de rendre visite à Mahmoud chez lui à Rafah, sachant qu’il ne serait peut être même pas à la maison.
Un groupe d’activistes étrangers m’ont accompagnée dans l’aventure. « Et s’il n’est pas là ? », se demandait mon amie Fidaa, une Américo-Palestinienne militante pour les droits de l’homme. « On attendra qu’il revienne ! », ai-je immédiatement répondu.
Nous sommes arrivés à Star Square, près de la maison de Mahmoud. Il était facile de trouver sa maison avec tous les posters et graffitis répandus un peu partout sur les murs des allées du camp de Rafah.
« Le marié vient de partir pour Gaza City », nous ont dit ses voisins, mais nous étions quand même excités d’être chez lui, là où le « marié » avait grandi, et de pouvoir rencontrer ses parents, qui ont élevé un révolutionnaire.
Les parents de Mahmoud étaient très chaleureux et accueillants. Sa maison était petite et modeste, mais emplie de chaleur et de joie. Elle était pleine de voisins, proches, et étrangers qui, comme nous, avaient voyagé à travers la bande de Gaza pour rencontrer Mahmoud. Beaucoup d’entre nous n’avaient aucun lien avec lui, mais le fait que nous avons tous suivi son combat depuis ses premiers jours de grève la faim nous a fait sentir comme si nous étions connectés à lui. Mahmoud Sarsak, un héros palestinien, est devenu un symbole de notre résistance.
« Les mots ne peuvent pas exprimer la joie que j’ai ressenti quand Mahmoud a retrouvé sa liberté suite à sa détention injuste », me dit sa mère. « C’est comme si mon fils s’était échappé de sa tombe ! Mais Mahmoud n’en avait pas peur. Il avait choisi un combat qui le mènerait soit à la liberté soit au martyre. »
On lui a demandé de quelle manière elle recevait de ses nouvelles pendant sa détention. « Les trois ans ont passé sans que je puisse lui rendre visite une seule fois ; comme toutes les familles de détenus vivant à Gaza, on endure cette même souffrance depuis 2006. Alors on comptait sur le CICR pour avoir des nouvelles sur sa situation. »
Elle a poursuivi : « On n’a pas eu droit à des nouvelles pendant une année entière. Ensuite nous pouvions heureusement recevoir des lettres de Mahmoud transmises par le CICR pendant un court moment, mais je ne sais pas lire. À chaque fois que nous recevions une lettre, son frère Emad s’enfermait dans sa chambre et pleurait pendant des heures. Puis, après qu’il avait repris ses esprits, il venait et me disait de ne pas m’inquiéter, que Mahmoud allait bien et qu’il continuait de jouer au football.
« Pendant la grève de la faim de Mahmoud, j’étais épuisée physiquement et psychologiquement. Mes fils ont dû m’emmener à l’hôpital plusieurs fois. Puis c’est comme si j’étais revenue à la vie quand j’ai appris qu’Israël avait accepté de le libérer sous la condition de mettre un terme à sa grève de la faim. Je prie pour que toutes les mères de détenus connaissent un tel soulagement et puissent célébrer la libération de leurs fils. »
Les visiteurs se faisaient de plus en plus nombreux, alors nous sommes partis pour laisser aux autres l’opportunité de parler avec la merveilleuse mère de Mahmoud.
Une rencontre très inspirante avec Mahmoud
Je ne pouvais pas laisser tomber la rencontre avec Mahmoud en personne si facilement. On avait quand même voyagé depuis l’extrême Nord jusqu’au Sud de la bande de Gaza pour lui ! Donc j’ai appelé son frère Emad, que j’avais déjà rencontré plusieurs fois à la tente. Quand il a décroché, je lui ai dit que je venais de rendre visite à sa famille avec un groupe d’amis, et que nous étions très contents d’avoir rencontré ses parents. Il a apprécié notre visite, et nous a suggéré de le rencontrer dans un restaurant à Gaza. On a accepté l’offre tout excités.
Ne pas oublier les prisonniers en grève de la faim
Nous sommes arrivés au restaurant en fin d’après-midi. Mon c ?ur battait de plus en plus fort au fur et à mesure que l’heure de la rencontre approchait. J’ai vu Emad qui nous attendait à l’entrée. Il nous a accueillis et nous a présentés à Mahmoud, qui nous a demandé gentiment de nous joindre à sa table.
Être assise en face de lui me rendait très nerveuse, mais aussi fière de pouvoir le regarder dans les yeux en lui parlant. Il portait deux médailles en or et une écharpe qui combinait le drapeau palestinien et le keffieh. « Dieu merci, tu es libéré » lui ai je dit. « Qu’est-ce que ça fait d’être libre à nouveau ? »
« Mon bonheur est incomplet, puisque la révolution des ?estomacs vides’ est encore en cours », m’a-t-il répondu. « Mes pensées sont avec mes camarades Akram Rikhawi (*), Samer Al-Barq, et Hassan al-Safadi, qui se trouvent en ce moment dans des conditions critiques à Ramla, l’hôpital des prisonniers. J’ai été libéré de là-bas, donc je connais parfaitement la négligence dans les soins envers les détenus. Le service de la prison israélienne ne nous transfère pas pour des traitements, mais pour la torture. »
« Être chez moi m’avait manqué »
Il était si humble que cela apportait beaucoup à son charme. Il n’arrêtait pas de répéter qu’il n’aurait jamais gagné ce combat sans la solidarité populaire et internationale qu’il a reçue. « Ce n’est pas ma victoire, c’est la vôtre. J’ai tiré ma force et mon équilibre de vous. » Il était évident qu’il avait perdu beaucoup de poids, mais il était quand même en bonne santé. Joe Catron, un militant américain qui a rencontré beaucoup de détenus libérés, a dit plus tard qu’il n’avait jamais vu un récent gréviste de la faim en si bonne forme.
Le sourire de Mahmoud ne l’a pas quitté de toute la rencontre. Il nous a accordé toute son attention. Quand je lui ai demandé si Gaza semblait différente après trois ans, il a ri et a dit : « Gaza semble très différente pour moi. C’est une très belle ville en dépit de sa petite taille. J’aime sa plage, son air pur, ses gens aimables. Tout m’a manqué à Gaza. Être chez moi m’avait manqué. »
Un rêve interrompu : on peut résister à travers le sport
Fidaa a demandé à Mahmoud s’il s’attendait à se faire arrêter il y a trois ans quand il passait le check-point d’Erez. « Pas du tout ! », dit-il. « J’étais ravi de pouvoir réaliser mon rêve de pouvoir jouer au football dans une compétition nationale en Cisjordanie, dans le camp de réfugiés de Balata. Quand on m’a appelé à une rencontre pour une question de sécurité, je n’avais pas peur. Je m’attendais à ce qu’ils me demandent de collaborer avec eux. J’étais confiant et m’étais préparé à les repousser. J’étais choqué quand ils m’ont brutalement passé les menottes.
Je l’ai interrompu et dit : « Pourquoi penses-tu avoir été arrêté si tu n’as jamais pris part à la résistance ? »
« La résistance n’est pas forcément une résistance armée », dit-il. « On peut résister avec un stylo, une brosse, la voix, le sport. Nous sommes tous des combattants pour la liberté, mais chacun de nous a sa propre arme. » Sa réponse, passionnée et éloquente, nous a impressionnés encore plus que nous ne l’étions déjà. Il a poursuivi : « Le sport est une forme de résistance non violente. Représenter l’équipe nationale de football de la Palestine faisait de moi une menace pour Israël. L’idée de construire la présence de la Palestine dans le monde du sport m’a toujours passionné. J’ai représenté la Palestine dans plusieurs matchs de football à l’échelle locale et internationale, et j’avais l’honneur d’agiter son drapeau partout où je jouais. »
La foi en la justice renforcée par l’expérience
Plus il parlait, plus je l’admirais, surtout quand je lui ai demandé ce qui avait changé en lui après sa détention. « Ma foi en notre juste cause est devenue plus profonde et plus forte », a-t-il répondu. « Ma détermination pour dévoiler les pratiques inhumaines et fascistes des sionistes ainsi que leurs violations de nos droits humains les plus élémentaires, est devenue ma raison de vivre. »
Il se faisait tard, nous devions mettre un terme à notre captivante conversation. Mahmoud Sarsak est l’une des personnes les plus inspirantes que j’aie rencontrées. Je me souviendrai de chacun de ses mots toute ma vie. Selon lui, nous avons tous contribué à sa victoire. Unissons-nous pour atteindre encore plus de victoires pour Akram Rikhawi, Hassan Al Safadi et Sammer Al-Barq. Faites de ces hommes une raison de vivre, et combattez l’injustice par n’importe quel moyen que vous pouvez utilisez.
Shahd Abusalama, 20 ans, est une artiste palestinienne, bloggeuse et étudiante en littérature anglaise à Gaza City. Être la fille d’un ex-détenu fut pour elle sa première source d’inspiration pour son travail et pour combattre l’injustice à travers ses dessins et ses écrits. Vous pouvez la suivre sur Twitter @shahdabusalama
(*) La situation de ce prisonnier de Gaza, père de 8 enfants, qui en est à son 97e jour de grève de la faim aujourd’hui est particulièrement préoccupante. Lire plus ici.
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