La « révolution » en Libye a donné un film de jubilation narcissique d’un filou-sophe qui ne laissera pas de traces dans l’histoire du cinéma. Elle provoque des répliques autrement plus dramatiques au Mali. Et on risque de revoir ce philosophe « people » sur les plateaux appelant à envoyer des troupes pour sauver les mausolées de Tombouctou que les satrapes djihadistes ont entrepris de détruire.

En Libye, une guerre peu médiatisée se poursuit. Elle oppose comme la « précédente » des Libyens entre eux mais comme les avions de l’Otan ne s’en mêlent pas, les médias d’Occident n’en ont que faire. Il y a eu, depuis mercredi, une cinquantaine de morts et plus d’une centaine de blessés, dont des enfants et des femmes, dans des affrontements dits tribaux à Koufra. La routine sur fond de règlements de comptes ethniques et racistes.

En Europe, ceux qui ont décidé, pour des raisons peu humanitaires, de mener une « révolution » en Libye, peuvent dormir tranquille. Aucune dramatisation médiatique ne vient soulever des questions gênantes sur une « libération » qui débouche sur des situations d’oppression qu’on ne veut pas voir. Comme les « gars » ne sont pas dans le ciel à faire joujou sur des cibles au sol, on s’occupera plutôt de football, n’est-ce pas ? La dictature de Kadhafi est tombée, qui peut le regretter ? De nombreux Libyens constatent cependant que la dégradation de la situation sécuritaire et l’état d’anomie générale ne se résorbent pas mais s’aggravent. Il n’y a pas d’État, il y a les multiples gouvernements de milices. Et les choses sont telles que le très pâle gouvernement du CNT en est arrivé à décréter une partie du territoire libyen « zone militaire » et à annoncer que tous les moyens seront utilisés pour rétablir l’ordre.

Le politologue et ancien ministre mauritanien des Affaires étrangères, Mohamed Mahmoud Ould Mohamedou, a mis des mots derrière l’énorme rejet des opinions publiques dans le monde arabe de la séquence libyenne, celle qui est venue brouiller et briser le grand élan de sympathie suscité par les mouvements de contestation en Tunisie et en Égypte. Les mouvements en Tunisie, en Égypte et même au Yémen ont été « autoproduits » alors que le changement en Libye a été obtenu à la faveur d’une action externe. Dans ces pays - et même si cela se passe dans la difficulté -, les processus avancent, en Libye, la « révolution a été infantilisée par l’intervention militaire ». Et last but not least, si les révolutions tunisienne et égyptienne sont confinées à leur propre territoire, le « vortex libyen » s’est répandu vers le Sahel et y provoque une forte déstabilisation.

La « révolution » en Libye a donné un film de jubilation narcissique d’un filou-sophe qui ne laissera pas de traces dans l’histoire du cinéma. Elle provoque des répliques autrement plus dramatiques au Mali. Et on risque de revoir ce philosophe « people » sur les plateaux appelant à envoyer des troupes pour sauver les mausolées de Tombouctou que les satrapes djihadistes ont entrepris de détruire. Il ne faut pas s’attendre à ce que ceux qui ont planifié et appliqué l’intervention en Libye se remettent en cause. Cela ne se fait pas. Pas plus qu’il ne viendra pas à un procureur du TPI de s’intéresser à la légalité de l’intervention militaire en Irak et de la « responsabilité » des dirigeants américains de l’époque au sujet du coût exorbitant payé par les Irakiens.

Mais, le politologue mauritanien le souligne, cette intervention est aussi le fruit de manquement des pays du Sud et de leur incapacité à agir pour prévenir et résoudre les crises. Il souligne cependant que face à l’interventionnisme, la « seule voie viable du développement et de la stabilité demeure celle de la souveraineté ». Et rien de ce qui se passe en Libye et au Sahel ne vient le contredire. Une révolution ne s’importe pas.





Du même auteur :

 Foot : Un buzz douteux
 Le gambit russe
 Libye-Leaks : les amitiés particulières
 La Libye en voie de démembrement ?
 Obama sous pression de l’AIPAC
 France : La République bling-bling
 Des monarchies actives, des "Républiques" tétanisées
 Une guerre et des débiteurs
 Traquenard dans une rébellion

[...]

2 juillet 2012 - Le Quotidien d’Oran - Éditorial