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Libye : les migrants détenus face à de dures conditions, à un vide juridique

mardi 3 juillet 2012 - 06h:17

IRIN

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Il n’existe actuellement aucun cadre juridique permettant de faire la distinction entre migrants économiques et demandeurs d’asile. Et comme le pays est aux prises avec la consolidation d’une structure gouvernementale formelle, il semble qu’il n’y ait aucun projet clair sur la question des migrants.

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Les migrants somaliens constituent la majorité des détenus au centre de détention de Ganfouda, selon les autorités.
(photo : Zahra Moloo/IRIN)

Suleiman Mansour (*), jeune somalien de Mogadiscio, passe ses journées enfermé avec quinze autres migrants dans l’une des nombreuses pièces où l’on garde les détenus au centre de détention de Ganfouda, deuxième ville de Libye. Ils sont allongés sur des matelas appuyés contre des murs où sont gribouillés des noms et des slogans : l’un disant « J’aime la Somalie ».

« Je suis ici depuis quatre mois », dit Mansour à IRIN. « J’ai quitté Mogadiscio en août de l’année dernière et j’ai été arrêté à Koufra avant d’être amené ici. Certains d’entre nous avaient des papiers, mais ils sont toujours détenus à Koufra. » Koufra, ville dans le désert (sud-est de la Libye), se trouve au point de rencontre des frontières avec l’Égypte, le Tchad et le Soudan.

Une autre pièce est occupée par 36 hommes, principalement des Égyptiens. « Nous étions en Libye avant même la révolution, mais après, des gens avec ou sans papiers ont été pris dans les rafles » dit l’un d’eux qui auparavant travaillait comme cuisinier à Benghazi avant d’être détenu. Benghazi est un bastion clé des forces de l’opposition qui ont renversé le régime de Mouammar Kadhafi en 2011.

Au cours de l’insurrection de la Libye, un certain nombre de migrants africains subsahariens ont été accusés de travailler comme mercenaires de Kadhafi. En l’absence de tout système formel de justice, avec des groupes de miliciens contrôlant de vastes régions du pays, et un sentiment anti-africain omniprésent en Libye, beaucoup ont été frappés et emprisonnés.

Selon les autorités de Ganfouda, les migrants qui y sont actuellement détenus ne sont pas accusés d’être des mercenaires, ils sont enfermés pour n’avoir aucun papier, ou pour avoir des papiers périmés et de faux visas. Il y a environ 400 détenus dans le centre, dont 150 Somaliens, 100 Bangladais et d’autres du Soudan, d’Égypte, de Syrie, du Nigéria, du Ghana, d’Éthiopie et d’Érythrée.

Leurs conditions sont dures. Des détritus sont éparpillés dans les couloirs de l’un des bâtiments ; les détenus mangent, dorment et font leurs besoins dans la même pièce. La nourriture, que les autorités disent être distribuée trois fois par jour, consiste en un grand saladier de spaghettis partagé entre des groupes de cinq détenus.

« Leur politique, c’est de rassembler les gens soit ici à Benghazi soit à Koufra, et de les mettre en détention, parfois le nombre ici va jusqu’à 1800 personnes, et le centre n’est pas capable d’y faire face » a déclaré à IRIN Yolande Ditewig, directrice de l’antenne de Benghazi de l’Agence des Nations-Unies pour les réfugiés (UNHCR). « Mettre des gens en détention, c’est provoquer une situation humanitaire si vous n’avez pas les fonds qui permettent d’en prendre soin. De nombreux pays mettent des migrants en détention, mais il n’y aucune installation pour eux, pour la nourriture et le sanitaire qui soit aux normes. »

Avant le soulèvement, on comptait entre 18 et 24 centres de détention d’après Samuel Cheung, administrateur principal chargé de la protection pour l’UNHCR. Le nombre actuel n’est pas connu. Les autorités de Ganfouda se plaignent que le gouvernement ne leur fournit aucune aide. Ahmad Mansour Shekey, gardien au centre : « Nous n’avons aucun soutien. Ces ordinateurs viennent de chez moi. Je n’ai pas été payé depuis octobre 2011, mais je le fais comme bénévole, parce que j’aime la Libye ».

Une partie du problème vient du fait que le ministère de l’Intérieur n’a pas été en mesure d’assurer le contrôle des centres. Ils sont gérés par des groupes de personnes dont l’allégeance est souvent inconnue. Selon l’UNHCR, la direction de Ganfouda a changé quatre fois au cours des six derniers mois et ne dépend d’aucune unité gouvernementale spécifique.

Absence de cadre juridique

Il apparaît aussi que Ganfouda fonctionne comme un bureau local pour le travail, quelques migrants sont autorisés à travailler, bien qu’en vertu de l’article 3 de la loi libyenne sur l’Immigration illégale, datant de la période d’avant l’insurrection, quiconque emploie un migrant illégal est passible d’une amende de mille dinars (800 $ US - 630 ? environ).

Hassan (*), migrant égyptien, parlant à IRIN : « Des gens parfois nous demandent de travailler dans leurs fermes, et nous le faisons pendant quelques mois. Mais ensuite, nous revenons au centre de détention ». « J’ai été pris comme ouvrier agricole pour environ 300 dinars par mois (240 USD - 190 ?). Mais si nous pouvons sortir pour aller travailler, pourquoi ne pourraient-on pas être tout simplement libérés ? Pourquoi devons-nous toujours revenir au centre ? »

Un migrant somalien, Abdul Mahmoud (*), dit également qu’il a été pris pour travailler sur un chantier de construction, puis qu’on l’a ramené au centre. Un autre dit avoir travaillé dans une ferme, payé 200 dinars par mois (160 USD - 126 ?).

« Nous sommes, c’est certain, préoccupés par l’exploitation du travail, et par les abus », déclare Cheung. « Il y a quelques déclarations, non confirmées, de migrants disant ne pas avoir reçu leur salaire, ou que leur salaire a servi à l’entretien du centre. Mais à ce moment-là, les centres de détention libéraient aussi les gens pour qu’ils puissent travailler et ils leur donnaient une chance d’être régularisés ».

Dans les années quatre-vingt-dix, la Libye encourageait la migration depuis l’Afrique subsaharienne, pour pallier le manque de main-d’ ?uvre non qualifiée dans le pays. Mais les années suivantes ont vu monter un sentiment national anti-immigrant qui a conduit à des attaques généralisées contre les migrants africains subsahariens et à des rapatriements forcés occasionnels vers leurs pays d’origine. Sous Kadhafi, il a existé aussi une coopération croissante avec l’Union européenne pour endiguer la migration en Europe.

Il n’existe actuellement aucun cadre juridique permettant de faire la distinction entre migrants économiques et demandeurs d’asile. Et comme le pays est aux prises avec la consolidation d’une structure gouvernementale formelle, il semble qu’il n’y ait aucun projet clair sur la question des migrants.

« Il n’y a aucun cadre d’asile, aucun système juridique pour traiter de ce problème » dit Ditewig. « Si vous arrêtez quelqu’un, vous devez le classer soit comme migrant soit comme demandeur d’asile. S’il est dit qu’il s’agit d’un réfugié, alors il est préférable de lui donner des papiers et de le laisser aller. Sinon, vous devez décider si vous lui donnez un permis de travail, ou si vous l’expulsez. »

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Selon les autorités, la nourriture est distribuée trois fois par jour aux détenus, mais elle consiste simplement en un saladier de spaghettis à partager entre cinq détenus.
(photo : Zahra Moloo - IRIN)

Pour le personnel du centre de Ganfouda, le but principal de la détention des migrants est de les empêcher de traverser la mer vers l’Europe. Si la Libye est bien connue comme itinéraire de transit, elle a aussi été pendant longtemps un pays de destination pour les migrants économiques, et beaucoup à Ganfouda disent vouloir rester en Libye pour travailler.

« J’ai payé 300 USD (237 ?) pour traverser le désert par le Niger. Beaucoup sont morts de soif en route », déclare Fever Okoro, détenu nigérien, à IRIN. « Je veux rester ici et exercer ma profession de soudeur. Ici, il y a des opportunités. »

Les officiels du gouvernement, cependant, ne croient pas que les migrants illégaux viennent en Libye pour y trouver un emploi. « Nous voulons qu’ils travaillent, mais eux ne veulent pas. Ils veulent juste avoir une chance de passer en Europe » dit le général Issa Hammad, chef de la section Sécurité et Immigration du ministère de l’Intérieur, à IRIN. « Même les Ghanéens et les Nigériens, souvent ils restent ici quelques temps, mais finalement, ils veulent aussi aller en Europe ».

Pour les migrants qui cherchent refuge devant les bouleversements politiques, Hammad pense que les solutions doivent être trouvées dans leurs pays d’origine. « Pour des nationalités comme les Somaliens, il faut trouver une solution pour qu’ils puissent rester dans leur propre pays » a-t-il dit. « Autrement, la meilleure solution est de les garder dans des centres. Sinon, il nous faudra continuer à les repêcher en mer ».

Hammad ne semble pas conscient que les migrants à Ganfouda sont employés sur place. « C’est illégal. D’après la législation libyenne, vous ne pouvez pas faire des contrats de travail à des gens qui sont arrêtés » dit-il. « Peut-être acceptent-ils de travailler pour des bas salaires, juste pour sortir du centre, et puis s’enfuir ».

Dans toutes les grandes villes de Libye, les migrants d’Afrique subsaharienne, du Bangladesh, d’Égypte et d’autres pays sont employés comme ouvriers dans le nettoyage, la construction et l’agriculture et comme personnel de maison, des professions que les Libyens rechignent à exercer. La violence et le bouleversement déclenchés par l’insurrection de 2011 ont déplacé 790 000 personnes, représentant ce que l’Organisation internationale de la Migration (IOM) décrit comme « l’une des plus grandes crises de migration de l’histoire moderne ».

Un récent rapport de l’IOM conclut que « la Libye pourrait rencontrer de graves difficultés économiques et sociales si elle ne peut attirer tant des migrants qualifiés que peu qualifiés, pour aider à reconstruire le pays. »

La Libye va traverser une période de redéfinition d’elle-même » dit Cheung. « Le nouveau gouvernement est toujours en quête de règles pour le marché du travail. Certains réajustements auront certainement lieu dans la politique migratoire. »



(*) Ce ne sont pas leurs vrais noms.

Benghazi 3 mai 2012 - Irin - traduction : Info-Palestine.net/JPP


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