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Les élections égyptiennes et la culture de la terreur

vendredi 8 juin 2012 - 06h:34

Abdel Bari Atwan

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Il est possible que la démocratie soit une solution à de nombreux problèmes dans de nombreux pays. Mais peut-être en Égypte se transforme-t-elle en un véritable dilemme.

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La Place Tahrir au Caire est toujours l’épicentre de la révolution égyptienne - Photo : AFP/Mohammed Abed

L’Égypte est pourtant le plus grand des pays arabes dont le peuple s’est engagé dans une grande révolution pour parvenir jusqu’à la démocratie. Et, le dilemme fera germer de nombreux problèmes si la voie pour satisfaire cette revendication est compromise.

Expliquons nous davantage : le peuple égyptien, qui penche en majorité vers le centre et l’opposition pacifique, doit choisir lors du second et dernier tour électoral entre deux candidats de droite. L’un d’eux, Mohammed Morsi, est islamiste et veut fonder un État religieux appliquant la Charia. Le second [Ahmed Chafik] [1] est laïque et met en vitrine le slogan d’un État civil [2] démocratique pour en réalité ?uvrer au clonage du régime précédent. La manière qu’aura le peuple égyptien de traiter ce dilemme électoral est ce qui va définir non seulement l’identité égyptienne mais aussi celle du monde arabe dans son ensemble. C’est pourquoi avec des dizaines de millions d’Égyptiens en tête, nous posons les mains sur nos c ?urs et ensuite avec nous tous les Arabes.

Les deux chevaux de course sur la ligne d’arrivée récolteront certes à eux d’eux au moins la moitié des voix des électeurs du premier tour mais il reste 12,4 millions d’Égyptiens qui ont voté pour les autres candidats et c’est eux qui décideront du prochain président égyptien à la condition que les élections soient transparentes, libres et dépourvues de toutes ingérences militaires d’abord et de forces étrangères ensuite.

La peur est l’intitulé du prochain tour et l’angoisse pour le futur est le dénominateur commun de la grande majorité des électeurs. Un large secteur craint le règne du général Chafik s’il gagnait par un moyen ou un autre. Et, un autre secteur tout aussi important redoute les Frères musulmans, leur application de la charia et la mise en place d’un État purement religieux. Parmi ces derniers, nous trouvons les Coptes, certaines forces libérales ou de gauche. Nombreux étaient les égyptiens qui souhaitaient ne pas se trouver dans ce tourbillon et pouvoir se diriger vers les urnes sans peur et sans angoisse. Mais ce tourbillon est la démocratie. Elle impose ses règles et ses critères et au premier desquels le droit de choisir même si, pour certains, c’est un choix entre la peste et le choléra.

... Le déroulement du scrutin sans accroc ou trouble n’est pas garantie vu certains échauffements, confrontations et protestations dont nous sommes actuellement témoins. Dans tous les cas, l’exemple algérien sera présent dans tous les esprits dès la fermeture des urnes et pendant l’annonce des résultats officiels. Si le général Chafik, dernier premier ministre du régime précédent, gagnait les élections alors il serait un président civil incarnant l’institution militaire au pouvoir et cette dernière lui accorderait ses faveurs ; exactement comme elle le fait en Algérie avec le président Abdelaziz Bouteflika . Quant à Monsieur Mohamed Morsi, candidat des Frères musulmans, s’il gagnait alors il pourrait être confronté à un coup d’État militaire qui empêcherait son accession au pouvoir ; exactement comme ce qui se passa en Algérie lors des élections de 1991.

L’institution militaire ne veut pas d’un président islamiste soutenu par une assemblée des représentants [3] et une assemblée consultative [4] dominées par son parti, « les Frères musulmans », et leurs alliés « salafistes ». Les Frères, eux, sont le seul bloc solide dans le pays (hormis l’institution militaire) qui n’abandonnera pas son droit à la présidence obtenu grâce au scrutin ; exactement ce qu’a fait le Front islamique du salut en Algérie sous la direction d’Abassi Madani. Et, ce que ça a provoqué en termes de confrontations et de guerre civile est connu de tous.

Les deux prochaines semaines sont les plus dangereuses de l’histoire de l’Égypte et nous disons cela sans aucune exagération et en connaissant les nombreuses utilisations précédentes de cette expression. Nous devons nous attendre à de nombreuses surprises et la majorité d’entre-elles ne seront pas plaisantes.

L’incendie du siège électoral du général Chafik n’est peut-être que le début d’une longue série et il n’est pas impossible que ce soit l’un des fruits amers de la machine infernal qui veut empêcher les Frères d’accéder à la présidence.

Il y a une cellule obscure qui travaille en secret à terroriser le peuple égyptien par l’intimidation et l’aggravation d’une situation actuellement instable. Et, c’est cette instabilité et son aggravation qui alimentent la victoire du régime précédent que ce soit celle de l’institution militaire ou celle de l’institution sécuritaire.

Le général Chafik s’est présenté sous la bannière de la stabilité et sous le slogan du retour de la révolution à ses initiateurs faisant ainsi allusion au kidnapping de la révolution par les Islamistes et au renforcement des bases de l’État civil vis-à-vis de l’État religieux.

L’État du général Chafik n’est pas un État civil mais un État militaire sous couvert d’habits civils, démocratiques et trompeurs. Il ?uvre à un retour du régime précédent : clientéliste et corrompu. Ce qui revient à enterrer vif et hâtivement la révolution et non pas à la rendre à ses initiateurs de la place Tahrir. Le général Chafik était l’un des plus hostiles à la place Tahrir et à la révolution. Il est aussi l’un des défenseurs du régime précédent. Le fait qu’il ait à son actif certaines réalisations administratives quand il était ministre de l’aviation civile alors dans l’ombre d’un régime dictatorial et répressif ne veut pas dire qu’il réformera jusqu’au sommet de la direction de l’Égypte ou même qu’il la redressera en lui faisant retrouver son rôle dirigeant perdu.

Oui... Les Égyptiens craignent le chaos mais il y a ceux qui, dans leurs cellules obscures, méditent à l’alimentation de cette peur, à son amplification et à surtout fomenter des forces étrangères israélo-américano-arabes soutenues par l’impérialisme. Une diversion sans précédent dans l’histoire ou du moins dans l’histoire de la région.
...
Nous ne ne sommes pas dans une situation qui nous permet d’exaucer nos v ?ux ou de réaliser nos convictions. Nous souhaitions pourtant cela parce que ce qui se passera en Égypte se reflétera dans la région dans son ensemble et influencera le futur des générations à venir. Nous pouvons en revanche apporter notre contribution et, pour les raisons vues précédemment, nous disons que l’Égypte ne doit en aucun cas revenir en arrière après que sa révolution ait réussi à renverser l’État corrompu et que le pays ait payé le prix élevé du sang des martyrs. L’Égypte a fait l’expérience d’un système de gouvernement dont Chafik était l’un des rouages pendant plus de 40 ans et qu’a été le résultat mis à part le sous-développement et la présence de 40 millions des ses nobles habitants vivant sous le seuils de pauvreté ?

L’accession au pouvoir de Monsieur Morsi ne sera pas facile et s’il l’y accède vraiment alors son maintien sur son siège n’est pas garanti. Même si tout allait pour le mieux, les enjeux qu’il devra affronter sont d’une telle ampleur qu’il nécessiterons du soutien et de la la coopération des différents secteurs des élites politiques et populaires parce qu’il y a de nombreuse forces qui essaieront de faire échouer sa présidence.

J’espérais que si le mouvement des Frères s’appuyait sur le modèle tunisien en choisissant un président pour l’État et un autre pour le parlement temporaire en dehors de leurs cadres qu’il s’agirait alors d’une véritable coalition mais le mouvement des Frères a choisi le modèle turc sans qu’il ne possède son expérience et sans qu’il n’ait acquis sa sagesse et ses grandes réalisations économiques concrètes. Mais il faut laisser maintenant le mot « si » de côté et se consacrer à ce qui est posé sur la table des élections de manière responsable pour sauvegarder l’Égypte, sa sécurité et sa stabilité. Le peuple égyptien déclencha la révolution afin d’ouvrir une nouvelle page avec de nouveaux visages. Il nous faut respecter ce choix en en posant les bases et en le renforçant à travers les urnes dans des élections libres et transparentes.

Le discours de Monsieur Morsi, en faveur d’un partenariat avec d’autres forces et différents courants spirituels ainsi que son insistance sur le fait qu’il soit prêt à choisir un gouvernement de coalition avec à sa tête un premier ministre n’appartenant pas au Frères, est un pas encourageant et apaisant qui reflète l’assimilation par les Frères de la diversité de la nouvelle carte politique. Nous espérons que cela se développera davantage dans les semaines à venir.

En conclusion, nous trouvons qu’il est de notre devoir de se souvenir qu’il ne s’agit que du premier pas et de la première leçon dans l’arène démocratique. Nous devons être patients avant de prononcer des jugements d’échec et ou de réussite. On s’attend à des fautes mais l’important est de les réduire et d’en tirer profit.

Notes :

[1] Ndt
[2] Ici « civil » a le double sens de « qui n’est pas religieux » comme dans l’expression « mariage civil » et de « non militaire ».
[3] Il s’agit de la chambre basse du parlement c’est-à-dire l’assemblée nationale.
[4] Il s’agit de la chambre haute du parlement que l’on peut rapprocher du Sénat français.

* Abdel Bari Atwan est palestinien et rédacteur en chef du quotidien al-Quds al-Arabi, grand quotidien en langue arabe édité à Londres. Abdel Bari Atwan est considéré comme l’un des analystes les plus pertinents de toute la presse arabe.

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29 mai 2012 - Al-Qods al-arabi - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.alquds.co.uk/index.asp?f...
Traduction de l’arabe : Info-Palestine.net - Hazardomadaire


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