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Irak : réfugiés ou citoyens en colère

lundi 2 avril 2007 - 08h:53

Mundher Al-Adhami - Al-Ahram Weekly

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"Les Irakiens devraient prendre en charge l’importante crise des réfugiés", écrit Mundher Al-Adhami.

Les Nations Unies, les agences européennes d’aide et les O.N.G.s essayent avec frénésie de savoir comment traiter la tragédie insoluble des Irakiens déplacés. Les agences occidentales cependant ne peuvent pas aider dans cette crise sans la collaboration des sociétés de base irakiennes et régionales. Les Irakiens et les Arabes doivent proposer des solutions qui tirent leurs racines de la culture de la région pour aider à résoudre et non aggraver le problème de l’Irak. Les agences ne peuvent même pas faire face à la tragédie honteuse des 15.000 réfugiés palestiniens en Irak, qui connaissent depuis longtemps les services d’aide de l’ONU.

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Un hélicoptère Apache américain lance des fusées sur Bagdad ; un soldat irakien détient prisonnier un automobiliste sur lequel a été trouvé une arme lors d’un contrôle

Les statistiques des réfugiés irakiens sont stupéfiantes. Elles indiquent une concentration d’environ 500.000 Irakiens à Amman et près de 1.000.000 d’Irakiens à Damas, ce qui bouleverse sérieusement l’économie et les relations sociales tant en Syrie qu’en Jordanie. Le porte-parole du parlement irakien a décrété que le mot « réfugié » ne devrait pas être employé et qu’il fallait utiliser le mot d’ « invité » . Il se comporte tout comme l’ex-chef du Pentagone américain, Donald Rumsfeld, pour qui le mot « insurgé » n’était pas approprié et qui préconisait de ne pas l’employer. Cette aversion pour les mots signifie peu de choses.

Il y a un an, les Irakiens ont puisé dans leur épargne, ce qui a transformé leur pré-sence à l’étranger en une sorte de tourisme prolongé. Leur présence a augmenté les loyers et les prix mais ne semblait pas être un fardeau excessif pour les économies de la Jordanie et de la Syrie. Maintenant que l’épargne irakienne s’est épuisée, les problèmes s’accumulent notamment ceux des permis de séjour, de la santé, de l’éducation des enfants, de l’emploi et de la criminalité.

Les propositions occidentales pour venir en aide aux réfugiés ne fonctionnent pas. Les Irakiens refusent de vivre sous les tentes ; ils refusent parfois même de s’enregistrer pour bénéficier de l’aide, et ils sont trop fiers pour accepter la charité. Il y a seulement 400 réfugiés dans les 4 camps d’Al-Waleed à la frontière syrienne, d’Al-Tanf, de Trebeel à la frontière jordanienne, et de Ruwyshed à l’intérieur de la Jordanie. En même temps, beaucoup de personnes parmi les 4.000.000 de déplacées à l’intérieur et à l’extérieur de l’Irak ne voient aucun espoir pour résoudre leur situation critique. La situation devient potentiellement explosive alors que l’aide doit aller aux groupes vulnérables sans tenir compte de la politique ou de la fierté des personnes. Comme pour le reste des ménages irakiens d’aujourd’hui, 40% de ces réfugiés ont moins de 15 ans et la moitié des femmes sont enceintes ou élèvent des nourrissons. Le quart des chefs de ménages sont des mères seules.

A l’université d’Oxford, la conférence de ce mois, la première du genre, a soulevé un certain nombre de questions dont certaines se posaient en termes d’aide humanitaire et non en termes politiques.

Utilisation des définitions sectaires en matière de statistiques sur la résidence et la citoyenneté

Nous avons relevé que les O.N.G.s se sont allées à utiliser des étiquettes sectaires pour analyser les migrations forcées. Tout comme les forces d’occupation et les médias, les O.N.G.s se sont données à c ?ur joie pour colorer leurs cartes en termes sectaires et ethniques. Les cartes du Corps médical international de Bagdad « avant comme après » février 2007 sont révélatrices de cette tendance et ressemblent comme des gouttes d’eau aux cartes des militaires américains.

Sur 72 secteurs colorés précédemment, 16 avaient été colorés en bleu pour désigner les chiites et en rouge pour les sunnites. 32 zones ont été colorées en bleu ou en rouge avec une couleur dominante. Les 25 autres secteurs sont en jaune pour indiquer des zones mixtes. Ainsi les 4/5 des zones d’habitat de Bagdad sont historiquement des secteurs mixtes. La carte dessinée après février 2007 ne montre plus que 16 secteurs mixtes, tous les autres sont soit en bleu soit en rouge. Il est clair que ces quelques critères simples ont été utilisés soit pour assombrir la perception de la Résistance aux yeux des forces de l’occupation et du gouvernement irakien soit pour d’autres raisons « pratiques » telles que le placement de divers collaborateurs.

Quelques rapports indiquent que dans cet environnement, un quartier peut éviter le nettoyage sectaire et bénéficier d’une protection non sectaire...

L’ennui est que les études que les agences d’aide réalisent pour collecter des infor-mations peuvent aussi être faites sous des étiquettes sectaires. Nous devons leur expliquer que ces étiquettes sont transitoires et que leur utilisation dépend de celui à qui on a affaire, pour quel but et quand. Ceci est bien connu dans toutes les études sociales et ethnographiques.

Il semble nécessaire de rappeler aux O.N.G.s que les études devraient concerner des personnes en tant que citoyens indépendamment de leur appartenance ethnique ou de leurs origines. N’importe quelle coloration de carte est arbitraire et elle est pro-vocatrice pour les Irakiens puisque toutes les délimitations sont arbitraires. Nous vivons ensemble et chacun de nous a beaucoup d’identités dans le même temps mais l’identité d’irakien les englobe toutes. Près d’un quart des Irakiens encore vivants sont d’origine ethnique et/ou religieuse mélangée, et si vous revenez à deux ou trois générations alors presque tous les Irakiens sont susceptibles d’être dans le même cas.

Classer les gens par religion est de nature politique et on devrait éviter de le faire. Les cartes et les tables statistiques devraient être établies en termes de gouvernorats, de métiers etc. Autrement les O.N.G.s et l’ONU peuvent être amenés à travailler contre l’intérêt des Irakiens. Il y a eu un mélange d’excuses et de justifications disant que ces classifications ne visaient qu’à être pratiques et qu’elles [les O.N.G.s et l’ONU] ont besoin de donner des consignes à leurs collaborateurs et dirigeants sur le terrain etc. Le fait simple est que la sectoralisation de chaque localité selon des critères sectaires rend n’importe quelle coloration de cartes et de données inutiles de toute manière. Je pense que ce message doit être martelé sans cesse.

Responsabilité pour aider les migrants forcés

Les conditions de vie se détériorent rapidement pour 2.000.000 d’Irakiens partis à l’étranger et autant à l’intérieur du pays. Leur épargne a été consommée et il n’ont rien d’autre en vue. Les O.N.G.s pensent que l’exil va être durable ou définitif pour beaucoup. Leur position est que les réfugiés doivent recevoir une aide alimentaire mais les Irakiens refusent de vivre sous des tentes, (4% seulement des déplacés à l’intérieur du pays, et 2% à l’extérieur) et d’être traités comme des réfugiés à l’exception d’un accueil dans les pays occidentaux. Les déplacés demandent l’aide de l’ONU et des gouvernements occidentaux mais ils font porter la responsabilité principale sur les autorités de l’occupation et sur le gouvernement irakien. Les O.N.G.s n’ont aucun moyen de résoudre la question. Leur rôle est opérationnel alors qu’il s’agit d’un problème politique. On ne sait pas ce qu’il faut faire mais la collecte des données peut jouer un rôle.

L’enregistrement des personnes déplacées devrait se faire au titre des services dûs par le gouvernement irakien et le gouvernorat de leur résidence. Le gouvernorat a légalement des ressources allouées pour ces personnes telles que des rations de nourriture, l’éducation, la santé, et le logement. Les autorités doivent respecter ces en-gagements. Il y a une meilleure chance pour que l’enregistrement puisse être complet et faire l’objet d’un contrôle s’il s’appuie sur un tel droit du citoyen. Autrement, ce droit est à l’avantage des gouvernorats qui peuvent expulser ces citoyens et ne pas les protéger.

Comptes de ménage

L’idée que j’ai proposée et qui a besoin d’être approfondie est que chaque ménage déplacé puisse avoir un compte dans un bureau de poste ou dans une banque avec un micro-crédit : aucune charité donc qui peut blesser la fierté des Irakiens mais à un moment donné, le gouvernement irakien, les forces d’occupation ou les gouvernorats locaux peuvent alimenter le compte.

Recruter des traducteurs et des employés aux USA et au Royaume Uni

J’ai soutenu que c’est un traitement arbitraire et injuste mais aussi une situation politique nocive. La société irakienne devrait se débrouiller avec ses propres moyens(7.000 personnes déjà utilisées). Un système par catégorie uniforme pour tous les Irakiens devrait être employé, et de tels émigrants temporaires devraient être traités comme des citoyens irakiens responsables de leurs actions en vertu de la loi irakienne. Autrement des technocrates coopérant par nécessité avec les forces de l’occupation peuvent éventuellement connaître un plus mauvais traitement que d’autres qui effectuent le même travail, la seule différence étant leur lieu de résidence. Certains ont dit que cela n’est pas pratique ; quelques autres ont soulevé la question de la fuite des cerveaux.

Travailler avec une société civile locale versus une société traditionnelle

Des pratiques se développent chez les O.N.G.s pour accepter de travailler avec des mosquées, des tribus et des quartiers. C’est préférable que de travailler avec les O.N.G.s locales peu fiables qui ont des réseaux inconnus. Il y a cependant des soucis parce que cela crée une fragmentation de la société selon des séparations sectaires et ethniques. J’ai soulevé la nécessité de travailler principalement avec les structures civiles, telles que les écoles qui ont souvent des associations Parents-Enseignants, avec les syndicats locaux d’avocats, les syndicats des enseignants, les universités, les syndicats médicaux et la chambre de commerce. Il est peu probable que ces structures soient sur une base sectaire.
Les O.N.G.s tavaillent en grande partie sur des questions immédiatement opérationnel-les et elles semblent avoir besoin de temps pour s’adapter à de nouvelles idées. Actuellement, elles fonctionnent sous le contrôle d’Amman ou de Genève, et elles se contentent de ces contacts.

Cependant, la proposition de nouvelles idées est faisa-ble. En outre elles semblent faire bon accueil aux idées venant d’Irakiens, puis-qu’elles ont besoin désespérément de nouer des liens avec ce qu’elles considèrent comme leur justification principale.
Les organisateurs et les membres actifs des organismes de l’ONU et des O.N.G.s sont des gens vifs, très professionnels et gros travailleurs.

Bien qu’il y ait des carriéristes dans ce secteur, c’est souvent une préoccupation secondaire tout comme pour les professionnels de l’éducation, la santé et les services sociaux. Parler d’avantages, de corruption est plus que probablement de la calomnie cynique venant des gens de droite que de la méconnaissance de ces métiers. Ce sont les personnes les plus proches de la défense de la justice dans le monde, reprenant à leurs comptes le droit international et travaillant pour la paix. Elles sont très conscientes de leur situation fâcheuse et des soupçons qui pèsent sur leurs rôles, par exemple, en Irak et en Palestine, à cause de la politique affichée des USA de lier aide et action des O.N.G.s à la politique. Elles essayent de faire avec et d’éviter d’avoir des points de vues eurocentristes sur le monde. Elles sont tout le temps à la recherche d’un nouveau langage et de nouveaux moyens de travailler. C’est un défi pour elles et pour les activistes en Irak, en Palestine, et ailleurs, mais cela en vaut la peine puis-qu’il s’agit de l’un des chemins les plus civilisés pour réaliser la justice, au moins à long terme.

La conférence d’Oxford sur la crise irakienne des réfugiés a réuni 50 représentants environ des organismes de l’ONU, des O.N.G.s internationales, des groupes concernés, des universitaires, et des diplomates. Ils ont organisé une table ronde toute la journée sur la crise irakienne des réfugiés actuelle. La conférence a été organisée par le département du développement international de l’université d’Oxford le 23 mars 2007. Roger Zetter, directeur du Centre d’études des réfugiés a ouvert la conférence et ses collègues du centre ont présidé les sessions.

Les réactions des participants ont montré que c’était un occasion de rencontres ex-ceptionnelle pour se coordonner. Même les organismes de l’ONU ont peu d’occasions pour réfléchir ensemble et ils ont encore moins de chances pour le faire avec des universitaires et des O.N.G.s. L’UNHCR (opération de l’Irak) et l’UNOCHA (Office pour la coordination des affaires humanitaires) ont envoyé leurs directeurs de Genève, et l’UNICEF son directeur adjoint d’Afghanistan. Mais l’UNAMI n’était pas présent. La liste des O.N.G.s comprend Amnesty International, DFID, ÉCHO, ECRE, Human Rights, CICR, IFPO (Amman), IOM, IMC (médical), Oxfam, Refugee Council,Save the children et Norvegian RC. Les diplomates du FCO, d’Irak, de Jordanie, de Suède, de Syrie, de Tur-quie et des USA ont assisté aux débats.

Andrew Harper de l’UNHCR a fourni beaucoup de données et de cartes. Il a décrit les problèmes qui se posent et fait des analyses appropriés. La constation générale est que l’ONU et le Monde entier ne semblent avoir pris conscience de l’importance de la crise que récemment. L’ONU l’avait qualifiée seulement d’urgence et non de crise ou de catastrophe. La nouvelle requalification est susceptible d’entraîner des actions et des financements mais elles sont à l’étape des études et de l’évaluation des besoins.

Statistiques de l’agence UNHCR sur les réfugiés irakiens en mars 2007

La Syrie : 1.200.000 comprenant 56.000 demandeurs d’asile politique.
La Jordanie : 500.000 à 750.000 comprenant 24.000 demandeurs d’asile politique.
L’Egypte : 80.000 à 100.000
Le Golfe : 200.000
Le Liban : 20.000
L’Europe : Les demandes d’asile ont doublé ces deux dernières années.
La Suède : multiplication par 4 par rapport à l’année dernière.
L’Iran : 300.000 réfugiés depuis l’invasion de l’Irak. Le quart est de retour en Irak.
L’Irak intérieur : 27 millions d’habitants. 1.900.000 déplacés à long terme, et près de 727.000 déplacés depuis février 2006.


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30 mars 2007 - Al Ahram Weekly - Vous pouvez consulter cet article à : http://weekly.ahram.org.eg/2007/838...
Traduit de l’anglais par D. Hachilif


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