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Pourquoi l’Autorité Palestinienne a peur de « l’intifada dans les prisons israéliennes »

mardi 15 mai 2012 - 06h:59

Linah Alsaafin - E.I

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Le 10 mai dernier, la rumeur annonçait que le Président de l’Autorité palestinienne allait venir à la tente de solidarité avec les prisonniers palestiniens à Al Bireh, près de la ville de Ramallah en Cisjordanie occupée, vers 18 heures.

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Abbas visite la tente de solidarité avec les prisonniers le 10 mai (Maan News)

Comme je l’expliquais cette semaine dans la baladodiffusion d’Electronic Intifada, cette tente, contrairement à celle de la Place de l’Horloge à Ramallah, est celle où ministres et personnages officiels passent quelques minutes de leur temps, de préférence quand les médias - comme par hasard - sont dans les environs, pour gesticuler inutilement en soutien à la grève de la faim engagée dans les prisons israéliennes.

Un groupe de dix protestataires s’est rendu à la tente juste avant 18 heures. Ils avaient avec eux des affiches en rouleau et dans les yeux la détermination de la colère. Ils n’avaient pas oublié qu’Abbas n’avait guère traîné pour téléphoner au Premier ministre israélien Netanyahou afin de lui présenter ses condoléances pour le décès de son vieux père, mais que par contre il avait gardé le silence au sujet des grèves de la faim de Thaer Halahleh et Bilal Diab (au 75ème jour de leur grève de la faim à l’instant où j’écris), et de la grève de la faim de masse engagée le 17 avril et suivie par près de 2.500 prisonniers.

Les protestataires dirent bonjour au père de Thaer Halahleh et aux mères des prisonniers assises au premier rang. Ces mères consacrent des heures à rester dans la tente de la place de l’Horloge et elles ont développé de chaudes et maternelles relations avec les protestataires.

Ec ?urant à voir

La tente s’est emplie de personnel de sécurité et de policiers en civil au regard bovin. Sur le toit de chaque immeuble autour de la tente il y avait des tireurs d’élite style Dayton et homologués AP. C’était absolument éc ?urant à voir.

Les policiers bovins en civil foncèrent sur certains manifestants. L’un demanda à voir ce qui était écrit sur l’affiche. Un autre essaya de saisir la caméra d’une fille qui interviewait les mères de prisonniers en les questionnant sur la différence entre les deux tentes de solidarité. Elle avait saisi leurs paroles de frustration et de désappointement envers Abbas et le silence de la soi-disant direction palestinienne au sujet de la question des prisonniers. L’une des mères apostropha le policier pour qu’il laisse la fille tranquille ; « ça s’appelle obstruction à la liberté de la presse ! » lui cria-t-elle. « Vous n’êtes pas pour la liberté de la presse ? Laissez-la poursuivre mon interview ! ».

Les protestataires se glissèrent jusqu’aux seuls sièges disponibles au dernier rang. Les forces de sécurité les encerclèrent et ne les lâchèrent plus des yeux. Soudain ce fut l’agitation. En retard comme il se doit, le Président et sa suite avaient fini par arriver.

Immédiatement les protestataires se levèrent et déployèrent leurs affiches. Les slogans disaient : "Le peuple exige la libération de tus les prisonniers " et " Où est la position de l’AP après 73 jours de grève ? " et " Monsieur le président, pour que vous soyez au courant, nous sommes plus que trois " et " Le Président Abbas a dit : nous voulons la paix, pas une troisième intifada. Le peuple veut une intifada, pas la paix ".

Des voyous casseurs déchirèrent aussitôt les affiches.. Il y eut une bruyante et sévère confrontation verbale entre un couple de protestataires et les voyous. Un agent se fraya un chemin et ordonna aux protestataires de la fermer, car le Président allait parler. Les protestataires refusèrent. Les policiers en civil montèrent sur les chaises devant les protestataires pour les masquer à la vue... Les protestataires se mirent à scander des mots d’ordre : « Nous voulons nos fils ! Bidna awladna ! Nous voulons nos fils ! ». Les mères et les parents des prisonniers reprirent la psalmodie, encore et encore. “Bidna awladna ! Bidna awladna !”. Les voyous à la droite des protestataires se mirent à scander des slogans pro-Abbas. Les mères des prisonniers haussèrent le ton.

« Bidna awladna ! »

Sans perdre de temps, les agents du mukhabarat (services secrets) filmèrent chacun des protestataires avec leur téléphone portable. Abbas commença à parler de son ton mécanique. Personne ne put se rappeler ce qu’il avait dit. Par après, les familles de prisonniers convinrent que c’était une bien médiocre performance, rien qu’un discours de plus mimant un soutien à la cause des prisonniers et sapant les souffrances que les familles endurent année après année.

« La question des prisonniers est essentielle »

Les organisateurs de l’événement marchèrent sur les protestataires en sifflant la fin immédiate des slogans pour la suite du programme. En réponse, les protestataires s’avancèrent et se remirent à scander « Pas de ministère et pas de ministre jusqu’à ce que nous ayons libéré tous les prisonniers ! ». Les mères de prisonniers se levèrent et se mirent à scander de leur côté : la voix monocorde d’Abbas fut étouffée. Une autre affiche fut déchirée, et une fille fut frappée à plusieurs reprises sur les bras. Un voyou lui mit le bras autour du cou mais elle réussit à le repousser. Des protestataires se retrouvèrent juste hors du cercle douillet des médias et de la sécurité avec Abbas au centre. Des mots d’ordre résonnaient furieusement.

« A notre autorité nationale, nous demandons une position ferme ! »

Scandé interminablement.

« Oh ! Fayyad et Abbas, la question des prisonniers est essentielle ! »

Tayeb Abdelrahim, le secrétaire général de la présidence, se tenait à quelques mètres des protestataires les regardant d’un air dégoûté. Au dernier chant, son expression se transforma. Il vira au pourpre, ses yeux jaillirent de leurs orbites et il s’époumona contre eux, hurlant qu’ils n’avaient aucun respect pour le président et qu’ils étaient mal élevés - sous une pluie d’insultes. Un homme dut aller le contenir.

A présent les benêts du Fatah se tenaient avec les protestataires. Ils essayaient d’étouffer les litanies de soutien aux prisonniers par des slogans pro-Abbas. Exeunt Abbas et son cirque. Il avait passé à peine dix minutes dans la tente et complètement ignoré les familles. Les protestataires sortirent dans la rue principale, quelques-uns en larmes à cause du manque de respect manifesté aux familles de prisonniers et de la conduite méprisable des casseurs. L’un de ceux-ci se mit à poursuivre une protestataire, l’insultant et se moquant lorsqu’elle cria que les prisonniers méritaient mieux que ça. Un gros benêt du Fath leur cria « Vous travaillez tous pour l’étranger ! La CIA ! ». D’autres raillaient : « Où allez-vous ? L’événement de solidarité n’est pas terminé ! ».

« Mon frère n’a pas passé 10 ans de sa vie derrière les barreaux pour ces gens-là ! » cria un des protestataires en larmes. « Ils ne valent pas la peine de se battre ».

Un journaliste qui passait leur dit tranquillement : « Respect pour ce que vous avez fait. Je respecte et je soutiens entièrement ce que vous avez fait ».

Avec quelques membres des familles, les protestataires décidèrent de retourner au centre de Ramallah sans prendre leur voiture, car les policiers en civil les suivaient. Un cortège de motards partisans du Fatah déboula dans la rue principale, avec leur musique assourdissante et leurs éclats de rire comme s’il s’agissait d’un festival.

Arrivés à la tente de la Place de l’Horloge, les protestataires trouvèrent les policiers en civil déjà revenus. Ils exprimèrent leur soutien aux protestataires et se mirent à poser des questions décontractées. Les protestataires quittèrent rapidement la tente.

(Non-)Etat policier de l’Autorité palestinienne

Voilà le (non-)Etat policier de l’Autorité palestinienne, qui planque ses services de renseignement dans des lieux populaires non approuvés par le Fatah ou par l’AP. Voilà le (non-)Etat policier de l’Autorité palestinienne, qui attaque des dissidents et répète la même diatribe que d’autres pays arabes utilisent contre les voix de l’opposition. Voilà le (non-)Etat policier de l’Autorité palestinienne, qui se fiche totalement de la souffrance et de l’angoisse et des c ?urs brisés de milliers de familles tout au long de leurs vies, avec leurs fils et leurs frères et leurs maris sous les verrous israéliens dans des conditions inhumaines, cruelles et injustes. Voilà le (non-)Etat policier de l’Autorité palestinienne, qui préfère « la paix économique » à la lutte pour une libération, une justice et une dignité réelles.

Un chant scandé populaire au cours de manifestations quotidiennes qui ont balayé Ramallah ces deux dernières semaines évoque « Ceux qui appellent la paix de leurs v ?ux écriront demain sur les murs combien il regrettent de l’avoir fait ».

Pour la liberté et la dignité, nos prisonniers sont un rappel constant que la vie sous la botte de l’occupation n’est pas une vie qui vaille la peine d’être vécue. C’est pour cela les dirigeants de l’AP ont peur de cette « intifada dans les prisons israéliennes.

* Linah Alsaafin, diplômée de l’université de Birzeit en Cisjordanie est née à Cardiff au pays de Galles et a été élevée en Angleterre, aux USA et en Palestine. Jeune palestinienne de 21 ans, à la fois de Gaza et de Cisjordanie, elle est active dans la résistance populaire non armée et blogueuse pour The Electronic Intifada.

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11 mai 2012 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/blogs...
Traduction : Info-Palestine.net - Marie Meert


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