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Vies sous occupation : un film d’horreur

jeudi 19 avril 2012 - 07h:04

PCHR Gaza

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« Quand ils ont tiré, l’impact des balles touchant l’eau m’a trempé le visage. Les soldats nous ont sommés, en criant, d’enlever nos t-shirts et pantalons. Ensuite, nous devions, un par un, sauter dans l’eau et nager jusqu’à l’endroit où ils étaient ».

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Mohammed Bakr

La population de Gaza subit à chaque instant tout type de harcèlements de la part de l’armée israélienne. Parmi les exemples de ces intimidations figurent les agressions commises contre les pêcheurs au large de Gaza.

A ce titre, nous avons recueilli le témoignage d’une victime parmi tant d’autres. Agé de 17 ans, Mohamed Bakr revient sur le jour où il a été intercepté par les forces navales israéliennes alors qu’il se trouvait sur le bateau de pêche de la famille, en compagnie de son cousin et de son oncle.

Appartenant à une famille de pêcheurs qui vit dans le quartier Remal de la ville de Gaza, Mohamed Wisam Lutfi Bakr est l’aîné d’une fratrie de neuf enfants. Le garçon avait, depuis l’âge de 7 ans, travaillé dans le bateau de pêche de son père.

Et c’est avec beaucoup de peur et d’angoisse que Mohamed parle de ce qui s’est passé au petit matin du 10 novembre. Avec les mêmes émotions il revit le moment de l’attaque, de l’arrestation et de la détention qui s’en est suivie et dont il a été victime avec son cousin et leur oncle.

Le jour de l’attaque, les pêcheurs de la famille Bakr sont, comme à l’accoutumé, surtout lorsque la météo leur est propice, sortis en mer très tôt le matin, vers 3h00. Une demi-heure après, Mohamed, son cousin Abdul Kader Wael Bakr (17 ans) et leur oncle Arafat Lutfi Bakr (28 ans) étaient à 2 milles marins des côtes de la ville de Gaza quand soudain, ils ont été rattrapés par une imposante canonnière israélienne.

Les soldats sont directement passés à l’acte. Sans préavis, ils ont commencé à tirer dans l’eau, tout près du bateau palestinien. Mohamed se souvient : « Quand ils ont tiré, l’impact des balles touchant l’eau m’a trempé le visage. Les soldats nous ont sommés, en criant, d’enlever nos t-shirts et pantalons. Ensuite, nous devions, un par un, sauter dans l’eau et nager jusqu’à l’endroit où ils étaient ».

L’oncle Arafat était le premier à se jeter dans l’eau. « Il a été remonté sur la canonnière par les soldats » raconte Mohamed. Puis vint le tour du cousin Abdul Kader, et enfin celui de Mohamed. A bord, il y avait cinq soldats poursuit Mohamed : « Ils nous avaient menottés avec des attaches en plastique et avaient bandé les yeux de mon oncle. Ils m’ont battu et m’ont donné des coups de pieds au niveau des bras et des jambes. Mon cousin en a reçu pareil. Quant à notre oncle, je suis presque sûr qu’ils lui ont réservé le même sort, si ce n’est pas pire. Mais je ne pouvais pas le voir car il a été déplacé ailleurs ».

Les yeux bandés, les trois pêcheurs ont été transférés vers un centre de détention à Ashdod. « L’endroit était très sale. A un moment donné, j’ai exprimé le besoin d’aller aux toilettes. Ils m’ont conduit dans une espace ouvert où tout le monde pouvait me voir. C’est pour dire qu’il n’y avait même pas de toilettes ».
 
Vers midi, Mohamed et Abdul Kader ont été conduits au checkpoint d’Erez, situé entre Israël et la Bande de Gaza. Sur place, les deux cousins avaient été détenus et interrogés jusqu’à 22h30. Ensuite, les soldats du point de contrôle ont appelé le père et le grand-père de Mohamed pour les informer que les deux garçons venaient d’être relâchés. Les deux hommes étaient en attente de nouvelles depuis midi, le moment où ils avaient appris, par le biais d’un pêcheur, que les trois jeunes gens avaient été pris par des soldats.

En fait, le père et le grand-père avaient entendu des coups de feu alors qu’ils étaient à la mosquée pour les prières de l’aube. Ils avaient donc fini par réaliser que ces tirs étaient contre Mohamed, Abdul Kader et Arafat.

Depuis sa libération, l’adolescent ne cesse de penser à son oncle qui est toujours détenu par les Israéliens. Il confie : « Arafat et moi sommes très proches. Nous nous déplacions ensemble et pêchions ensemble. Je suis très inquiet à son sujet. Les soldats avaient même balancé "tu pars toujours à la pêche avec Arafat". J’appréhende sa détention et le traitement qu’il pourrait subir là-bas ». Pour rappel, Arafat est membre de la Police Maritime Palestinienne.

D’autre part, outre l’arrestation des pêcheurs, le bateau de la famille ainsi que le moteur et le filet ont été confisqués. Le bateau est très ancien puisqu’il a été d’abord utilisé par le grand-père, puis par le père. Il est, aussi longtemps que Mohamed se souvient, le moyen d’existence de toute la famille. Le bateau saisi, c’est la grande famille de Mohamed qui aura perdu son unique source de revenu « Nous n’avons pas assez d’argent pour acheter un nouveau bateau, moteur et filet qui coûteront aux environs de 46.000 shekels ».

Malgré son travail à la pêche, Mohamed continue d’aller à l’école. Il est en terminale et prépare son examen final du tawjihi (équivalent de l’examen du baccalauréat, au terme duquel, l’élève est orienté vers l’université en fonction de sa moyenne). Le garçon avoue que tous ses camarades de classes prennent des cours supplémentaires de soutien en vue du tawjihi, et regrette de ne pas en bénéficier parce qu’ils coûtent cher et sa famille ne peut pas se permettre, notamment avec la perte de leur unique moyen de subsistance.

Mohamed et sa famille sont des habitués de la violence de l’armée israélienne qui ne les laisse pas indifférents. En effet, raconte Mohamed : « L’an dernier, l’armée israélienne avait attaqué mon cousin Mohammed Mansour Bak, qui était âgé de 20 ans. L’homme était en mer, en train de pêcher lorsqu’on lui a tiré dessus. Il est mort. Il faut reconnaître que l’armée est sans merci. A cause de cet incident, nous avions suspendu nos sorties en mer pour un moment, suite à quoi, nous étions obligés de reprendre notre activité pour survivre ».

« En mer, les soldats nous attaquent et nous harcèlent fréquemment. Durant le mois de Ramadan de cette année, ils nous ont chassés et se sont acharnés sur nous à sept reprises. J’ai l’intime conviction qu’ils s’évertuent à nous harceler et perturber spécialement durant le mois Sacré. Quand nous partons pour la pêche, j’éprouve souvent de vives inquiétudes et les risques que nous courrons me hantent la tête. D’ailleurs, c’est le cas de tout le monde, une fois en mer, et c’est comme si nous étions en train de regarder un film d’horreur ».

En dépit des risques et dangers qui les interceptent à chaque sortie, la famille de Mohamed reste impuissante et n’a d’autre choix que de continuer la pêche. Il conclut : « A part la pêche, je ne vois pas ce que nous pouvons exercer. De plus, la situation actuelle de Gaza n’offre aucune autre chance ou choix de travail. Il est vrai que notre activité est semée d’embûches, mais nous n’avons pas d’autres options, nous devons travailler pour subvenir aux besoins de la famille. Si nous aurons un autre bateau, je reprendrais volontiers pour la pêche ».

Au cours des deux dernières décennies, la Bande de Gaza a vu ses eaux territoriales se rétrécir en raison de la mise en place de restrictions excessives du fait des accords d’Oslo et plus récemment, des décisions illégales unilatérales imposées par Israël. Et si seulement les intimidations prenaient fin avec ces restrictions. La marine israélienne poursuit, malgré les 3 milles marins appliqués actuellement, ses attaques régulières, ses arrestations et parfois les assassinats des pêcheurs.

Cette année, au moins 32 pêcheurs ont été arrêtés, dont 17 au mois de novembre. 5 autres ont été blessés et au moins 20 bateaux confisqués. En raison des restrictions sur les eaux de pêche, les revenues de la communauté de pêcheurs de Gaza (8200 pêcheurs et travailleurs dans le secteur de la pêche) ont baissé de manière progressive.

Côté statistiques, en 2010, la production halieutique a baissé de 37% par rapport à 2008, ce qui ne représente que la moitié de ce qu’à été enregistré en 1999. La sardine qui correspond à 70% du total de la production halieutique de Gaza peine à atteindre 20% de ce que les pêcheurs ramenaient avant les restrictions, soit une perte de $10 millions. Enfin, le Syndicat des Pêcheurs fait savoir que près de 60% des petits bateaux de pêche et 22% des chalutiers dans la Bande de Gaza ne sont pas utilisés à cause des risques élevés et de la maigre production halieutique.

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1er décembre 2011 - PCHR Gaza - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.pchrgaza.org/portal/en/i...
Traduction : Info-Palestine.net - Niha


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