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Les réalités terribles qui maintiennent le régime Assad au pouvoir

samedi 24 mars 2012 - 07h:49

Robert Fisk - The Independent

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Dans mon guide Baedeker datant de 1912 sur la Syrie, une page et demie est consacrée à la ville de Homs. En petits caractères, il est dit que, « dans la plaine au sud-est, vous tombez sur le village de Baba Amr. Une visite sous les arcades du bazar s’impose - vous y trouverez de belles soies. Au nord de Homs, sur une place, il y a une caserne de l’artillerie ... »

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Un jeune garçon tient les restes d’un obus de mortier dans le quartier de Karm Al Zaytoon, à Homs - Photo : Reuters

Le bazar a depuis longtemps été démoli, mais la caserne est passée des Ottomans aux Français et, finalement, entre les mains du parti Baath. Pendant 27 jours le mois dernier, ce bastion a été un aperçu de l’enfer sur ce qui était autrefois le village de Baba Amr.

Autrefois une ville romaine, où les croisés ont commis leur premier acte de cannibalisme - manger leurs adversaires musulmans morts - Homs a été conquise par Saladin en 1174. Sous la domination française qui a suivi l’après-Première Guerre mondiale, le lieu est devenu un centre de l’insurrection et, après l’indépendance, le noyau même de la résistance baasiste aux premiers gouvernements syriens. Au début de 1964, il y avait des batailles à Homs entre sunnites et chiites Alawi. Un an plus tard, le jeune commandant de l’armée baasiste de Homs, le lieutenant-colonel Mustafa Tlass a arrêté ses camarades pro-régime. Est-ce l’histoire de la ville devient un peu plus clair maintenant ?

Faisant partie des nouveaux riches sunnites qui soutiennent le régime alaouite, Tlass est devenu ministre de la Défense dans le gouvernement baasiste de Hafez al-Assad. En vertu de leur mandat en 1919, les Français avaient créé une unité de « forces spéciales » dans laquelle les Alaouites se sont vus attribuer des positions privilégiées et l’un de leurs bastions était l’académie militaire de Homs. L’un des élèves les plus illustres de l’académie sous le régime de Hafez al-Assad était son fils Bachar, diplômé en 1994. L’oncle de Bashar, Adnan Makhlouf, était le second diplômé après lui. Makhlouf est aujourd’hui considéré comme l’élément corrupteur dans le régime d’Assad.

Plus tard, Bachar deviendra médecin à l’hôpital militaire Tichrine à Damas (où, aujourd’hui, la plupart des milliers de victimes de l’armée syrienne sont emmenées pour examen post-mortem, avant leurs funérailles). Bachar n’a pas oublié Homs, et son épouse sunnite d’origine britannique est issue d’une famille de Homs. Un de ses plus proches conseillers, Bouthaina Shabaan, vient de Homs, et l’année dernière la ville était trop dangereux pour qu’elle vienne visiter la tombe de sa mère à la date anniversaire de sa mort. Homs est profondément ancrée dans le c ?ur de tous les Syriens, Sunnites comme Alaouites. Est-il surprenant que cela aurait dû être le Golgotha ​​de l’insurrection ? Ou que les autorités syriennes fixeraient que sa reprise reviendrait à briser le dos de la révolution ? Au nord, il y a 30 ans, Hafez El-Assad a fait plus de 10 000 « martyrs » à Hama ; la semaine dernière, Homs est devenu un peu Hama, la ville-martyr tel que prédit par son passé.

Alors, pourquoi avons-nous été si surpris quand « l’Armée syrienne libre » a fui la ville ? Nous attendions-nous vraiment à ce que le régime d’Assad ferme boutique et se sauve parce que quelques centaines d’hommes armés de kalachnikovs voulaient mettre en scène un soulèvement de Varsovie en miniature à Homs ? Avons-nous vraiment cru que les décès de femmes et d’enfants - et de journalistes - empêcheraient ceux qui revendiquent encore le manteau du nationalisme arabe, d’écraser la ville ? Lorsque l’Occident a repris à son compte et avec empressement les illusions de Nicolas Sarkozy, David Cameron et Hillary Clinton - et les Etats arabes du Golfe dont l’exigence d’une Syrie « démocratique » est compensé par leur refus d’autoriser cette même démocratie à leur propre peuple - les Syriens en ont compris toute l’hypocrisie.

Est-ce que les Saoudiens, maintenant si désireux d’armer les insurgés sunnites de la Syrie - avec le Qatar - envisagent de céder leur pouvoir féodal princier sunnite, à leurs propres citoyens et à leur minorité chiite ? L’émir du Qatar envisage-t-il de démissionner ? Pour les lobbyistes de Washington, entre les illusionnistes de la Brookings Institution, de la Rand Corporation et du Council on Foreign Relations et toutes les officines du même acabit aux États-Unis qui alimentent les éditoriaux du New York Times, Homs est devenu le nouveau Benghazi, la ligne de départ de la route vers Damas.

Toujours le même vieux fantasme américain : si un Etat policier a été impitoyable, cynique et corrompu - et nous n’avons aucune illusion sur l’appareil baasiste et son gros bonnet - alors ses adversaires, même mal équipés en armes, l’emporteraient parce qu’ils étaient les bons. Les vieux clichés étaient remis en avant. Les baasistes étaient des nazis, Bashar un simple pion aux mains de sa famille, sa femme, Asma, une nouvelle version d’Eva Braun, de Marie-Antoinette ou Lady Macbeth. Sur ce genre d’absurdités, l’Occident et les Arabes ont construit leurs espoirs.

Plus Sarkozy, Cameron et Clinton ont enragé contre les atrocités en Syrie, plus énergiquement ils refusaient toute aide militaire aux rebelles. Il y avait des conditions à remplir. L’opposition syrienne devaient s’unir avant de pouvoir compter sur l’aide. Ils ont eu à parler d’une seule voix - comme si les opposants de Kadhafi a fait quelque chose qui ressemble à cela avant que l’OTAN ne décide de l’éliminer. L’hypocrisie de Sarkozy était trop évident pour les Syriens. Celui-ci est si inquiet pour l’élection présidentielle française qu’il mobilisé des centaines de diplomates et « d’experts » pour « sauver » la journaliste français indépendante Edith Bouvier, entravant tous les efforts des ONG pour amener celle-ci en sécurité. Il y a à peine quelques mois, ce pauvre type critiquait cyniquement deux journalistes français - téméraires, comme il les appelait - qui avait passé des mois en détention chez les Talibans en Afghanistan.

Des élections françaises, russes, iraniennes... Des référendums syriens et, bien sûr, des élections américaines : c’est étonnant de voir combien la « démocratie » peut nous écarter de saines politiques au Moyen-Orient. Poutine soutient un dirigeant arabe (Assad) qui annonce qu’il a fait de son mieux « pour protéger mon peuple, je ne me sens pas quelque chose à blâmer pour ... vous ne sentez pas que vous êtes à blâmer lorsque vous ne tuez pas vos propre peuple ». Je suppose que c’était cela l’excuse de Poutine après que son armée ait massacré les Tchétchènes. Comme il arrive, je ne me souviens pas d’un Premier ministre britannique disant cela à propos des catholiques irlandais le jour du Bloody Sunday [massacre commis par les troupes britanniques à Derry] en 1972 - mais peut-être les catholiques d’Irlande du Nord ne comptaient-ils pas autant que le « peuple » britannique ?

Non, je ne compare que ce qui est comparable. Grozny, avec laquelle le photographe blessé Paul Conroy a établi un parallèle mémorable ce vendredi, a plus à voir avec Baba Amr que Derry. Mais il est une habitude pénible consistant à dénoncer toute personne qui essaie de parler de la réalité. Ceux qui prétendaient que l’IRA finirait par trouver sa voie dans la vie politique et le gouvernement en Irlande du Nord - j’étais l’un d’entre eux - ont été systématiquement dénoncés comme étant « de mèche avec les terroristes ». Lorsque j’ai expliqué dans une conférence à Istanbul, juste avant Noël que le régime d’Assad n’allait pas s’effondrer à la vitesse des autres dictatures arabes - que des civils chrétiens et alaouites ont également été assassinés - un jeune Syrien a commencé à me crier dessus, demandant à savoir « combien vous êtes payé par la police secrète d’Assad ? » Faux, mais compréhensible. Le jeune homme venait de Deraa et avait été torturé par la mukhabarat syrienne [les services du renseignement].

La vérité est que les Syriens ont occupé le Liban pendant près de 30 ans et, longtemps après qu’ils l’aient quitté en 2005, nous trouvions toujours leurs griffes politiques enfoncées profondément dans la terre rouge de Beyrouth. Leurs services de renseignement étaient encore en pleine activité, leur pouvoir de tuer intact, et leurs alliés libanais toujours au parlement de Beyrouth. Et si les baasistes peuvent étouffer le Liban en une étreinte fraternelle si puissante depuis si longtemps, comment quelqu’un peut-il penser qu’ils renonceront à la Syrie elle-même facilement ? Tant que Assad peut conserver Damas et d’Alep, sont régime peut survivre.

Après tout, Najibullah, le sadique ex-patron de la police secrète, s’est accroché en tant que chef de l’Afghanistan pendant des années où tout ce qu’il pouvait faire était de voler entre Kaboul et Kandahar. On pourrait dire que, malgré tous les chevaux d’Obama et tous les hommes d’Obama de son côté, c’est à peu près tout ce que les Hamid Karzaï - avec leur cruelle police secrète, la corruption de leur régime, leurs élections truquées - peuvent faire aujourd’hui. Mais ce n’est pas une comparaison dont on peut se féliciter à Washington, Paris, Londres, Doha ou Riyad, ou même Istanbul.

Alors qu’en est-il de de Bachar el-Assad ? Il y a ceux qui croient qu’il veut vraiment encore rester dans l’histoire comme l’homme qui a donné sa liberté à la Syrie. Absurde, bien sûr. Le problème est que, même si cela était vrai, il y a tous ceux pour qui tout changement politique significatif devient une menace pour leur pouvoir et leur vie. Les généraux de la sécurité, de la police et les paramilitaires du parti Baas se battront jusqu’à la mort pour Assad, fidèle à un homme, parce que - même s’ils ne l’admirent pas - ils savent que son renversement signifie que leur propre disparition. Mais si Assad voulait indiquer qu’il avait l’intention de se « renverser » lui-même - c’est-à-dire si le référendum et la nouvelle constitution et tous les changements « démocratiques » dont il parle étaient devenus réels - ces hommes bien placés éprouveraient à la fois crainte et colère. Pourquoi, dans ce cas, devraient-ils lui rester plus longtemps fidèles ?

Non, Bachar el-Assad n’est pas un pion. Il prend les décisions. Mais son père, Hafez, est arrivé au pouvoir en 1970 dans un révolution qui se voulait « corrective » ; "une correction" peut toujours se produire à nouveau. Au nom du baasisme. Au nom du nationalisme arabe. Au nom de l’écrasement de l’ennemi Al-Qaïda-sioniste-islamiste-terroriste. Au nom de l’histoire.

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4 mars 2012 - The Independent - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.independent.co.uk/opinio...
Traduction : Info-Palestine.net - al-Mukhtar


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