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La Coquille : prisonnier politique en Syrie - de Mustafa Khalifé

lundi 12 mars 2012 - 15h:18

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Après six ans de séjour en France, où il a obtenu un diplôme d’études cinématographiques, le narrateur décide de rentrer au pays.

Dès son arrivée à l’aéroport de Damas, il est arrêté par la police politique et conduit dans un bâtiment sinistre du centre-ville, appartenant aux Services de renseignements.

Là, il est violemment frappé avant d’être accusé contre toute vraisemblance, lui, le chrétien grec-catholique, d’être membre du mouvement des Frères musulmans.

Quelques jours plus tard, il se retrouve dans la gigantesque et terrible prison du désert, en compagnie de milliers de détenus.

Commence alors son calvaire qui va durer treize ans...

Ce récit, qui se présente comme un journal, restitue sous une forme légèrement romancée les choses vues et entendues par Mustafa Khalifé durant son long enfermement dans les prisons syriennes.

Les scènes se succèdent, d’autant plus insoutenables qu’elles sont décrites sobrement sans vaine rhétorique ni pathos.

Elles donnent à voir, non seulement la barbarie des geôliers, mais aussi le processus de déshumanisation des détenus et, au-delà, de toute la société.

Biographie de l’auteur

Moustafa Khalifé est né en 1948 à Jarablus, au Nord de la Syrie. Diplômé en droit, il milite dans un mouvement d’opposition d’extrême gauche jusqu’à son arrestation en 1979.

Libéré l’année suivante, il est de nouveau arrêté en 1982 pour ne sortir de prison que douze ans plus tard, en 1994.

Détails sur l’ouvrage

Broché : 257 pages
Editeur : Actes Sud (3 septembre 2007)
Collection : La bibliothèque arabe
Langue : Français
ISBN-10 : 2742770208
ISBN-13 : 978-2742770205

Traduction de l’arabe : Stéphanie Dujols


Moustafa khalifé, l’homme qui doute

Né en 1948 à Jarablous, dans le gouvernorat d’Alep, il a entamé ses études de droit à l’université de Damas en 1973. Poursuivi par les services de renseignement à partir de 1977, et obligé de vivre en clandestinité, il n’obtiendra son diplôme qu’en 1997. Il est arrêté une première fois en 1979 et libéré en 1980. A partir de janvier 1981, il passera treize ans en prison jusqu’en octobre 1994. En 2005, il se voit contraint de quitter son pays.

Nous publions l’intervention qu’il a prononcée en France en novembre 2011 à propos du récit de ses années de prison, La Coquille (2007). Intervention traduite de l’arabe par Aïcha Arnaout.

« [...] Ce soir, j’aimerais parler de La Coquille sous un seul angle.
Mais avant cela, permettez-moi de revenir, en quelques coups de projecteurs simples et rapides, sur l’univers de la prison et celui des détenus, de leurs femmes et de leurs enfants, sans recourir aux grands mots et au discours politique direct.

A la prison de Palmyre, nous vivions à soixante détenus dans un seul dortoir de 48 mètres carrés.
Chacun avait donc moins d’un mètre carré pour s’asseoir, manger et dormir.
Celui qui était grand souhaitait alors être petit, et celui qui était large d’épaule regrettait de ne pas être plus frêle.
Pour ces soixante hommes, un seul lieu d’aisance.

En plus de l’exiguïté spatiale, il y avait des milliers de restrictions : la nourriture, l’air irrespirable, le manque de dignité...
Malgré cela, nous pouvions communiquer entre nous et entretenir des relations humaines profondes.
Et nous étions capables de rêver, de rire, voire d’avoir des moments de joie.

Quelques mois de vie en commun nous ont permis de bien nous connaître.
Nous nous sommes alors répartis en 3 groupes, en fonction des relations que nous entretenions avec la Femme, avec un grand F :

Le premier groupe était constitué de ceux qui n’avaient pas encore eu l’occasion d’établir une relation avec une femme.
Il s’agissait essentiellement de jeunes, arrêtés dès le début de leurs études universitaires.
Ce groupe a été dénommé : Triste C ?ur.

Le deuxième groupe réunissait les hommes mariés ou ayant laissé dehors une bien-aimée qui attendait leur retour pour reprendre la vie commune.
Ce groupe avait pour nom : C ?ur Heureux.

Le troisième groupe rassemblait ceux que leurs femmes ou leurs amoureuses avaient abandonnés pour poursuivre leur vie.
La durée des périodes d’emprisonnement a joué un rôle important dans les décisions de séparation.
Ce groupe portait le nom de : C ?ur Brisé

Abou Maria, (le père de Maria), faisait partie de ce dernier groupe.
Il était séparé de sa femme, et Maria, sa fille, était née en prison.

Dans la banlieue de Damas, à une distance de quatre cents kilomètres de la prison de Palmyre au milieu du désert, il existe à Douma une prison pour femmes.
La maman de Maria, déjà enceinte, y était incarcérée avec une trentaine de détenues.
Elles vivaient à l’étroit dans des conditions difficiles.
A l’heure de l’accouchement, les geôliers refusant de transporter la femme à l’hôpital, elle mis au monde Maria dans une cellule. Quelques jours plus tard, Maria avait trente mères.

A la fin de la période de l’allaitement, Maria fut extraite de la prison pour être confiée à son grand-père.
Des années passèrent.
Des hommes et des femmes, après une longue absence, sortaient de prison pour affronter la vie avec toutes ses contrariétés, pour se heurter à la réalité et voir s’écrouler leurs rêves.
Ils reprenaient leurs rôles de père et d’époux, mais les déceptions s’accumulaient.

Maria est un exemple de ce phénomène social syrien, celui des « Enfants de détenus », enfants de ces hommes arrêtés dans la fleur de l’âge.
Beaucoup parmi eux débutaient juste leur vie conjugale.
Ils n’avaient pas encore d’enfants.
Les uns parce qu’ils avaient été arrêtés avant d’avoir eu le temps d’en faire un.
Les autres, parce qu’ils avaient laissé leur femme enceinte.
D’autres encore, parce qu’ils avaient repoussé à plus tard l’idée d’avoir une postérité.
Ces jeunes gens ont été emprisonnés durant dix, quinze ou même vingt ans.

Cet enfant qui était bébé ou qui avait à peine 1 an ou deux lors de l’arrestation de son père, a vécu une longue période dans la seule compagnie de sa mère.
Celle-ci s’est entièrement dévouée à son enfant.
Et voici qu’un homme, un « étranger », surgit brusquement, envahit l’intimité du foyer et devient le centre de l’attention de la mère.
Le comble est que cet étranger accompagne la mère dans la chambre à coucher, et tous les deux ferment derrière eux la porte à clef.

Un sentiment violent de rejet du père naît alors chez ces enfants.
Au début, il prend la forme d’une hostilité silencieuse.
Puis il se déclare ouvertement, installant les deux parties dans des camps opposés.
Le père, avec sa passion nourrie par tant d’années d’absence et de frustration, avec cette accumulation émotionnelle faite de sang, de larmes et de désir de s’exprimer, se trouve confronté au rejet et à l’hostilité.
Ils sont parfois traduits en une demande explicite : « Retourne là d’où tu viens, nous ne voulons pas de toi. »

Les enfants grandissent.
Le refus s’amplifie.
Les mots deviennent adultes.
L’enfant dit à son père : « Tu as été incapable de construire un foyer et une famille. Comment parviendras-tu alors à construire un pays ou une patrie ! »

Le deuxième dit : « Tu as commis une grande faute à mes dépens, en négligeant ton devoir de père pour rechercher une fausse gloire personnelle ».

Quant à Maria, qui était née en prison, elle a énoncé sa position avec force et clarté : elle a totalement boycotté son père.
Elle refusait de répondre à ses appels téléphoniques, parce que c’est lui qui l’avait empêchée de vivre son enfance, et que c’est à cause de lui que la séparation de ses parents avait eu lieu.

— -

Revenons maintenant à la Coquille.
Pour la première fois, je tiens à dire ici que j’ai vécu durant deux ou trois ans dans l’inquiétude et la peur, regrettant d’avoir écrit ce roman, ou au moins de l’avoir publié.
Après sa parution en français puis en arabe, les réactions des gens ont commencé à me parvenir.
Si leurs impressions divergeaient, toutes se focalisaient sur un point : le roman était dur, choquant, terrifiant...

A ce moment-là, mes pensées ont pris une autre direction.
Je me suis demandé comment il était possible que ce livre ait eu des résultats contraires à ceux que j’avais recherchés ?
J’avais voulu en faire un petit cri de liberté, poussé dans la grande vallée du despotisme.
J’avais voulu y condamner la violence perpétrée contre l’homme, quelle qu’en soit la provenance.
J’avais voulu démasquer les pratiques du régime dictatorial.
J’espérais contribuer à accroître le nombre de ceux qui réclament la liberté et qui sont décidés à se délivrer de l’amère réalité.

Mes questionnements se sont enchaînés.
Est-ce que j’avais servi par cette ?uvre le régime, sans le savoir ?
En fait, le dictateur se moque éperdument d’être aimé par les gens.
Il tient beaucoup en revanche à ce que tout le monde le craigne.
Plus est imposant le mur de la peur qui le sépare de son peuple, plus le régime est ferme et stable.

Bref, la question qui me hantait était la suivante : « Jusqu’à quel point ce roman, choquant et effrayant, a-t-il pu contribuer à amplifier la peur du régime chez ses lecteurs ? »

Cette angoisse m’a poursuivi de manière obsessionnelle, jusqu’au jour où j’ai rencontré dans une soirée une belle jeune fille qui faisait des études de dentiste.
C’était Maria qui était née en prison !
Nous avons échangé quelques bribes sur « La Coquille » et sur son impact éventuel chez ses lecteurs.
A ma grande surprise, Maria m’a dit : « La première chose que j’ai faite après l’avoir lu, c’est d’aller chez mon père. Et dans un élan d’affection, nous avons mis fin à nos longues années de rupture. »

Ses paroles ont représenté pour moi une récompense aussi immense qu’imprévue. »

Les jours qui ont suivi m’ont apporté des échos d’impressions similaires.
Quand la révolution syrienne a éclaté contre la tyrannie et le despotisme, un groupe de jeunes gens a créé une page sur Facebook dédiée « A celui qui n’a pas lu la Coquille ».
Lorsque j’ai lu les multiples commentaires des internautes, ils ont réduit en poussière les craintes et les doutes qui me travaillaient.

Les enfants de détenus qui ont rejeté un jour leurs pères, C ?urs heureux ou C ?urs brisés, ces enfants prennent maintenant une part active à la révolution syrienne.
Certains d’entre eux demandent à leurs pères aux cheveux blancs de les accompagner aux manifestations.
Et les voici qui marchent ensemble, la main dans la main. »

BabelMed - novembre 2011

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