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Le Hamas entre politique et principes

lundi 5 mars 2012 - 07h:32

Ramzy Baroud

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En dépit de toutes les assurances du Hamas pour affirmer le contraire, une véritable lutte a lieu au sein du mouvement islamique palestinien.

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14 décembre 2009 - Ismaïl Haniyeh, à l’occasion du 22e anniversaire de la naissance du mouvement de la résistance islamique - Photo : Reuters/Ibrahim Abu Mustafa

Le résultat de cette lutte - qui ne s’exprime encore que par des désaccords politiques feutrés et d’occasionnelles joutes intellectuelles - est susceptible de changer les vues du Hamas, si ce n’est modifier fondamentalement sa position dans un paysage politique arabe en rapide évolution.

Le mouvement du Hamas aujourd’hui est déjà différent de celui initialement mis en place par une direction locale à Gaza en décembre 1987 dans la foulée de la première Intifada palestinienne. L’une des premières déclarations diffusées par leur nouvelle « aile militaire » (des hommes masqués armés de gourdins et de bombes de peinture) définissait la nature de cette ère politique :

« Qu’est-ce qui vous est arrivé, Ô dirigeants d’Egypte ? Étiez-vous endormis dans la période du traité de la honte et de la capitulation, le traité de Camp David ? Votre sentiment national est-il mort et votre fierté a-t-elle disparue alors que les sionistes commettent chaque jour d’horribles crimes contre le peuple et ses enfants ? »

Bien que le rapport de force entre Israël et les Palestiniens soit largement resté le même, le Hamas a évolué d’une branche locale des Frères musulmans d’Egypte, en une organisation puissante au sein de la société palestinienne. Il est également devenu un acteur régional important, depuis longtemps désigné par les Etats-Unis et Israël comme faisant partie du camp radical au Moyen-Orient (les autres étant l’Iran, la Syrie et le Hezbollah).

Tandis que l’Iran et la Syrie ont été diabolisés pour avoir aidé et élevé le niveau de la résistance palestinienne et libanaise contre Israël, le Hamas et le Hezbollah ont résisté avec succès aux agressions militaires israéliennes sur la bande de Gaza et le Liban.

Mais les révolutions arabes ont imposé une changement important dans les relations de pouvoir dans la région. Les symboles de longue date de l’influence occidentale en Tunisie, en Egypte et au Yémen ont été violemment et de façon décisive chassés du pouvoir, bien que leurs acolytes cherchent encore à garder des positions en louvoyant. Le « camp modéré » a été déstabilisé par l’éviction de Hosni Moubarak, qui, pendant trois décennies et avec diligence, a veillé aux intérêts américains en échange d’une somme d’argent fixe. Les événements dramatiques qui ont secoué le monde arabe nécessitent des actions urgentes, des adaptations spectaculaires - soit réprimer là où le changement a été jugé inacceptable, soit exploiter de réels soulèvements populaires, quand ces changements présentaient l’occasion de régler des comptes.

La Syrie est un excellent exemple de ce dernier cas. Il est largement admis que, pour équilibrer le jeu des gains et des pertes, la suppression de Moubarak ne pouvait être compensée que par l’éviction du président syrien Bachar al-Assad. C’est alors seulement que l’ensemble du système reviendrait à un état de normalité - surtout si l’on considère l’influence décroissante américaine dans la région suite à son retrait d’Irak. Malheureusement pour la Syrie, le conflit a été rapidement redessiné sur la base de la politique régionale. La terrible violence qui sévit en Syrie est insérée dans des paradigmes dangereux relatifs à une intervention de l’OTAN et à l’insistance des pays arabes a transformer la guerre civile en un jeu à résultat nul.

Le Hamas, qui a survécu avec succès à la rivalité avec le Fatah, aux guerres israéliennes et à l’isolement international, a été confronté à un dilemme des plus critiques, comparé aux élections législatives de janvier 2006. D’une part, le soi-disant printemps arabe a inauguré une évidente (et prévisible) montée des forces politiques islamiques - dont le Hamas fait partie intégrante. D’autre part, il a de façon confuse modifié l’équilibre politique de la région dans son entier.

Ce n’est un secret pour personne que sans le soutien financier de l’Iran, le Hamas aurait difficilement pu administrer la bande de Gaza à la suite du blocus israélien en 2007. Damas a fourni au Hamas une base arrière pour sa direction politique, ce qui permet au mouvement islamique un certain niveau de liberté pour propager ses idées et s’autonomiser un peu de la direction assiégée dans la bande de Gaza et la Cisjordanie. Renier ses alliés en raison d’une polarisation de plus en plus forte (et sectaire) du discours politique dans la région n’est en aucun cas une décision facile à prendre. Et c’est là que réside le n ?ud du problème pour le Hamas.

Le réalisme politique est forcément teinté d’opportunisme. La réputation du Hamas parmi ses partisans a été maintenue grâce à un juste équilibre entre son savoir-faire politique et ses principes idéologiques basés sur la religion. Les périodes révolutionnaires peuvent bouleverser tous les équilibres, même habilement entretenus. Une série d’accords entre le Hamas et le Fatah, dont l’accord historique de Doha daté du 6 février - ont été vus comme le résultat d’une nouvelle carte des alliances régionales : Mahmoud Abbas et le Fatah ont subi un sérieux coup avec l’éviction de Moubarak, et le futur du Hamas en Syrie peut se retrouver sérieusement compromis à la lumière de l’escalade de la violence.

Bien que les Palestiniens aient toujours voulu la réconciliation entre les partis rivaux, et longtemps en vain, les épisodes successifs de cette désunion montraient que pour les deux partis la concorde nationale et la résistance face à Israël étaient moins urgentes que la politique régionale. La dérive du Hamas vers un nouveau camp s’est déroulée à une vitesse étonnante. Les dirigeants du Hamas depuis Damas, et aussi depuis Gaza se sont lancés dans des tournées régionales, espérant forger de nouvelles alliances avec leur mouvement de résistance autrefois snobé. Et sous un autre aspect, les dirigeants du Hamas en exil sont soudainement apparus en tant que partisans de la modération politique. La rapidité de ce changement terminologique est expliquée par Brian Murphy et Karin Laub : « le premier dirigeant du mouvement en exil, Khaled Mashaal, veut que le Hamas s’inscrive dans l’ensemble de la montée politique islamiste ... Pour cela, le Hamas a besoin de nouveaux amis comme les riches Etats du Golfe qui sont en opposition avec l’Iran » (AP, 9 février).

Ecrivant dans le journal libanais Daily Star, Michael Broning, basé en Israël et directeur de la fondation allemande Friedrich-Ebert-Stiftung, marque son d’accord. « Mechaal en est venu à représenter une force de changement », dit-il, tandis que le Premier ministre de Gaza, Ismaïl Haniyeh « représente l’aile conservatrice de la direction du Hamas dans Gaza ». Ainsi, une ouverture longuement attendue se présente sous la forme : « des désaccords au sein du Hamas sont de plus en plus forts, opposant la direction du mouvement dans la diaspora contre l’organisation du Hamas dans Gaza ». Fait révélateur, le titre de l’article rédigé par Broning est : « Engager les modérés du Hamas et tester leur nouvelle souplesse » (24 février).

Certains commentateurs, dont Broning, sont en train de largement spéculer sur l’avenir du mouvement. La presse met en exergue des analyses traitant des man ?uvres du Hamas - que ce soit par nécessité politique ou par l’effet d’entraînement du triomphe idéologique des forces islamistes dans la région.

Le Hamas pourrait être en train de se réinventer, ou simplement en train d’essayer d’affronter la tempête. Dans tous les cas, l’objectif politique derrière les louvoiements du Hamas est de rapidement quitter son foyer traditionnel (l’occupation israélienne), et d’accéder à une toute nouvelle dimension dans la région dans son ensemble. Alors que le Hamas pourrait soutenir de façon convaincante que sa survie nécessite des changements mesurés dans le domaine politique, il lui sera plus difficile d’expliquer comment, aussi rapidement et aussi aisément, la politique régionale arrive à éclipser les priorités nationales.

En effet, la ligne séparant les principes de la politique peut parfois être un très très ténue.

*Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com.

Du même auteur :

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29 février 2012 - The Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
http://palestinechronicle.com/view_...
Traduction : Info-Palestine.net - al-Mukhtar


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