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Invasion de Naplouse : maisons et esprits sous occupation

jeudi 29 mars 2007 - 21h:44

Anna Baltzer - The Electronic Intifada

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Beaucoup de gens nous ont dit que cette invasion posait une menace plus grande que les précédentes parce qu’elle venait s’ajouter à une situation économique déjà désespérée ...

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Les jeeps de l’armée prennent position autour de la vieille ville de Naplouse

6 mars 2007

Je ne sais par où commencer. Il serait logique de commencer par le début, mais le début, c’était il y a très longtemps, bien avant que je n’arrive. Quant à la fin, on ne la voit pas. J’ai été parachutée dans la vie de Naplouse pendant une courte semaine et je ne suis pas sûre de m’en remettre un jour. Alors que je suis en train d’écrire depuis un lieu sûr, les gens de Naplouse continuent à lutter, pas seulement contre les incursions de nuit, les bombardements et les assassinats, mais simplement pour se rappeler leur propre humanité en dépit d’un traitement totalement inhumain. J’essaie de redécouvrir la mienne, d’en revivre les parties à présent polluées par la colère, ou pire, figées, comme si une partie de moi-même était morte. Et ça, alors que je n’y ai passé qu’une semaine.

Nous sommes arrivés le dimanche pour aider les volontaires de l’UPMRC (Union des Comités Palestiniens de Secours Médical) à distribuer des vivres et des services médicaux. Des dizaines de jeeps et des centaines de soldats avaient encerclé la vieille ville et l’armée avait décrété le couvre-feu dans tout Naplouse. Sa mission officielle était de capturer ou d’assassiner huit combattants de la Brigade des Martyrs d’Al Aqsa, branche armée du mouvement Fatah. Entretemps, les 40 000 habitants de la vieille ville de Naplouse étaient piégés chez eux, dans la zone des combats, incapables de se rendre au travail ou à l’école, ou même d’acheter de la nourriture pour leur famille.

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Vieille ville de Naplouse : les rues généralement encombrées sont vides pendant le couvre-feu.

Beaucoup de gens nous ont dit que cette invasion posait une menace plus grande que les précédentes parce qu’elle venait s’ajouter à une situation économique déjà désespérée résultant de l’embargo orchestré par les Etats-Unis après l’élection du Hamas. Alors que par le passé, les habitants avaient l’habitude de stocker de la nourriture et des vivres en prévision d’une invasion, ces jours-ci ils ont à peine assez pour leurs besoins immédiats. Les gens travaillent pour s’acheter du pain le jour même, de sorte que l’invasion ne les prive pas seulement de nourriture, mais les empêche d’aller gagner l’argent nécessaire pour en acheter davantage. Les volontaires médicaux nous ont conduits dans la vieille ville. Des familles nous interpellaient depuis les fenêtres surplombant les rues pavées : « Nous n’avons plus à manger ! ». « Mon bébé a besoin de lait ! ». « Ma mère a le diabète et nous n’avons plus d’insuline ! ». C’est au cri de « Volontaires internationaux ! Secours médical » que nous tournions le coin, sachant que les soldats risqueraient moins de tirer sur des étrangers enfreignant le couvre-feu.

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Des habitants de la vieille ville appellent depuis leur fenêtre pour nous dire qu’ils manquent de nourriture et de médicaments

Parfois, nous tombions néanmoins sur des soldats, leurs fusils braqués sur nous, nerveux et en colère qui nous criaient : « ARRIERE ! » « RANGEZ VOTRE APPAREIL PHOTO ! ». Souvent, ils tenaient en laisse de grands chiens noirs muselés. Mon c ?ur et mes genoux tremblaient si fort que je pensais m’effondrer, mais nous avons suivi l’exemple des volontaires médicaux. Ce qui les intéressait n’était pas de contester les actions des soldats ou de défier leur autorité, mais d’arriver aux gens pour les soigner et leur apporter de la nourriture Je me rendis compte que c’est une des grandes différences entre la solidarité directe et l’aide humanitaire.

Parfois, les soldats laissaient passer le médecin et les volontaires médicaux. Souvent ils leur refusaient le passage. Comme la nuit tombait et que les soldats nous refusaient l’accès à l’hôpital, nous avons décidé d’en rester là pour la journée en espérant avoir plus de chance le lendemain matin. Au moment où nous faisions notre dernière livraison de pain, huit soldats sont passés près de notre groupe avec un Palestinien. Quand il est arrivé à notre hauteur, l’homme a murmuré quelque chose, et les volontaires médicaux nous ont immédiatement relayé son message : « Ils m’utilisent comme bouclier humain ».

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Des soldats retiennent des volontaires et les empêchent de fournir des services médicaux.

L’utilisation de boucliers humains constitue une grave violation du droit international et nous avons immédiatement appelé B’tselem (Centre israélien des droits humains dans les territoires occupés) ainsi que Machsom Watch (groupe israélien de femmes qui surveillent les postes de contrôle, mais qui connaissent également bien la loi israélienne) pour qu’ils rapportent la chose et, avec un peu de chance, aident à libérer l’homme. Un contact israélien nous a expliqué que la pratique est si courante que nous ne pourrions probablement pas la stopper avant que l’homme ne soit remplacé par un autre et un autre après celui-ci. Nous voulions demander à sa famille ce que nous pouvions faire d’autre, mais l’armée avait bouclé tout le quartier.

C’est avec un immense sentiment d’impuissance que nous sommes allés à l’hôtel Crystal cette nuit-là, alors que des bombes explosaient dans la vieille ville proche sous une pluie torrentielle. Nous avons dormi profondément, et avons été réveillés à six heures du matin par les haut-parleurs des jeeps parcourant les rues en annonçant la poursuite du couvre-feu. Nous avons retrouvé les travailleurs médicaux et avons repris nos tournées. Beaucoup de familles manquaient de pain. Un enfant avait le bras cassé et avait besoin de soins. Parfois, pendant que nous étions chez les gens, des soldats faisaient irruption avec des chiens, entassaient tout le monde dans une seule pièce et fouillaient le reste de la maison. J’essayais de m’occuper des enfants pour les distraire ou peut-être pour me distraire moi-même. J’essayais de m’imaginer comment ce serait d’avoir ma maison envahie, de voir mes affaires détruites et d’être arrêtée chez moi. La plupart des descentes étaient brèves, mais certaines maisons étaient occupées pendant des jours et des jours. Nous ne pouvions pas atteindre les douzaines de familles occupées, mais leurs histoires nous parvenaient via les voisins et les travailleurs médicaux.

Les soldats ont occupé la maison de la famille Dilal et fourré vingt personnes dans une pièce pendant près de 48 heures. Parmi elles se trouvaient deux personnes âgées souffrant de problèmes cardiaques, une femme enceinte et huit petits enfants. Le reste de la maison avait été transformé en base d’opérations où les soldats pouvaient se reposer et se retrouver entre deux sorties.

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Pendant une arrestation, les soldats menottent un Palestinien et lui bandent les yeux.

La famille Awad a, elle aussi, été enfermée dans une seule chambre pendant que les soldats occupaient le reste de la maison. Un étage aurait été converti en centre de renseignement, un autre en prison tandis que la cave devenait un centre d’interrogatoire improvisé. Des jeunes revenant d’interrogatoires - rebaptisés familièrement « Enfer » en Arabe - avaient déjà commencé à nous raconter leur histoire, tandis que d’autres avaient disparu. Dans les ruelles, nous pouvions voir des hommes en menottes, un bandeau sur les yeux que les soldats faisaient monter dans des jeeps avec leurs fusils braqués sur nous en une sorte d’avertissement muet nous intimant de ne pas parler ni de photographier. Je cachai mon appareil photo, sachant qu’un cameraman de Reuter s’était vu confisquer son film à la pointe du fusil.

Des volontaires de l’UPMRC commençaient aussi à disparaître, notamment un homme, du nom d’Alaa, avec lequel nous avions livré du pain quelques heures auparavant, La dernière fois que je l’avais vu, je ramenais du dispensaire deux enfants malades chez eux, puisque leurs parents ne pouvaient pas aller les chercher. Après que nous eûmes remis les enfants à leurs parents, et que nous nous éloignions, nous avons entendu une fusillade tout près, derrière nous, juste après la maison des enfants. Quelques minutes plus tard, nous apprenions qu’un homme sans armes avait été abattu sur son toit et que son fils de 20 ans, Ashraf, avait eu un coude pulvérisé par une balle dumdum. Les soldats sont entrés dans la maison et ont arrêté le jeune Ashraf qui était sous le choc. Quand le docteur Ghassan (de l’UPMRC) et Alaa (un volontaire) ont essayé de pénétrer dans la maison pour descendre le corps du père vers une ambulance, les soldats les ont arrêtés tous les deux. Ils ont retenu le médecin pendant plusieurs heures, puis l’ont laissé partir, mais ils ont gardé Alaa car, disaient-ils, « il avait l’air suspect ».

Alaa et Ashraf ont finalement été relâchés et nous les avons interviewés le lendemain. Ashraf était à l’hôpital entouré de ses amis et de sa famille. L’humeur était sombre, mais il accepta de nous raconter ce qui s’était passé en ces termes : lundi, vers midi, mon père est monté sur le toit afin de voir pourquoi l’eau ne descendait pas. J’ai entendu du bruit dehors, et par la fenêtre, j’ai vu des soldats. Je suis monté dare-dare pour avertir mon père que l’armée était là et comme je lui parlais, une balle dumdum a frappé mon coude droit. Mon père s’est précipité vers moi pour me secourir. Quand il a regardé d’où venait la balle, il a été abattu par un tireur embusqué dans la nuque et puis, dans la tête.

J’ai appelé à l’aide et j’ai essayé de réanimer mon père par RCP. Quand l’ambulance est arrivée, des jeeps l’entouraient de toutes parts et l’empêchant d’atteindre notre maison. Les soldats m’ont fait monter dans une de leurs jeeps tandis que mon père continuait à perdre beaucoup de sang. Ils m’ont retenu pendant une heure et demie avant de m’emmener vers une ambulance. Un soldat s’est vanté d’avoir tiré sur mon père et moi et m’a escorté lui-même en jeep vers l’ambulance. Ma famille m’a dit par après que les soldats ont permis aux travailleurs médicaux de descendre le corps de mon père une fois qu’ils se sont assurés qu’il était mort.

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Ashraf Tibi sur son lit d’hôpital

Ashraf m’a montré une photo souriante de son père qui pendait au mur face à son lit d’hôpital. J’ai demandé à notre traducteur comment il se faisait qu’Ashraf connaissait la réanimation RCP et il m’a expliqué qu’Ashraf travaille comme volontaire médical et qu’il est le genre de personne qui risque sa vie pour en sauver d’autres. Nous avons demandé à Ashraf s’il avait un message pour le peuple américain et il a répondu : « Nous ne sommes pas des terroristes - les soldats ne trouveront pas ce qu’ils cherchent ici. Nous sommes des civils et nous voulons qu’on nous laisse tranquilles, pour que nous puissions vivre ».

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Anan Tibi

Les grands medias ont rapporté beaucoup d’erreurs concernant l’histoire d’Ashraf. Certaines sources ont prétendu que son père et lui étaient armés, d’autres qu’ils marchaient dans la rue en violation du couvre-feu. Je suis montée sur le toit et j’ai vu les taches de sang. J’ai parlé avec les volontaires médicaux qui les ont évacués. Il est absolument essentiel de faire connaître ces histoires et je vous serais reconnaissante de m’aider à le faire, d’autant plus que les medias sont déjà passés à autre chose. Ceci est le premier de plusieurs reportages que j’ai faits sur l’invasion de Naplouse ; l’histoire d’Alaa et d’autres suivront.

Photos de Anna Baltzer

Anna Baltzer est volontaire au Service international des femmes pour la paix dans la Rive occidentale et auteur du livre Witness in Palestine : Journal of a Jewish American Woman in the Occupied Territories. Pour toute information au sujet de ses écrits, photos, DVD et tournées de conférences, allez sur son site : www.AnnaInTheMiddleEast.com

Anna Baltzer depuis Naplouse, Palestine occupée, Live from Palestine, 14 March 2007 - The Electronic Intifada
Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Traduction de l’anglais : AMG

Par la même auteure :
- Invasion de Naplouse : résistance, hypocrisie et morts en sursis


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