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« Assez d’hystérie, stoppons cette paranoïa »

mercredi 28 mars 2007 - 22h:50

Zbigniew Brzezinski - Washington Post

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Comment un slogan de trois mots - War on Terror - a affaibli l’Amérique.

La « guerre contre la terreur » a installé une culture de la peur en Amérique. Depuis que l’admnistration Bush a érigé ces trois mots en slogan national après les
terribles évènements du 11 septembre, ils ont eu un impact pernicieux sur la démocratie américaine, la psyché américaine, et la réputation des USA dans le monde. L’utilisation de cette phrase a de fait compromis notre capacité à nous confronter efficacement aux défis posés par les fanatiques qui pourraient utiliser le terrorisme contre nous.

Les dégats que ces trois mots ont provoqué - un cas classique de blessures que l’on s’inflige volontairement - sont infiniment plus grands que ce qu’auraient pu imaginer dans leurs rêves les plus fous les fanatiques qui ont perpétrés les attentas du 11 septembre, lorsqu’ils complotaient dans leurs lointaines grottes en Afghanistan. Cette phrase par elle-même est dépourvue de sens. Elle ne décrit ni la géographie du combat, ni nos ennemis présumés. Le terrorisme n’est pas un ennemi, mais une technique guerrière : l’utilisation de la mort de civils désarmés comme moyen de pression politique.

Mais le petit secret ici, pourrait bien être que l’imprécision de cette phrase a été délibéremment ( ou instinctivement ) construite par ses auteurs. La référence constante à la « guerre contre la terreur » accomplit un objectif majeur. Elle stimule l’émergence d’une culture de la peur. La peur obscurcit l’esprit, accroît l’émotion, et permet à des hommes politiques démagogiques de mobiliser l’opinion derrière les objectifs qu’ils veulent poursuivre. Le choix de la guerre contre l’Irak pourrait n’avoir jamais obtenu l’accord du Congrès dont il a bénéficié, sans la création d’un lien psychologique entre le traumatisme du 11 septembre et l’existence présumée des armes de destruction massives Irakiennes. Le soutien au Président Bush lors de l’élection de 2004 a également été obtenu à cause de l’idée qu’une « nation en guerre » ne change pas de commandant en chef au milieu du gué. Le sentiment d’un danger diffus mais indéfinissable a donc été utilisé à des fins politiciennes en insistant sur un « état de guerre », galvanisant.

Pour justifier la guerre « contre la terreur » l’administration a ensuite fabriqué un récit historique fallacieux, mais qui pourrait se transformer en prophétie auto-réalisatrice. En affirmant que sa guerre est comparable aux combats précédents que les USA ont mené contre le Nazisme et le Stalinisme ( tout en ignorant le fait que l’Allemagne nazie et la Russie soviétique étaient des puissances militaires de premier ordre, un statut qu’Al Quaeda n’a pas et ne saurait atteindre ), l’administration pourrait être en train de préparer la justification d’une guerre avec l’Iran. Une telle guerre plongerait les USA dans un conflit prolongé qui s’étendrait de l’Iran à l’Irak et à l’Afghanistan, et peu-être également au Pakistan.

Cette culture de la peur est semblable à un génie que l’on a laissé s’échapper de sa bouteille. Il acquiert une vie propre - et peut répandre la démoralisation. L’Amérique aujourd’hui n’est plus la nation sûre d’elle-même et déterminée qui a riposté à Pearl Harbor ; pas plus qu’elle n’est celle qui écoutait son chef lui dire, lors d’une autre période de crise, « la seule chose que nous ayons à craindre c’est la peur elle-même » [1] ; pas plus qu’elle n’est l’Amérique tranquille qui a mené la guerre froide en manifestant une imperturbable tenacité bien qu’elle sache qu’une vraie guerre puisse être brusquement déclenchée en quelques minutes, et provoquer la mort de 100 millions d’américains en seulement quelques heures. Nous sommes aujourd’hui divisés, sujets au doute, et potentiellement tout à fait susceptibles d’être en proie à la panique dans l’éventualité d’une nouvelle attaque terroriste sur le sol des USA.

C’est le résultat de cinq ans d’un quasi-continu lavage de cerveau sur la question du terrorisme, bien éloigné des réactions plus contenues qu’ont eues d’autres nations ( la grande Bretagne, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, le Japon, pour n’en citer que quelques unes ) qui elles aussi ont subi de douloureuses attaques terroristes. Dans sa dernière justification de la guerre d’Irak, le Président Bush a même prétendu de manière absurde qu’il devait poursuivre la guerre, car sinon Al Quaeda traverserait l’Atlantique pour lancer une guerre terroriste ici, aux Etats-Unis.

Une telle instrumentalisation de la peur, renforcée par les entreprises du secteur de la sécurité, les mass-médias et l’industrie du spectacle, génère sa propre justification. Ceux qui tirent leurs revenus de la terreur, habituellement nommés experts en terrorisme, sont évidemment engagés dans une compétition pour justifier leur existence. De ce fait, leur tâche consiste à convaincre l’opinion qu’elle fait face à de nouvelles menaces. Cela rend encore plus valorisantes les présentations de scénarios crédibles d’actes de violences toujours plus horribles, quelques fois plans à l’appui.

Que l’Amérique soit devenue anxieuse et plus sujette à la paranoia est difficilement contestable. Un étude récente a montré qu’en 2003 le Congrès identifiait 160 sites représentant des cibles d’importance nationales pour les terroristes. A cause de l’influence du lobbying en la matière, ce nombre a atteint 1894 à la fin de cette même année, puis 28 360 fin 2004, 77 769 fin 2005. La base de données recensant les cibles éventuelles contient maintenant 300 000 entrées, allant des Sears Towers à Chicago jusqu’au Festival de la pomme et du cochon en Illinois.

Pas plus tard que la semaine dernière, ici à Washington, me rendant au bureau d’un journaliste, j’ai du me soumettre à l’un de ces absurdes contrôles de sécurité qui proliférent dans presque tous les immeubles de la capitale ainsi qu’à New York. Un garde en uniforme m’a demande de remplir un formulaire, de prouver mon identité et dans ce cas précis, m’a demandé de coucher par écrit l’objet de ma visite. Est-ce qu’un terroriste en visite aurait écrit « faire sauter l’immeuble » ? le garde aurait-il été en mesure d’arrêter un terroriste potentiel se dénonçant lui même ? Pour rendre les choses encore plus absurdes, les grands magasins, avec leur foules de clients, ne prennent pas de mesures comparables. Pas plus que les salles de concert ou les cinémas. Mais pourtant de telles procédures de « sécurité » sont devenues routinières, gaspillent des centaines de millions de dollars, et contribuent à installer une mentalité d’assiégés.

Tous les échelons du gouvernement ont contribué à stimuler cette paranoïa. Pensez par exemple aux panneaux d’affichages lumineux sur les autouroutes qui invitent les automobilistes à « Signaler toute activité suspecte » ( des conducteurs en turbans ? ). Certains médias ont apporté leur propre contribution. Les TV du cable et certains journaux se sont apperçus que les scénarios catastrophes d’attaques terroristes créent de l’audience, tandis que la présence d’« experts » et « consultants » en terreur fournit un gage de sérieux aux visions apocalyptiques qu’ils dispensent au public américain. Il en va également ainsi avec la prolifération de programmes TV où le rôle du méchant est tenu par un terroriste barbu. L’effet produit renforce le sentiment d’un danger indéfini mais latent qui est censé menacer de plus en plus la vie de tous les américains.

L’industrie du spectacle s’est aussi saisie du sujet. Les films et les séries TV dans lequels les personnages de méchants ont les traits reconnaissables d’arabes, parfois soulignés par leurs pratiques religieuses, exploitent l’anxiété des spectateurs et stimulent l’islamophobie. Les stéréotypes physiques attribués aux arabes, tout particulièrement dans les dessins humoristiques de presse, ont été bien souvent traités d’une manière qui évoque douloureusement les campagnes antisémites de l’époque nazie. Récemment, même des associations d’étudiants ont été impliquées dans de telles campagnes, oubliant apparemment le dangereux lien qui existe entre la propagation de la haine raciale et religieuse et le déchainement de crime sans précédent de l’Holocauste.

L’atmosphère créée par la « guerre contre la terreur » a encouragé le harcèlement juridique et politique d’arabes américains (généralement de loyaux américains), en leur reprochant des comportements qu’ils ne sont pas les seuls à avoir. Un exemple en la matière est le harcèlement qu’à subi le Council on American-Islamic Relations (CAIR) lors de ses tentatives d’imiter, sans beaucoup de succès, l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC). Certains membres du Sénat ont récemment décrit les membres du CAIR comme pratiquant l’« apologie de la terreur », qui devraient se voir interdire l’usage des batiments du parlement pour conduire leurs débats.

La discrimination, par exemple à l’égard des musulmans sur les vols aériens, est également l’un de ces effets indésirables de cette atmosphère. Sans surprise, l’animosité à l’encontre des USA, même parmi les musulmans peu concernés par le Moyen Orient, s’est accrue, alors que l’image de leader qu’avaient les USA dans l’édification de relations constructives entre les races et les religions a énormément souffert.

la situation est encore plus préoccupante dans le domaine des libertés. La culture de la peur a donné naissance à l’intolérance, au soupçon à l’égard des étrangers, et a conduit à l’adoption de lois qui compromettent des notions fondamentales du droit. La présomption d’innocence a été affaiblie - sinon bafouée - quand certains - y compris des citoyens US - sont incarcérés durant de longues périodes sans pouvoir faire valoir leur droit à un procès qui soit tenu rapidement et équitablement. Il n’y aucune preuve connue ou tangible que de tels excès aient permis de prévenir quelqu’acte de terrorisme, et les condamnations de tentatives terroristes ont été fort peu nombreuses. Un jour prochain les américains auront honte de cette époque ou pour la première fois dans l’histoire des USA la panique ressentie par le plus grand nombre aura provoqué l’intolérance contre la minorité.

Dans le même temps, la « guerre contre la terreur » a gravement affaibli les USA sur la scène internationale. Pour les musulmans, la similitude entre le traitement brutal des civils Irakiens par les troupes US et celui des Palestiniens par Israel a provoqué un sentiment largement répandu d’hostilité envers les USA en général. Ce n’est pas la « guerre contre la terreur » qui indigne les musulmans regardant les journaux télévisés, ce sont les victimes civiles arabes. Et ce ressentiment n’est pas limité aux seuls musulmans. Un sondage récent de la BBC auprès de 28 000 personnes dans 27 pays qui mesurait la perception du rôle des états dans les questions internationales, a montré qu’Israel, l’Iran, et les USA (dans cet ordre) étaient considérés comme les états ayant « l’influence la plus néfaste sur les affaires du monde ». Hélas, voilà pour certains le nouvel axe du mal !

Les évènements du 11 septembre auraient pû créer une véritable solidarité globale contre le terrorisme et l’extrêmisme. Une alliance mondiale des modérés, y compris les états musulmans, engagée dans une campagne résolue pour à la fois détruire les réseaux terroristes concernés, et pour mettre fin aux conflits politiques qui donnent naissance au terrorisme aurait été bien plus efficace qu’une « guerre contre la terreur » contre « l’Islamo-fascisme » annoncée démagogiquement par des USA largement isolés. Seule une Amérique confiante, déterminée et raisonnable peut promouvoir une véritable sécurité internationale qui ne laisserait pas d’espace politique aux terroristes.

Où se trouve le leader politique américain prêt à déclarer « Assez d’hystérie, stoppons cette paranoïa ? » Même dans l’hypothèse de futures attaques terroristes, dont la probabilité ne peut-être niée, faisons donc preuve de raison. Soyons les vrais héritiers de nos traditions.


Note :

[1] Discours d’investiture de Franklin Delano Roosevelt, 4 mars 1933

Zbigniew Brzezinski - Washington Post, le 25 mars 2007 -
Terrorized by ’War on Terror’
Traduction : Contre Info

Par le même auteur :
- Le conflit irakien "pourrait dégénérer en une guerre régionale"


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