La bunkérisation d’Israël en voie d’achèvement, sur fond de nettoyage ethnique permanent
mercredi 25 janvier 2012 - 09h:36
Jonathan Cook - The National
Le but ultime de Barak et de ses successeurs est de rendre Israël tout à fait imperméable aux influences extérieures de sorte qu’aucune concession pour la paix, telle que d’accepter un État palestinien, ne doive jamais être faite aux « bêtes » autour d’eux.
La roue a fait un tour complet.
La semaine dernière, le parlement israélien a révisé une loi vieille de 59 ans, prévue à l’origine pour empêcher des centaines de milliers de réfugiés palestiniens de retourner dans les maisons et sur les terres dont ils avaient été expulsées lorsque l’indépendance d’Israël a été proclamée. Le but de la loi draconienne de 1954, la « loi de prévention des infiltrations » était d’enfermer tout Palestinien qui réussissait à tromper la vigilance des tireurs d’élite gardant les frontières du nouvel État. Israël croyait que seules des sanctions sévères et la dissuasion pouvaient assurer le maintien de l’écrasante majorité juive qui venait d’être créé par une campagne de nettoyage ethnique.
Six décennies plus tard Israël se base de nouveau sur la « loi de prévention des infiltrations », cette fois-ci pour prévenir une nouvelle menace supposée contre son existence : l’arrivée, chaque année, de plusieurs milliers de demandeurs d’asile désespérés venant d’Afrique. Comme il l’a fait avec les Palestiniens il y a plusieurs années, Israël a criminalisé ces nouveaux réfugiés - dans leur cas, pour avoir fui la persécution, la guerre ou l’effondrement économique.
Des familles entières peuvent maintenant être enfermés, sans procès, durant trois ans pendant qu’un arrêté d’expulsion est recherché et appliqué, et les Israéliens qui leur offriraient une assistance risquent un emprisonnement allant jusqu’à 15 ans. L’intention d’Israël est apparemment de mettre le plus de réfugiés possible derrière les barreaux, et de dissuader les autres de suivre leurs traces.
Dans ce but, les responsables ont approuvé la construction d’un énorme camp de détention, géré par les services pénitentiaires israéliens, pour contenir 10 000 de ces arrivants indésirables. Selon Amnesty International, ce sera le plus grand centre de détention de son genre dans le monde. Il sera trois fois plus grand que le deuxième en grandeur, qui se trouve dans l’état du Texas.
Les Israéliens qui critiquent la loi craignent que leur pays manque à son obligation morale d’aider ceux qui fuient la persécution, trahissant ainsi les expériences de souffrance et d’oppression du peuple juif. Mais le gouvernement israélien et la grande majorité des parlementaires qui ont soutenu la loi - comme leurs prédécesseurs dans les années 1950 - ont tiré une conclusion très différente de l’histoire.
« Une villa dans la jungle »
La nouvelle « loi de prévention des infiltrations » est la dernière en date d’une série de politiques fortifiant le statut d’Israël comme le premier « État bunker » - conçu pour être le plus ethniquement pur que possible. Le concept a été exprimé de façon remarquable par un ancien Premier ministre, Ehoud Barak, l’actuel ministre de la Défense, qui a parle d’Israël comme « une villa dans la jungle », reléguant les habitants des pays voisins au rang des animaux sauvages.
Barak et ses successeurs ont transformé cette métaphore en une réalité physique, scellant lentement leur État par rapport au reste de la région, à un coût astronomique, en grande partie subventionné par les contribuables américains.
Leur but ultime est de rendre Israël tout à fait imperméable aux influences extérieures de sorte qu’aucune concession pour la paix, telle que d’accepter un État palestinien, ne doive jamais être faite aux « bêtes » autour d’eux. L’expression la plus tangible de cette mentalité a été une frénésie de construction de murs. Les plus connus sont ceux érigés autour des territoires palestiniennes : d’abord à Gaza, puis les zones de la Cisjordanie qu’Israël ne compte pas annexer - ou, du moins, pas encore. La frontière nord est déjà l’une des plus militarisées au monde - ce que les manifestants libanais et syriens ont constaté à grands frais, lorsque des dizaines de personnes ont été tuées et blessées lorsqu’ils approchaient ou prenaient d’assaut les clôtures.
Plus de murs prévus
Et Israël a en projet un autre mur, le long de la frontière avec la Jordanie, dont une grande partie est déjà minée. La seule frontière restante, celle de 260 km avec l’Égypte, est actuellement fermée par un autre mur gigantesque. Les plans ont été convenus avant les révolutions arabes de l’année dernière, mais ont acquis un nouvel élan avec le renversement du dictateur égyptien Hosni Moubarak.
Israël ne s’est pas occupé uniquement des murs du bunker, il travaille également fébrilement à la construction du toit. Il a trois systèmes de défense antimissile à différents stades de développement, y compris le Dôme de Fer, au nom révélateur, ainsi que des batteries de missiles Patriot américains stationnées sur son sol. Les systèmes d’interception sont supposés neutraliser toute combinaison d’attaques de missiles à courte et à longue portée que les voisins d’Israël pourraient lancer.
Mais il y a une faille dans la conception de cet abri, évident même pour ses architectes. Israël s’enferme avec certaines « bêtes » que la villa est supposée maintenir à distance : non seulement les réfugiés africains, mais surtout 1,5 million d’« Arabes israéliens », descendants du petit nombre de Palestiniens qui ont échappé à l’expulsion en 1948.
Ceci a été le principal motif pour le flot régulier de mesures antidémocratiques adoptées par le gouvernement et le parlement, qui s’est rapidement transformé en un torrent. C’est aussi la raison pour la demande renouvelée du gouvernement israélien aux Palestiniens de reconnaître la judaïté d’Israël ; ses obsessions concernant la loyauté ; et l’attrait croissant de schémas d’échange de population. Et face à cet assaut législatif, la Haute Cour israélienne est devenu de plus en plus complice.
Déchirer les familles
La semaine dernière, elle a sali sa réputation en confirmant une loi qui sépare les familles en niant à des dizaines de milliers de Palestiniens ayant la citoyenneté israélienne le droit de vivre avec leur conjoint palestinien en Israël - une autre forme de « nettoyage ethnique » conclut le commentateur israélien Gideon Levy.
Au début des années 1950, les militaires israéliens ont tué des milliers de Palestiniens désarmés par balles, alors qu’ils tentaient de récupérer les biens qu’on leur avait volés. De nombreuses années plus tard, Israël apparaît aussi déterminés à tenir les non-Juifs hors de sa précieuse villa. L’État bunker est presque achevé, et avec lui, le rêve des fondateurs d’Israël est sur le point de se réaliser.
Jonathan Cook est un journaliste indépendant, vivant à Nazareth. Il a remporté en 2011 le prix spécial Martha Gellhorn de journalisme.
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