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2012 : Faire face aux intimidations, agir pour la justice en Palestine

dimanche 1er janvier 2012 - 08h:01

Ilan Pappe - E.I

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Ce long chemin qui conduit au rachat de tous ceux d’entre nous qui veulent la justice commence par exiger des universitaires, des journalistes et des politiques en Occident de manifester un minimum de fermeté et de courage face à ceux qui veulent nous intimider. Et qui aboient bien plus fort qu’ils ne mordent.

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Manifestation pour Mustafa Tamimi, assassiné par les Israéliens à Nabi Saleh, en Cisjordanie (16 décembre 2011)

Si nous avons une liste de souhaits pour 2012, en tant que Palestiniens et amis de la Palestine, l’un des premiers doit être notre espoir de pouvoir traduire le changement spectaculaire qui s’est produit ces dernières années dans l’opinion publique dans le monde en une action politique contre la politique israélienne sur le terrain.

Nous savons pourquoi cela ne s’est pas encore concrétisé : les élites politiques, intellectuelles et culturelles en Occident se recroquevillent dès lors qu’il s’agit ne serait-ce que d’envisager une action selon leur propre conscience ou selon les souhaits de leurs sociétés.

Cette année écoulée a été particulièrement éclairante pour moi à cet égard. J’ai rencontré cette timidité à chaque étape des nombreux voyages que j’ai entrepris pour la cause en laquelle je crois. Et ces expériences personnelles ont été accentuées par des cas plus généraux montrant la façon dont les gouvernements et les institutions ont cédé devant les intimidations d’Israël et d’organisations juives pro-sionistes.

Toute une série de complicités

Bien sûr, on a vu le président US Barack Obama céder devant l’AIPAC, le lobby pro-israélien, ainsi que le silence et l’inaction persistants de son Administration devant la colonisation israélienne de la Cisjordanie, le siège et les assassinats à Gaza, le nettoyage ethnique des Bédouins dans le Néguev et la nouvelle législation discriminant les Palestiniens en Israël.

La complicité s’est poursuivie avec le recul honteux du juge Richard Goldstone après son rapport pourtant plutôt timide sur le massacre de Gaza - un massacre qui commençait il y a trois ans aujourd’hui, exactement. Et puis il y a eu la décision des gouvernements européens, spécialement de la Grèce, de s’opposer à ce que les campagnes d’aides humanitaires et de solidarité ne parviennent à Gaza par la mer.

En marge de tout cela, il y a eu encore les poursuites en France contre des militants qui appelaient aux boycotts, désinvestissements et sanctions (BDS) et quelques volte-face de certains groupes et organisations non gouvernementales en Europe cédant sous la pression et se rétractant après avoir décidé de rompre leurs liens avec Israël.

Apprendre par sa propre expérience comment fonctionne l’intimidation pro-israélienne

Ces dernières années, j’ai appris de première main comment fonctionnent de telles intimidations. En novembre 2009, le maire de Munich s’est trouvé terrifié devant les menaces d’un groupe lobbyiste sioniste et a annulé ma conférence dans sa ville. Plus récemment, le ministre des Affaires étrangères autrichien a annulé sa subvention pour une initiative à laquelle je participais, et, finalement, c’est ma propre université, l’université d’Exeter, que je voyais avant comme un havre de sécurité, qui est devenue glaciale quand une bande de voyous sionistes a prétendu que j’étais un mystificateur et un juif qui se haïssait lui-même.

Chaque année, depuis que je suis venu ici à Exeter, des organisations sionistes, du Royaume-Uni et des États-Unis, demandaient à l’université d’enquêter sur mon travail et étaient repoussées. Cette année, une même démarche a été prise au sérieux, momentanément dois-je dire. J’espère que c’est juste une défaillance temporaire ; mais on ne sait jamais, avec une institution universitaire (la bravoure ne fait pas partie de leurs caractéristiques).

Faire face aux pressions

Mais il y a aussi des exemples de courage, dans le monde et localement : le syndicat des étudiants de l’université de Surrey, mis sous fortes pressions pour annuler mon intervention, n’a pas cédé et a permis à la conférence d’avoir lieu.

La Commission épiscopale des évêques de Seattle, sur Israël/Palestine, a été confrontée à la colère des synagogues de la ville et au Consul général israélien à San Francisco, Akiva Tor, pour son projet de conférence avec moi en septembre 2011 au Town Hall de Seattle, mais elle a courageusement écarté cette campagne d’intimidation. Les accusations coutumières d’ « antisémitisme » n’ont pas fonctionné là-bas - elles ne fonctionnent jamais là où les gens refusent de se laisser intimider.

L’année qui s’achève a été aussi celle où la Turquie a imposé des sanctions militaires et diplomatiques à Israël en raison du refus des Israéliens d’assumer la responsabilité de leur agression contre le Mavi Marmara. L’action de la Turquie se distingue particulièrement des habitudes européennes et internationales de se contenter, au mieux, de déclarations sans portée, et de ne jamais faire payer à Israël le prix réel de ses actes.

Ne pas céder à l’intimidation

Je ne veux pas sous-estimer la tâche qui nous attend là. Ce n’est que récemment que nous avons appris combien d’argent était injecté dans ces machines d’intimidations dont le seul but est de faire taire toute critique d’Israël. L’an dernier, les Fédérations juives d’Amérique du Nord et le Conseil juif pour les affaires publiques - des groupes de lobby pro-israéliens influents - ont alloué 6 millions de dollars sur trois ans pour s’opposer aux campagnes de BDS et salir le mouvement de solidarité avec la Palestine. Et ce n’est pas la seule initiative du genre en cours.

Mais ces forces sont-elles aussi puissantes qu’elles semblent l’être aux yeux d’institutions très respectables comme les universités, les centres communautaires, les Églises, les médias et, bien sûr, les femmes et hommes politiques ?

Ce que vous apprenez, c’est qu’une fois que vous vous êtres recroquevillés, vous devenez la proie d’un éreintement continue et implacable jusqu’à ce que vous chantiez l’hymne national israélien. Si vous ne cédez pas, vous découvrez qu’avec le temps, dans le monde, la capacité d’intimidations des lobbys sionistes à vous atteindre se réduit petit à petit.

Réduire l’influence des États-Unis

Il est certain que les centres de pouvoir qui alimentent cette culture d’intimidations sont liés, dans une large mesure, aux États-Unis, ce qui m’amène au deuxième souhait de ma liste pour 2012 : mettre fin à la domination nord-américaine sur les affaires des Israéliens et des Palestiniens. Je sais que cette influence ne peut être aisément enrayée.

Mais les problèmes de timidité et les intimidations appartiennent à une sphère américaine d’activités où les choses peuvent, et doivent, être différentes. Il n’y aura aucun processus de paix ou même de Paix américaine en Palestine tant que les Palestiniens, quelle que soit leur direction, permettront à Washington de jouer un tel rôle central. Ce n’est pas comme si les décideurs politiques US pouvaient brandir la menace devant les Palestiniens que sans leur implication, pas de processus de paix possible.

En réalité, l’histoire a prouvé qu’il n’y avait aucun processus de paix - au sens d’un véritable mouvement vers la restauration des droits palestiniens - précisément en raison de l’implication états-unienne. Une médiation extérieure peut être nécessaire pour servir la réconciliation en Palestine. Mais doit-elle être américaine ?

Si les élites politiques sont nécessaires - avec d’autres forces et mouvements - pour aider à changer sur le terrain, un tel rôle doit venir aussi d’ailleurs dans le monde et pas seulement juste des États-Unis.

On peut espérer que le rapprochement récent entre le Hamas et le Fatah - et la nouvelle tentative de reposer la question de la représentation palestinienne sur une base plus large et plus juste - conduira à une position claire des Palestiniens montrant combien il est faux de penser que cette paix ne peut se réaliser qu’avec les Américains comme médiateurs.

Éclipser le rôle US désarmera les organismes sionistes états-uniens et leurs émules en Europe et en Israël en matière de pouvoir d’intimidations.

Laisser l’autre Amérique remplir un rôle

Cela permettra aussi à l’autre Amérique, celle de la société civile, du mouvement Occuper Wall Street, des campus progressistes, des Églises courageuses, des Afro-Américains marginalisés par les politiques dominantes, des Amérindiens et de ces millions d’autres Américains qui ne se sont jamais fait prendre par la propagande de l’élite sur Israël et la Palestine, cela leur permettra de jouer un rôle plus central dans l’ « implication américaine » en Palestine.

Cela bénéficiera aussi l’Amérique, car elle profitera de la justice et de la paix en Palestine. Mais ce long chemin qui conduit au rachat de tous ceux d’entre nous qui veulent la justice commence par exiger des universitaires, des journalistes et des politiques en Occident de manifester un minimum de fermeté et de courage face à ceux qui veulent nous intimider. Et qui aboient bien plus fort qu’ils ne mordent.


Ilan Pappe est professeur d’histoire et directeur du Centre européen pour les études palestiniennes à l’Université d’Exeter. Son dernier ouvrage est intitulé Out of the Frame : The Struggle for Academic Freedom in Israel (Pluto Press, 2010).

Du même auteur :

- Enterrement de la solution des deux Etats aux Nations unies
- Goldstone retourne sa veste
- La révolution égyptienne et Israël
- Soutenir le droit au retour des réfugiés, c’est dire NON au racisme israélien
- Tambours de guerre en Israël
- Ce qui guide la politique d’Israël
- L’enfermement mortel de la psyché israélienne
- « Nakbah 2010 »
- Un grand merci à vous

27 décembre 2011 - The Electronic Intifada - Sur Info-Palestine.net - Traduction : JPP


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