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Canada : La difficulté de s’exprimer sur la Palestine

vendredi 9 décembre 2011 - 05h:36

Laurie Adkin
Edmondon Journal

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Le prix à payer pour s’exprimer est de plus en plus élevé - bien que faible comparer aux immenses souffrances des victimes de ce conflit. La nécessité de s’exprimer n’a jamais été plus forte.

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L’État d’Israël a été fondé sur l’expropriation forcée des terres des Palestiniens contraints à l’exil
Madame Jamila Merhi, réfugiée du camps d’Akbar à Shatila - Liban.




J’ai récemment assisté à une table ronde ayant pour objet la tentative de l’Autorité palestinienne d’obtenir la reconnaissance d’un État palestinien par les Nations-Unies. Trois universitaires avaient été invités pour contextualiser et analyser la signification de cette action. L’initiative était parrainée par le département Sciences politiques de l’université d’Alberta et le Réseau local de la solidarité palestinienne. Quelques jours plus tard, une lettre paraissait dans The Journal, rédigée par Joseph Mandelbaum, et dans laquelle il accusait le département de « complicité dans la propagation de la désinformation » et, par voie de conséquence, dans la légitimation de l’antisémitisme.

Mon intention en écrivant ceci n’est pas de réfuter point par point les allégations de Mr Mandelbaum, mais de placer ses accusations dans le contexte d’une campagne plus large visant à discréditer et à étouffer toute critique des actions de l’État d’Israël. Cette campagne a créé un environnement dans lequel il est devenu difficile pour quiconque d’exprimer quelque critique que ce soit sur l’État israélien sans se faire accuser d’antisémitisme. Cette campagne a pris surtout pour cible les professeurs d’université, et elle obtient des effets paralysants sur les libertés universitaires autant que sur le débat politique.

En tant que professeur en sciences politiques, depuis de nombreuses années je présente aux étudiants le travail du brillant historien juif états-unien, George L. Mosse, qui a montré comment l’antisémitisme s’était construit dans le discours nazi sur le fondement de croyances répandues à cette époque. J’apprends également aux étudiants à identifier les éléments du discours islamophobe, qui présente bien des similitudes avec celui de l’antisémitisme

Ces dernières années, des universitaires français ont débattu pour savoir si un « nouvel antisémitisme » s’était développé chez les jeunes marginalisés issus des pays d’Afrique du Nord qui s’opposent fortement à l’occupation israélienne des Territoires palestiniens. L’anthropologue états-unien, Paul Silverstein, identifie plutôt un « antisionisme généralisé », du fait que les générations des années quatre-vingt-dix de jeunes nord-africains se sont identifiées aux Palestiniens (en tant que victimes d’États impérialistes).

Des organisations au Royaume-Uni, comme Engage, affirment que l’antisémitisme « contemporain » pourrait prendre la forme d’une critique d’Israël ou de l’ « antisionisme ». L’Observatoire européen des phénomènes de racisme et de xénophobie, et le groupe parlementaire britannique multipartite contre l’antisémitisme (sur le modèle de son homologue canadien) ont adopté une définition de l’antisémitisme qui inclut certaines critiques de la politique israélienne. Les défenseurs de cette position élargie de l’antisémitisme vont des sionistes de droites aux intellectuels juifs de gauche qui craignent que certaines condamnations d’Israël qu’ils entendent soient associées à de l’islamisme radical ou, que de telles critiques puissent empêcher de faire la distinction entre l’État d’Israël et la société civile. Il n’est pas difficile d’imaginer pourquoi des juifs pourraient craindre que ces critiques d’Israël ne dissimulent des attitudes antisémites, ni pourquoi ils pourraient craindre un amalgame du sionisme avec l’identité juive.

Ainsi, tous ces gens, qui ne mettent aucunement en doute la réalité de l’Holocauste ou l’histoire de l’antisémitisme qui l’a précédé, qui ont totalement compris le désir des juifs d’Europe - après la Deuxième Guerre mondiale - de se donner une patrie sûre à l’extérieur de l’Europe (et qui sont informés des positions sordides de refus des gouvernements états-unien et canadien d’accepter des réfugiés juifs), savent-ils aussi que l’État d’Israël a été fondé sur l’expropriation forcée des terres des Palestiniens contraints à l’exil ? C’est une injustice historique qui ne peut pas simplement « être occultée » par la « réalité » de l’État d’Israël - une injustice aggravée par de nombreuses autres injustices perpétrées au cours des 60 dernières années (auxquelles se sont opposés de nombreux juifs d’Israël et en dehors). Tant qu’il y a des millions de Palestiniens dans le besoin de leur patrie, nous ne pouvons pas éviter la nécessité de nous exprimer sur la Palestine.

Les organisateurs du Réseau de la solidarité palestinienne et les universitaires qui ont participé au forum n’ont fait aucune déclaration antisémite : aucune haine des juifs ne s’est exprimée, aucun complot juif pour la domination du monde n’a été évoqué. Aucune action de l’État d’Israël n’a été rattachée au caractère juif collectif. Au contraire, les organisateurs ont explicitement déclaré qu’ils ne tolèreraient pas d’interventions antisémites ou de quelque autre racisme que ce soit. Les orateurs ont reconnu l’existence de différences dans la société civile israélienne, de même que dans les communautés palestiniennes. Il est à noter que Mr Mandelbaum n’a avancé aucune preuve que des déclarations antisémites auraient été faites à cette initiative. Au contraire, sa caractérisation de la table ronde (« diabolisation d’Israël », « dégénération du débat universitaire ») ne se base que sur son équation : critique de la politique israélienne égale haine des juifs.

Comme exemples de discours « haineux », Mr Mandelbaum pointe les caractérisations du « mur de sécurité » d’Israël comme « mur d’annexion », et de son blocus de la bande de Gaza comme forme de « punition collective ». De même que nous ne pouvons pas parler des fondements violents, colonialistes de l’État d’Israël, ou comparer la domination d’Israël sur la Cisjordanie et la bande de Gaza à l’apartheid d’Afrique du Sud sans être accusés d’antisémitisme. La stratégie employée par Mr Mandelbaum - et par des organisations telles que Camus Watch (une organisation d’extrême droite créée aux États-Unis pour identifier et harceler les universitaires qui critiquent publiquement Israël) -, consiste à assimiler la critique des actions de l’État d’Israël aux discours de haine antisémites, éliminant ainsi toute possibilité de critique légitime.

Malheureusement, la Coalition parlementaire canadienne de lutte contre l’antisémitisme (CPCCA), cofondée par le député conservateur Jason Kenney et le député libéral Irwin Cotler, a joué un rôle dans cette campagne, pressant le gouvernement du Canada d’accepter la définition de l’antisémitisme incluant la critique de l’État d’Israël (considéré comme «  collectivité juive »). La CPCCA estime que « prendre Israël pour cible d’une condamnation et d’un opprobre sélectifs... est discriminatoire et haineux » et constitue une forme d’antisémitisme. Et c’est là que réside le problème : qu’est-ce qui constitue « une condamnation et un opprobre sélectifs » ? Qui en décide ? Sans parler des universitaires canadiens, qu’en est-il des nombreux Israéliens qui eux aussi s’opposent aux actions de leur gouvernement ? Leurs voix, aussi, sont jugées apparemment comme dépassant le débat démocratique légitime par ceux qui adoptent cette nouvelle définition de l’antisémitisme.

Pendant ce temps, marquer la solidarité palestinienne avec l’image de l’antisémitisme détourne notre attention du cadre global, plus large, des droits de l’homme et du droit international au sein desquels la plupart dans le monde (en dehors de l’Amérique du Nord) incluent les racines du conflit israélo-palestinien - un cadre créé par les multiples rapports des organisations des droits de l’homme, les résolutions votées par les Nations-Unies, la Convention de Genève, les décisions de la Cour pénale internationale, et même de la Cour suprême d’Israël (qui a statué que le « mur de sécurité » du pays viole le droit international).

Ce qui est l’enjeu, c’est l’environnement pour le débat politique sur des questions aussi importantes que la politique de notre pays envers Israël et la Palestine. Le prix à payer pour s’exprimer est de plus en plus élevé - bien que faible comparer aux immenses souffrances des victimes de ce conflit. La nécessité de s’exprimer n’a jamais été plus forte.


Laurie Adkin est maître de conférences de sciences politiques à l’université d’Alberta.

25 novembre 2011 - Edmondon Journal - traduction : JPP


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