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Quand la France et la Russie se chamaillent sur la Syrie

samedi 3 décembre 2011 - 09h:36

Georges Corm - Atlantico

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Visite officielle de François Fillon ce vendredi en Russie. Le Premier ministre a pu discuter avec Vladimir Poutine de leurs différences de conceptions sur l’épineux sujet des communautés religieuses opprimées au Moyen Orient.

La Russie n’a jamais été absente du Moyen-Orient, que ce soit sous le régime tsariste ou sous le régime bolchevique. Du temps des czars, ceux-ci étaient les protecteurs des communautés chrétiennes d’obédience grecque-orthodoxe ou églises dites « melkites », anciennement issue du patriarcat de Constantinople sous le règne de l’Empire romain d’Orient, devenu empire byzantin. Sous les Soviets, la Russie en révélant les tractations coloniales européennes pour le dépècement de l’Empire ottoman, est devenue une force anti-impérialiste majeure dans la région. Des dizaines de milliers de bourses étaient régulièrement attribuées à des étudiants de toutes les communautés religieuses (musulmanes et non musulmanes) au Proche-Orient pour étudier à Moscou, ce qui a facilité le développement des partis communistes locaux, force laïque majeure qui a imprégné diverses formes de nationalismes arabe. L’effondrement du régime soviétique et les problèmes sociaux, économiques et politiques qui en ont résulté, ont amené à l’effacement provisoire de la Russie en Méditerranée, mais non à sa disparition.

Aujourd’hui les révoltes arabes ont remis en cause la stabilité apparente de nombreux régimes politiques, sans que l’on sache encore quelle direction elles vont prendre. Des interventions militaires, politiques et médiatiques assez massives des puissances européennes et des Etats-Unis tentent de se gagner et de s’attacher les nouveaux régimes ou ceux à venir. Dans ce jeu, le sort du régime syrien sera clé pour l’avenir de la région, car sa disparition signifierait la fin de l’axe syro-iranien et de son allié libanais du Hezbollah, que l’Occident considère comme hostile à ses intérêts et souhaite casser depuis plusieurs années déjà. Or la Russie entretient de très bonnes relations avec cet axe, du fait même que celui-ci demeure le dernier verrou contre une main mise encore plus poussée du bloc atlantique sur la région.

Aussi, ne faut-il pas s’étonner des efforts russes depuis le début de la crise en Syrie pour faire dialoguer le régime avec les opposants. L’initiative de déléguer à Damas le patriarche de l’Eglise orthodoxe est dans la même ligne d’action. Elle vise aussi à montrer le soutien à la communauté chrétienne orthodoxe syrienne et aux autres communautés chrétiennes du Proche-Orient, et aussi que la Russie n’est pas insensible au danger qui les guetterait en cas d’une prise de pouvoir où le salafisme sunnite serait amené à jouer un rôle majeur. Le danger n’est pas totalement imaginaire, puisque diverses mouvances se réclamant de l’Islam sont redevenues actives dans différentes sociétés arabes, avec un soutien assez évident des Etats-Unis et de la Turquie. Pour la Russie, un Proche-Orient entièrement dominé par de nouveaux régimes qui seraient alignés sur la politique de l’OTAN représente une situation menaçante pour sa sécurité.

La position française est évidemment toute autre et elle a tendance à s’aligner sur celle des Etats-Unis. Ceci n’est pas étonnant, car la politique de la France est depuis 2005 une politique franchement atlantiste et non plus une politique méditerranéenne ou arabe, comme elle a pu l’être autrefois. La France « protectrice des Chrétiens d’Orient » n’a d’ailleurs été qu’un aimable mythe. Depuis le XVIe siècle, elle a eu une politique musulmane et non point une politique de protection de communautés religieuses. Cette protection a été un prétexte au XIXe siècle pour augmenter son influence et justifier ses ambitions coloniales sur le Liban et la Syrie, face à sa grande rivale, la Grande-Bretagne, devenue puissance navale méditerranéenne supérieure à celle de la France depuis l’échec de l’expédition de Bonaparte en Egypte. Cette politique donnait en plus un avantage à la France catholique sur l’Angleterre protestante dans leurs rivalités en Méditerranée, le protestantisme n’ayant commencé à se développer au Proche-Orient que vers la fin du XIXe siècle.

Cette rivalité féroce entre ces deux puissances européennes dans la région a eu d’ailleurs pour conséquence les massacres entre la communauté maronite sous haute influence française et celle des Druzes sous protection anglaise et ottomane au XIXe siècle (1840-1860). De plus, les promesses non tenues des puissances européennes, France et Angleterre en tête, vis-à-vis des Arméniens et des Grecs de l’Empire ottoman ont préparé le terrain aux massacres et déplacements forcés de population par l’armée turque que l’on connaît (1899-1905-1918-1919).

Faut-il rappeler aussi que depuis l’occupation israélienne de la Palestine, soutenue sans discontinuer par les Etats-Unis et l’Europe, le nombre de Chrétiens orientaux en Terre Sainte a été considérablement réduit alors que récemment, sous occupation américaine, une émigration massive de chrétiens d’Irak a eu lieu suite aux attentats contre des églises remplies de fidèles, sans que l’armée américaine occupante ne s’en soit même préoccupée.

En fait dans leur longue histoire, les communautés chrétiennes d’Orient, se sont d’autant mieux portées qu’elles n’ont pas été instrumentalisées par les puissances européennes. Aussi, le Vatican tout comme le patriarche de la communauté maronite récemment en visite à Paris, ont-ils bien raison de mettre en garde la France et les Etats de l’OTAN contre des politiques aussi peu nuancées dans leurs interventions, mais aussi contre cette politique permanente très déstabilisante de deux poids deux mesures dans les affaires du Proche-Orient. Depuis le temps des Croisades, mais surtout au cours des deux derniers siècles, l’histoire du Proche-Orient témoigne de ce que les communautés chrétiennes locales ont été fortement déstabilisées à chaque intervention externe de puissances européennes ou, plus récemment, des Etats-Unis.


Voir aussi :

- Ce chemin de Damas semé d’embûches - Pepe Escobar - Asia Times

Georges Corm est un homme politique, consultant économique et juriste libanais. Il est également ancien ministre des finances du Liban et professeur à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth.

Il a écrit Le Proche-Orient éclaté 1956-2010, Folio/histoire, Gallimard, Paris, 2010.

De Georges Corm :

- Désarmer le Hezbollah « aurait été une erreur majeure »
- Foire d’empoigne autour de la Méditerranée
- La justice pénale internationale pour le Liban : bienfait ou malédiction ?
- « C’est une grave erreur de considérer qu’il existe encore une civilisation musulmane »
- L’évolution du statut du Liban dans l’ordre régional et international
- Une autre façon de penser les problèmes du Liban
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20 novembre 2011 - Atlantico


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