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Qui veillera au sort de centaines de milliers de réfugiés irakiens ?

mercredi 21 mars 2007 - 06h:46

Hasni Abidi - Le Temps

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Hasni Abidi, directeur du Centre de recherche sur le monde arabe et méditerranéen, Genève, évoque l’abandon dans lequel sont laissées les populations qui fuient la violence.

Quatre ans après une intervention censée déboucher sur la liberté et la démocratie en Irak, la guerre civile s’installe, la violence aveugle est le lot quotidien d’une population civile privée d’avenir. Nous aurions dû célébrer ce mois-ci le quatrième anniversaire de la première démocratie pluraliste du monde arabo-musulman. Nous voilà à pleurer sur l’Irak de Saddam - oui, Saddam, ce dictateur sanguinaire -, un Irak qui au moins était laïc et vivait en paix. Aujourd’hui, la communauté internationale est au chevet du pays, tantôt pour supplier les Etats de l’« Axe du mal » d’y réduire leurs nuisances, tantôt pour lancer des appels au secours afin d’atténuer les souffrances d’un peuple victime de ses anciens et nouveaux maîtres.

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Camp de réfugiés irakiens à la frontière syrienne ou jordanienne

Un problème nouveau est apparu : l’exode massif de la population irakienne, auquel s’ajoute le déplacement forcé, à l’intérieur du pays, de centaines de milliers de personnes démunies. Le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) annonce des chiffres alarmants : près de 1,8 million d’Irakiens déplacés dans leur pays. Ce nombre pourrait s’élever à 2,7 millions avant la fin de 2007. Mais d’autres ont opté pour un exil plus lointain. Entre 40 000 et 50 000 Irakiens fuient leur patrie tous les mois. Ils sont aujourd’hui un million en Syrie, 700 000 en Jordanie, plusieurs dizaines de milliers en Egypte, entre 80 000 et 130 000 au Liban et 40 000 en Iran et en Turquie.

Dans leur terre d’exil, les réfugiés vivent dans des conditions précaires, logés à la hâte dans des bâtiments publics et des écoles, souvent dans des installations de fortune ou des maisons insalubres. Il est vrai que les pays d’accueil, malgré la bonne volonté qu’ils affichent, sont soumis à de fortes pressions socio-économiques : crise du logement, surcharge des infrastructures et des systèmes d’éducation et de santé. Certains craignent des répercussions en matière de sécurité et redoutent le mécontentement des populations locales. De fait, les Etats arabes refusent d’accorder aux Irakiens le statut de réfugiés, qui leur conférerait plus de droits, de protection et d’aide, et les traitent le plus souvent comme clandestins ou visiteurs de passage.

En Jordanie, les enfants irakiens n’ont ni accès aux écoles publiques ni le droit de s’inscrire dans des écoles privées, faute de permis de séjour. Seul un Irakien disposant d’un montant de 100 000 dollars dans une banque jordanienne peut espérer obtenir un visa d’entrée dans le pays. Le tri se fait donc à la frontière.

La Syrie accorde depuis le 20 janvier une autorisation de séjour de trois mois renouvelable mais cette autorisation a été ramenée à deux semaines renouvelables une seule fois. A l’issue de ces deux semaines, il faut repartir au moins un mois en Irak avant de pouvoir retourner en Syrie. Cette situation perdure malgré les injonctions du patron de l’HCR, António Guterres, pour le non-renvoi des Irakiens.

Le HCR parle à juste titre d’un désastre humanitaire. Mais il n’est pas plus créatif que les Etats concernés : aucune stratégie de consensus n’a été élaborée pour faire face à l’afflux des réfugiés et organiser leur séjour dans les pays d’accueil.

Une priorité s’impose : déclarer l’Irak zone sinistrée. Reconnaître la présence en Irak, dans les pays limitrophes, dans les zones de transit, aux postes frontaliers, de centaines de milliers d’Irakiens vulnérables qui ont besoin de protection et d’assistance.

Le HCR a lancé en janvier un appel international afin de récolter 60 millions de dollars destinés à financer des programmes en ce sens. Il souligne également la nécessité d’une aide internationale plus conséquente pour garantir que les pays voisins maintiennent leurs frontières ouvertes aux personnes fuyant l’Irak. Les montants en question sont pourtant dérisoires.

C’est un moment de vérité pour l’ONU. Sa réputation a été entamée à cause d’un embargo injuste et du scandale lié au programme « Pétrole contre nourriture », qui a enrichi le clan de Saddam et certains fonctionnaires onusiens sans scrupule. Aujourd’hui, il est permis de demander aux Nations unies d’oser consacrer un programme aux civils irakiens, qu’on pourrait nommer « Pétrole contre protection des réfugiés ». Avec un baril à 66 dollars, une déduction de 1% seulement des ventes du pétrole irakien assurerait chaque année un montant situé entre 30 et 40 millions de dollars.

Une autre idée serait d’établir une agence du même type que l’Unrwa, créée par l’ONU à la suite de la première guerre israélo-arabe, en 1948-49, pour venir en aide aux réfugiés palestiniens à Gaza, en Cisjordanie, en Jordanie, au Liban et en Syrie. Une telle agence répondait aux besoins essentiels des réfugiés irakiens en matière de santé, d’éducation, de secours et de services sociaux. Son personnel pourrait être en majorité irakien, étant donné le haut niveau de qualification de la classe moyenne irakienne. Ils seront certes réfugiés, mais aussi et d’abord enseignants, médecins et travailleurs sociaux.

L’administration américaine dépense environ 2 milliards de dollars par semaine pour financer la guerre en Irak, et, à cette occasion, produire de nouveaux réfugiés. Les Etats-Unis devraient se sentir moralement et politiquement obligés d’assumer leurs responsabilités et de prendre en charge une partie des coûts de ce désastre humain.


Quelques chiffres de quatre années de massacres et de chaos

Quatre ans après l’invasion américaine, le pays est enfermé dans une spirale de violence sectaire dévastatrice. Le bilan des victimes civiles est difficile à cerner : selon le site internet Iraq Body Count, quelque 58800 civils sont morts, sans doute un chiffre plancher. Entre le 1er janvier et le 9 février, plus de 1000 attaques ont eu lieu chaque semaine, contre une moyenne de 900 sur la même période en 2006.

Environ 2 millions d’Irakiens ont fui l’Irak, 1,8 million sont des déplacés à l’intérieur de leur propre pays.

Au moins 3202 soldats américains, 133 Britanniques et 124 membres de la coalition sont morts. La Maison-Blanche, loin de préparer un plan de retrait, renforce au contraire sa présence en envoyant 25000 soldats supplémentaires pour atteindre 160000 hommes sur le terrain en juin.

Selon un sondage publié lundi et commandé par plusieurs médias occidentaux, 78% des personnes interrogées sont opposées à la présence de la coalition et 69% estiment que celle-ci n’a fait qu’empirer la situation ; 53% disent ne pas faire confiance à leur propre gouvernement, contre 33% en 2005.

Hasni Abidi, avec la collaboration d’Ahmad Al-Shiqaqi, politologue irakien
Le Temps, le 20 mars 2007

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