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La vague récente de protestations en Israël

vendredi 7 octobre 2011 - 07h:44

Ameer Makhoul

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La vague récente de protestations en Israël, qui prétend lutter pour la justice sociale, est l’une des mobilisations les plus puissantes et massives qui aient jamais eu lieu dans le pays. Un trait inédit de ce mouvement, nous devons ajouter, est sa prétention à ouvrir des espaces d’expression à différents groupes et individus.

La dynamique qui meut cette vague de protestation est celle, typique, d’un mouvement social. Cependant, le contenu des revendications des manifestants doit être soumis à une critique et à une discussion sérieuses. Un des aspects contradictoires de ce mouvement est le contenu très restreint qu’il donne à la notion de justice sociale. La justice sociale est une valeur universelle mais pour les protestataires de l’Avenue Rothschild de Tel Aviv, elle n’a de sens qu’appliquée à la dynamique interne de la société israélienne. A Tel Aviv, les causes profondes des injustices sociales auxquelles doivent faire face les Israéliens sont sujet tabou. Ce sont l’occupation, le racisme colonial, la militarisation de tous les aspects de la vie sociale et l’hégémonie de la pensée et du système néo- libéral. Ces questions sont profondément liées au processus de formation de l’Etat israélien.

Le mouvement de protestation sociale israélien doit être examiné à la lumière de deux développements qui marquent la scène internationale. Ce sont, d’une part, les soulèvements arabes qui constituent un exemple vivant de la capacité des peuples à changer l’ordre des choses et, d’autre part, la croissance du mouvement social international lequel prend un caractère mondial toujours plus marqué. Ce mouvement ne cesse d’approfondir son caractère populaire et de défier les élites néo- libérales mondiales dans les pays dits « riches » que frappe une crise dont les effets se font sentir sur toute la planète.

Les protestations qui se sont déroulées récemment témoignent de la force croissante du mouvement social israélien. Celui-ci remet partiellement en cause le système actuel de répartition du pouvoir en tentant de le redéfinir selon de nouvelles règles, plus aptes à satisfaire l’agenda de la classe moyenne qui est l’initiatrice et la dirigeante de ce mouvement. Mais les classes les plus pauvres d’Israël sont exclues de la direction de ce mouvement et de son discours. La classe moyenne par contre, traditionnellement forte, s’est mobilisée parce qu’elle a pris conscience de l’érosion de son pouvoir au profit de l’hégémonie néo- libérale, hégémonie que représente non seulement le premier ministre Netanyahou mais aussi les nouvelles élites reproductrices de la nouvelle idéologie d’Etat. Le néo-libéralisme est devenu la doctrine de ralliement de ceux dont le pouvoir s’exerce sur l’exécutif et la capitale de l’Etat.

Durant ces dernières années, la société israélienne a pris conscience de ses écarts socio-économiques grandissants. Dans le même temps, elle a assisté à l’émergence des nouveaux magnats. Très peu nombreux et détenteurs d’un petit nombre d’entreprises qu’ils dirigent selon des accords de cartel tacites ou explicites, les nouveaux magnats israéliens deviennent les véritables maîtres de l’économie israélienne et de l’allocation des fonds publics. Promoteurs de la pensée néo- libérale, ils exercent une profonde influence sur les processus de prise de décision au sommet de l’Etat, influence qui se matérialise dans les politiques de privatisation qui touchent jusqu’au ressources naturelles telles que les richesses minérales de la Mer Morte et les réserves de pétrole et de gaz récemment découvertes de la Méditerranée orientale. Ces ressources ont été accordées à ces magnats par le gouvernement de Netanyahou sous couvert d’un discours qui les présente comme le véritable moteur de la croissance économique. La classe moyenne israélienne, par contre, a un tout autre point de vue, elle considère que le fondement de la prospérité économique gît dans les classes moyennes et que par ailleurs les richesses, outre leur rôle de source des revenus de l’Etat, doivent servir la communauté toute entière. Par ailleurs, l’adhésion obtenue par Israël à l’OCDE en mai 2010 a eu pour résultat contradictoire d’attiser le mouvement de protestation en mettant en évidence les grandes inégalités de revenu dans l’Etat.

Comme cela est souvent le cas, les politiques néo- libérales légalisent et installent de façon durable et structurelle la corruption au sein de l’Etat. Le transfert de ressources naturelles et publiques au profit des magnats se fait sans soulever de vagues par le biais de nouvelles lois et réglementations qui mettent à contribution les différentes branches de l’autorité publique, y compris la branche judiciaire. C’est dans un tel contexte que nous voyons Netanyahou faire les louanges du « miracle » de l’économie israélienne qui a, selon lui, été capable de sortir victorieuse face à la crise financière mondiale.

Plus près des réalités et comme conséquence directe du miracle dont parle Netanyahou, le nombre de gens vivant en dessous du seuil de pauvreté est en pleine croissance. Alors que la magie des statistiques exhibées par Netanyahou montre une baisse du chômage, l’emploi précarisé ne cesse de prendre de l’ampleur. La grande question donc que le mouvement de protestation actuel étale sur la place publique est : qui est en train de payer le prix de ce regain apparent de prospérité économique ? Il n’est pas étonnant dans ces conditions de constater que la composante sociale essentielle du mouvement est constituée par les classes moyennes, pas par les catégories les plus pauvres de la population. Ce fait est renforcé par la facilité avec laquelle la classe moyenne a pu utiliser les médias pour servir sa cause, car la classe moyenne jouit de cette influence que lui permet sa qualité de pourvoyeuse de la plupart des élites.

La grande question est : est-ce qu’un tel mouvement ouvre des espaces suffisamment larges pour accueillir en son sein et dans un esprit d’égalité un faisceau plus vaste de revendications légitimes ? La réponse est tout simplement non, car la liberté d’expression a peu de sens quand elle est exercée dans un contexte où tous les humains ne sont pas considérés comme intrinsèquement égaux.

On peut dire de ce mouvement qu’il constitue une force montante parce qu’il défie non seulement les institutions dominantes en place- telles que celles qui se sont constituées autour de l’idée de la « sécurité d’Israël »- mais aussi l’opposition traditionnelle ainsi que la vieillissante centrale syndicale Histadrut . Que toutes les élites en place soient ainsi mises en question n’a été possible que parce que le sentiment que les choses peuvent être changées s’est largement répandu chez le peuple.

Il reste que l’interprétation étriquée et contradictoire de l’idée de « justice sociale » qui a cours dans l’avenue Rothschild de Tel-Aviv passe sous silence tout ce qui se rapporte à l’injustice que subit le peuple palestinien. Je ne parle pas seulement des Palestiniens qui sont en Cisjordanie à Gaza et en exil mais aussi de ceux qui sont citoyens israéliens et qui souffrent chaque jour de la confiscation des terres, des lois racistes, de la non-reconnaissance de leur villages par l’Etat et de la judaïsation du Naqab (Néguev) et de la Galilée. Si on s’en tient au discours de ce mouvement, ces questions ne sont pas « sociales » mais « politiques », ce qui les exclut du champ que couvre l’idée de « justice sociale ». En se présentant comme « apolitiques », les protestataires ignorent l’occupation, le blocus de Gaza ainsi que tout la structure raciste de l’Etat israélien dirigée contre les citoyens palestiniens. ( Il arrive que ces protestataires évoquent le racisme mais étrangement, leurs protestations anti- racistes, toujours limitées à des cas individuels, ne concernent que les Juifs éthiopiens et les travailleurs de l’Asie orientale).

Dans la terminologie israélienne, « l’apolitisme » permet d’inclure des groupes appartenant aux colonies de la Cisjordanie , de Jérusalem et du Golan. Ces colons sont tout simplement invités à se joindre au mouvement de protestation. Il y’a là une attitude tout simplement intenable aussi bien sur le plan éthique que politique. Elle signifie que les valeurs pour lesquels se bat le mouvement social israélien ne concernent que les Israéliens. En d’autres termes, la justice est bonne pour les Israéliens mais pas pour les Palestiniens. Les 7000 prisonniers politiques palestiniens par exemple n’ont pas droit à la justice, de même que les masses dépossédées de leur terres, les réfugiés , les déplacés etc. Le Mur d’Apartheid et le blocus de Gaza ne sont pas sujets dignes d’attention pour ce mouvement qui prétend offrir de larges espaces d’expression. Les colons sont les bienvenus mais pas les Palestiniens dépossédés de leurs terres par ces mêmes colons et cantonnés au-delà du Mur de Séparation érigé par le Loi israélienne. De même, sont exclus de cet espace d’expression, les mouvements de solidarité pour une paix juste ainsi que les peuples vivant sous des régimes sanglants entretenant des liens de coopération militaire et de renseignements étroits avec Israël.

Les mouvements sociaux israéliens, soumis au consensus national israélien, ignorent les droits de « l’autre » à la justice sociale. En évitant d’affronter les causes profondes du système injuste d’Israël, ces mouvements ne cherchent qu’à rendre les choses « moins injustes » , pas à changer le système et le régime.
Alors qu’elles refusent de faire face à l’idéologie coloniale-raciste qui fonde l’Etat d’Israël, certaines voix aiment considérer le mouvement social israélien comme « post-sioniste » , un « post-sionisme » dont nous savons très bien qu’il ne signifie ni « anti-sionisme » ni « dé-sionisation » d’Israël.

Tout ceci ne m’empêche pas de croire que ce mouvement peut mener vers des changements dans le sens du ré-établissement de l’Etat-providence qui existait dans le passé en Israël. Un tel Etat peut servir les intérêts d’une majorité de citoyens israéliens incluant les Palestiniens d’Israël mais là où il s’arrête est qu’il ne peut rétablir la justice historique à laquelle ces derniers ont droit. Certaines organisations palestiniennes participent à la mobilisation sociale, il est vrai, mais elles sont conscientes que les finalités mêmes du mouvements interdisent que soit pleinement satisfait l’agenda social et politique des Palestiniens.

Parmi les Palestiniens qui participent au mouvement, il y’a les Bédouins d’Al Arakeeb. Al Araqeeb est un village du Naqab que l’Etat israélien refuse de reconnaître : il a été détruit 28 fois par les buldozers du gouvernement. En dépit de la participation de ces gens au mouvement, les injustices dont ils ont souffert de la part de l’Etat ne figurent pas dans la liste des revendications présentées par la direction de ce mouvement.

Le discours de ce mouvement social n’est pas raciste, il est vrai, mais il évite de soulever la question du racisme. La justice n’est pas affaire qui concerne seulement ceux qui la promeuvent dans leurs discours, elle concerne aussi d’autres gens. Un mouvement social n’est pas une institution, il est fait d’idéaux et de valeurs parmi lesquelles la croyance centrale en l’égalité de tous. Le mouvement social israélien est en deçà de cette valeur.

En guise de conclusion, je rappelle que je suis toujours derrière les barreaux de la prison israélienne. Je ne peux avoir accès à l’information récente qu’à travers la télévision, la radio ou les journaux autorisés dans la prison. Je m’exprime en ma qualité d’activiste mais je dois dire qu’il m’est difficile d’avoir une approche vivante et circonstanciée de ce qui se passe dur le terrain. Je fais partie des 7000 prisonniers politiques palestiniens qui croient que l’injustice est vouée à l’échec alors que la liberté et la dignité humaines triompheront.

Consultez le blog pour Amir Makhoul

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5 octobre 2011 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/conte...
Traduction de l’anglais : Najib Aloui


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