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L’esprit du mal

mardi 20 mars 2007 - 07h:35

Achraf Aboul-Hol - Al Ahram Hebdo

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Egypte-Israël. Le film L’esprit de Shaked, diffusé par la télévision d’Etat israélienne, montrant des présumés massacres de soldats égyptiens, ouvre un dossier tout chargé de crimes de guerre commis par Tsahal. Cependant, des poursuites judiciaires restent un simple souhait.

Les événements et les réactions qui ont suivi la diffusion du documentaire israélien Rouah Shaked, ou l’esprit de Shaked, démontrent que Shaked n’était pas le seul mauvais esprit qui s’était emparé de l’armée israélienne lors de ses guerres avec les Arabes. Le commandement de l’armée israélienne a témoigné de l’émergence d’autres « démons » qui ont commis des crimes contre les militaires autant que les civils. C’est dire que l’on pourrait considérer que la liquidation des 250 soldats est un fait assez simple, en comparaison à ce dont ont témoigné Egyptiens et Palestiniens, voire les historiens israéliens eux-mêmes. En effet, le nombre de prisonniers tués serait dans les environs de 10 000.

Le réalisateur du documentaire, Ran Edelist, a certes tenté de se disculper en parlant d’une erreur, mais il s’avère quand même que ce qui a été filmé n’est qu’une partie minime de la réalité. En fait, c’était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Les massacres contre les prisonniers sont difficiles à énumérer. De plus, Rouah Shaked a occasionné un véritable choc auprès de l’opinion mondiale, voire d’une partie de la société israélienne elle-même. Celle-ci n’avait jamais imaginé que son armée pourrait être prise en flagrant délit pour crimes contre l’humanité, à l’exemple de ceux dont le peuple juif a été victime sous la férule des Nazis. Ces mêmes carnages pour lesquels les créateurs de l’Etat hébreu ont bénéficié d’une grande sympathie qu’ils ont exploitée pour s’emparer de la Palestine.

En réalité, les crimes ne concernent pas la seule agression de juin 1967, mais ont eu lieu lors des autres conflits en 1956 et 1967, une époque où ce sont les pères fondateurs d’Israël qui tenaient les rênes du pouvoir, dont Haim Weizman et David ben Gourion.

Au début et bien que les médias israéliens aient tenté d’imposer un black-out sur le film, celui-ci montre les images du massacre commis par le commando Shaked sous les ordres à l’époque de Benyamin ben Eliezer, actuel ministre des Infrastructures, et qui a liquidé 250 militaires égyptiens faits prisonniers à la fin de la guerre israélo-arabe de juin 1967. Le film évoque les événements survenus à la fin de cette guerre de juin 1967 lors desquels le commando Shaked avait reçu pour mission de prendre en chasse et d’anéantir des unités de commandos égyptiens qui étaient déployés dans la bande de Gaza et tentaient de gagner le Sinaï. Israël a depuis procédé à une valse hésitation. Et le réalisateur a tenté de démentir avec des arguments qui n’ont pu convaincre personne. De toute façon, le gouvernement israélien a envoyé le documentaire au ministère égyptien des Affaires étrangères à la demande de celui-ci.

Une fois l’affaire révélée grâce au film, des journalistes et des écrivains arabes israéliens et des habitants des régions palestiniennes nous ont contactés pour lever le voile sur d’autres massacres dont les prisonniers ont été victimes. Voire, ils se sont référés, à cet égard, à des historiens israéliens. Ils affirment que le film qui a soulevé cette réaction n’est pas la première reconnaissance par Israël du meurtre des prisonniers égyptiens. Des témoignages et des études israéliens faits par des historiens anciens et nouveaux ont détruit le mythe de l’armée israélienne. Dans son livre « L’unité Shaked », le professeur Uri Milistein dénombre et donne des détails sur des crimes de guerre, voire présente une photo de Ben Eliezer avec comme légende : « Liquidations après la guerre ».

Shaked avait hérité cette tradition de meurtre d’une précédente unité dirigée par Ariel Sharon appelée 101 (lire page 5). Le général israélien Arieh Biro était le premier à dévoiler en 1995, dans des entretiens à Maariv et au Jerusalem Post, que 48 prisonniers de guerre égyptiens ont été liquidés en 1956. Il s’agissait de mineurs et Biro, à l’époque le commandant du bataillon 890 des parachutistes, ajoute : « Je ne le regrette pas. Au contraire, j’en suis fier ». Les témoignages ne manquent pas. L’éthique et les valeurs morales de l’armée israélienne s’écroulaient avec l’occupation et l’euphorie issue des victoires. L’esprit du mal s’emparait de plus en plus de Tsahal. Les faits n’étaient pourtant un secret pour personne. Quand en 1995, des fosses communes ont été découvertes à proximité d’Al-Arich, la colère des Egyptiens a monté. La plaie était encore ouverte. Aujourd’hui encore, rien n’a changé. Mais s’il y a 12 ans, le gouvernement n’a pas cherché à approfondir les choses, il ne peut plus se le permettre. « Il y a cependant tant de pressions de la part des ONG, des médias et des parlementaires », estime Hafez Abou-Seada, président de l’Organisation égyptienne des droits de l’homme. Depuis 1995, l’organisation s’efforce de recueillir toutes les preuves possibles des crimes de guerre israéliens. Une campagne qui a d’abord commencé par la collecte des témoignages de 54 survivants des guerres de 1956 et 1967, avec leurs carnets militaires et les records de la Croix-Rouge ainsi que les témoignages des militaires israéliens et les publications militaires de Tsahal.

Du surplace comme réaction

En 2001, le premier ministre de l’époque, Atef Ebeid, avait décidé de créer une commission ministérielle de la Justice, de la Défense, des Affaires étrangères et de l’Information, pour suivre le dossier. Mais cette commission n’a jamais vu le jour et les plaintes déposées chez le procureur général ont reçu une fin de non-recevoir. La volonté politique manque. « Le régime s’est trouvé dans l’embarras à la suite du film. Cette fois-ci, le dossier est ouvert du côté israélien et donc, les Egyptiens doivent réagir », précise Emad Gad, rédacteur en chef d’Israeli Digest. Selon lui, Le Caire ne veut pas nuire à ses relations avec Israël ni avec les Etats-Unis. Preuve en est, le ministre des Affaires étrangères a déclaré que l’Egypte ne toucherait pas au Traité de paix avec Israël. « Mais qui a dit que le fait d’exiger une enquête et de revendiquer nos droits veut dire rompre la paix ? », s’indigne Abou-Seada. Israël n’a-t-il et en dépit des accords de paix demandé des indemnités pour les colonies qui étaient construites dans le Sinaï occupé ? 300 millions de dollars ont été payés. En dépit des accords de Camp David, Israël n’a-t-il pas intenté un procès contre l’ex-rédacteur en chef d’Al-Ahram l’accusant d’antisémitisme ? Gad croit qu’il « existe un accord tacite entre les deux parties pour ne pas fouiller dans les vieilles archives ou plutôt les vieilles tombes, le régime laisserait la colère éclater dans les médias pour un certain temps, c’est tout ».

Et cette colère, jusqu’où pourrait-elle aller ? Difficile à prédire. Les ONG sont en tout cas mobilisées. On collecte des preuves et on signe des pétitions. Le Conseil national des droits de l’homme, qui est d’ailleurs une instance gouvernementale a créé une commission qui examine en ce moment les procédures juridiques qui, dans un premier temps, permettrait de mener une enquête criminelle qui permettrait de confirmer la véracité des faits et en désigner les responsables.

Deux articles de la Convention de Genève permettront une telle poursuite judiciaire. L’article 12 qui concerne les crimes menés par des individus, et l’article 13 qui détermine la responsabilité des Etats. « On n’a pas besoin d’intenter un procès à l’étranger ou devant le Tribunal pénal international. Ces présumés crimes ont touché des Egyptiens et se sont déroulés sur un territoire égyptien. Il suffit que le procureur général ou le procureur militaire entame les procédures », explique l’avocat Abou-Seada. Mais jusqu’à preuve du contraire, aucune demande ni démarche, à part celle d’obtenir une copie du documentaire L’esprit Shaked, n’a été entreprise par le gouvernement.

Chronique sanglante

Le sergent Amin Ramadan, ancien prisonnier de la guerre de 1967 :

« Ils assassinaient de sang-froid et d’une manière humiliante. C’était comme un jeu pour eux. Tout d’abord, les officiers, ensuite, les sous-officiers, et enfin, les soldats qui savaient lire et écrire. Les officiers étaient fusillés ou bien écrasés par les chars. Plus tard, nous avons remarqué que plusieurs soldats d’entre nous étaient emmenés hors des camps. Ils retournaient après avoir subi des opérations chirurgicales. Nous avons appris que les Israéliens les utilisaient pour le trafic d’organes ».

Le sergent Mohamad Sayed Faramawi, ancien prisonnier de la guerre de 1967 :

« Nous avons été retenus dans un camp pendant 45 jours. On nous privait d’eau et de nourriture. On avait juste ce qui pouvait permettre à un gamin, voire un chat de subsister. Chaque jour, un officier israélien venait prendre 10 d’entre nous. Ils étaient tous tués et jetés hors du camp. Au bout de ces 45 jours, 450 officiers et soldats ont été tués de sang-froid avant que la Croix-Rouge n’arrive pour sauver les 250 restants ».

Hag Hassan Hussein Al-Maleh, habitant de la région :

« Les Israéliens transportaient les prisonniers dans des camions près d’Abou-Saql (non loin du Canal de Suez). Ils leur demandaient de se diriger vers le Canal sous prétexte qu’ils seraient transportés à domicile et ensuite, ils les fusillaient dans le dos. Les cadavres sont restés ainsi sur le sable pendant 10 jours avant que les habitants de la région, les bédouins, ne les enterrent ».

Cheikh Saleh Abou-Holi, habitant de Rafah :

« Les Israéliens ont attaqué les camps des soldats égyptiens. Ils les ont forcés à se coucher sur le sol et ils les ont écrasés avec leurs chars ».

14 mars 2007 - Al Ahram Hebdo - Vous pouvez consulter cet article à :
http://hebdo.ahram.org.eg/arab/ahra...

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