16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Syrie : la guerre d’usure du régime

dimanche 14 août 2011 - 19h:11

Marwa Daoudy

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Le régime syrien a répondu aux protestations par la violence, mais cette tactique le conduit-il vers son suicide final ?

JPEG - 65.7 ko
On estime à 2000 le nombre de victimes civiles et à 400 celui des membres des services de sécurité[EPA]

Le groupe international de crise a récemment caractérisé la réaction du régime syrien devant cinq mois de soulèvement populaire comme un « suicide au ralenti », résultat d’un mélange de brutalité sans frein, de manipulation sectaire, de propagande grossière et de concessions accordées à contrec ?ur.

Le régime a opté pour une stratégie de survie : répondre par la violence et menacer la population de chaos et de guerre civile au cas où il viendrait à disparaître. Son objectif était de lancer une guerre d’usure en comptant que le temps épuiserait toute révolte interne. Il a toutefois fait le mauvais choix en combinant une répression brutale avec des concessions graduelles. Il en est résulté une crise de confiance trop profonde pour être surmontée à coups d’appels au dialogue national et de réformes.

On estime à 2000 le nombre de victimes civiles (dont plus de 100 enfants) et à 400 celui des membres des services de sécurité. La situation est maintenant dans l’impasse. Aucun des deux côtés ne semble pouvoir l’emporter sur l’autre. Ces dernières semaines, les manifestations gagnent les grands centres urbains et culturels notamment Damas et Alep.

Les meetings se poursuivent à Hama, Homs, Latakieh, la province d’Idlib, et la riposte militaire reste massive de même que les arrestations opérées de maison en maison. Les forces armées du régime ont brutalement assiégé les villes de Homs, Hama et Deir ez-Zor faisant des centaines de victimes civiles depuis le début du mois de Ramadan. À Deir ez-Zor, le régime s’est heurté à une forte résistance de la part des tribus locales, notamment l’importante tribu Baqqara, qui a rejoint les mouvements de l’opposition.

Le 17 juillet, la conférence de salut national tenue à Istanbul a rassemblé 450 personnalités de l’opposition qui ont lancé un appel à la désobéissance civile dans tout le pays. Les partisans de la survie du régime croyaient assez naïvement qu’ils feraient pendant à la conférence qui s’était réunie à Damas le 27 juin avec d’importantes figures de l’opposition à l’hôtel Semiramis. Le régime a tenu la conférence du prétendu « dialogue national » le 10 juillet qui rassemblait quelques personnalités intellectuelles et publiques triées sur le volet et sommées de contribuer à l’amendement de la constitution et aux réformes politiques. La stratégie consistait à diviser l’opposition et à maintenir le statu quo. L’opposition a toutefois rejeté fermement tout dialogue mené sous la répression.

Il reste peu de cartes à jouer

Dans sa lutte pour la survie, le régime à quelques cartes dans son jeu. Les Syriens se préoccupent maintenant beaucoup de la fragilité de leur pays et des dangers qui le menacent. Se trouvant dans une toile de réseaux stratégiques, l’instabilité et l’insécurité en Syrie pourraient avoir des effets de longue portée. Les événements peuvent conduire n’importe où et le prochain mois sera capital.

Une vision à long terme et responsable est nécessaire à ce stade pour préparer une transition durable et pacifique. Des appels ont été lancés dans les groupes de réflexion néoconservateurs aux USA en faveur de sanctions frappant le pétrole et le gaz afin d’étrangler et d’affaiblir le régime de Assad. De telles sanctions sont peu judicieuses car elles puniraient collectivement une population qui vit déjà dans une situation économique et politique très dure.

Il est parfois fait appel à de tierces parties pour sortir de l’impasse. Dans ce cas, le problème serait de trouver un médiateur impartial n’ayant pas de programme propre et qui serait reconnu et accepté par les deux parties. L’éventuel médiateur devrait également pouvoir faire pression sur le régime pour qu’il cède le pouvoir lors de la phase de transition vers une représentation démocratique.

Le ministre turc des affaires étrangères , Ahmet Davutoglu, célèbre pour son approche du « problème zéro » dans les pays voisins, a été envoyé à Damas apparemment pour lancer un avertissement et éventuellement suggérer une sortie de crise. Le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan semble toutefois être tombé en disgrâce. D’une part, sa collusion avec les frères musulmans syriens préoccupe de plus en plus les laïques de l’opposition. D’autre part, la « relation spéciale » entretenue pendant sept ans par le gouvernement syrien avec la Turquie, au prix d’importantes concessions en matière de revendications territoriales et des ressources en eau , est maintenant sérieusement affectée par la présence de plus de 10.000 réfugiés en Turquie.

Qui d’autre ?

Quels sont les autres pays qui pourraient jouer un rôle viable de médiateur ? L’Arabie saoudite, les USA, la Russie ? Il y a eu un changement dans la position russe le 4 août, lorsque le Conseil de sécurité des Nations unies a condamné la violence contre les civils en Syrie. L’Arabie saoudite et les autres États du Golfe ont maintenant accru la pression en rappelant leurs ambassadeurs de Damas. Cette initiative a de toute évidence été prise en coordination avec Washington. Leur action ne semble pas totalement dénuée de calcul et bien que certains membres de l’opposition syrienne déclarent maintenant ouvertement qu’ils prendront leurs distances par rapport à l’axe Iran-Hezbollah, ce choix n’est pas unanime.

D’importantes personnalités de l’opposition telles que Burhan Ghalioun, considèrent que l’Égypte et la Turquie et l’Iran seront les partenaires naturels de la Syrie dans la région à l’avenir. Le régime a effectivement perdu toute la légitimité intérieure qu’il tirait de sa politique étrangère, mais la population syrienne n’accepterait pas un réalignement de la politique étrangère qui n’assurerait pas le recouvrement de la pleine souveraineté syrienne sur le plateau du Golan occupé par Israël.

La condamnation internationale et la surveillance continue de la répression sont des plus indiquées pour mobiliser et accroître la pression sur le régime. Mais une intervention militaire étrangère est toujours fermement rejetée par la majorité du peuple syrien. Pour assurer sa légitimité, l’opposition devrait se concentrer sur le front intérieur. Un nouveau régime viable pourrait être établi en combinant une prise en compte du passé aussi bien que de l’avenir. La bataille peut-être remportée de l’intérieur, tout en protégeant le pays contre le chaos et l’insécurité, en procédant de façon inclusive plutôt qu’exclusive. Toutes les composantes religieuses et ethniques de la population, y compris la communauté alaouite, devraient faire partie du processus.

Un État laïc

La Syrie est un des quelques états restants dans la région qui a réussi à construire un État laïque ayant une forte identité nationale transcendant les affiliations ethniques ou religieuses. Jusqu’ici, les manifestants ont remarquablement résisté aux tentatives faites pour donner aux troubles une connotation confessionnelle ; le régime a armé 30.000 villageois dans les province alaouites et a donné l’autorisation de tuer aux Shabbiha, voyous armés importés depuis les régions alaouites. Des minorités telles que les chrétiens, les alaouites et les druzes continuent à participer activement au soulèvement dans les provinces de Deraa, Homs et d’autres parties du pays. Malgré une meilleure coordination et une diffusion renforcée, l’opposition syrienne reste éparpillée et affaiblie par des luttes pour le pouvoir et des différences idéologiques.

Depuis le 1er août, les rangs des protestataires ont grossi après les prières du soir. Tous les assassinats commis pendant Ramadan, mois de jeûne, de prière et d’exercices spirituels pour le musulman, constituent un coût additionnel pour le régime. Les comités de coordination locale ont l’ambition d’entraîner Damas et Alep - où vivent 40 % des 22 millions d’habitants que compte la Syrie- à participer aux manifestations afin d’atteindre une masse critique.

Ils comptent aussi atteindre le deuxième cercle du pouvoir au-delà de la famille régnante. Des rumeurs concernant des défections de plus en plus nombreuses dans l’armée apparaissent maintenant dans les médias. Il semblerait que le ministre de la défense, le général Ali Habib, aurait été récemment remplacé parce qu’il aurait penché en faveur de la révolution. Le régime joue à nouveau la carte sectaire en choisissant un chrétien comme nouveau ministre de la défense.

S’ils reçoivent des garanties pour la phase post-révolutionnaire, les 1200 officiers alaouites, qui ont des centaines d’hommes sous leur commandement, pourraient être incorporés dans la phase de transition menant au pluralisme politique et à la règle du droit ; sans quoi ils risquent de résister jusque à la fin. Des poursuites devraient être engagées contre ceux qui ont commis des crimes. Mais le plus gros de l’armée (qui compte approximativement 200.000 soldats et officiers) devra bien être intégré d’une façon ou d’une autre. Tout ceci, si le contrôle des affaires militaires et sécuritaires est effectivement remis aux civils lors de la transition vers la démocratie.

Il reste beaucoup de chemin à parcourir, mais le chemin de Damas a été pris et il n’est pas question de revenir en arrière.

* Marwa Daoudy est professeure au centre du Moyen-Orient, au St Antony College à l’université d’Oxford.

12 août 2011 - Cet article peut être consulté ici :
http://english.aljazeera.net/indept...
Traduction : Anne-Marie Goossens


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.