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« Show caritatif à La Mecque ! »

vendredi 16 mars 2007 - 12h:34

Roni Ben Efrat - The Electronic Intifada

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« Seule la diplomatie saoudienne pouvait réussir à assumer la responsabilité historique pour toutes les parties en cause, à réunir les frères en guerre dans la ville sainte de La Mecque et à éteindre un feu où tous pouvaient être consumés. »

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Dirigeants palestiniens et saoudiens de gauche à droite : Khaled Meshaal (bureau politique du Hamas) le roi Abdullah (Arabie Saoudite), Mahmoud Abbas (Fatah et présidence palestinienne), Ismail Haniyeh (Hamas, Premier ministre palestinien) - 7 février 2007 February 2007. (MaanImages)

Ainsi, le 14 février 2007, Turqi al-Hamad louait les Saoudiens d’avoir négocié un accord entre Hamas et Fatah, en les forçant à reculer, à deux doigts de la guerre civile. Al-Hamad écrivant dans le quotidien pro saoudien al-Sharq al-Awsat, son article n’a guère causé de surprise. À première vue, en effet, l’Accord de La Mecque peut paraître merveilleux, au regard de ce que nous avons écrit ici il y a deux mois. Nous divisions - et nous divisons toujours - le Moyen-Orient selon deux axes. Le premier inclut les Etats-Unis, l’Arabie saoudite et le Fatah, le second comprend la Syrie, l’Iran et le Hamas. Dans ces conditions, comment un accord était-il possible ? La réponse : une conjonction d’intérêts, temporaire, entre Arabie saoudite et Iran. Quand on dégage quelques couches, cependant, les plumes du compromis tombent : l’Accord de La Mecque est un simple temps mort, pas la base d’un nouveau départ.

Qu’en est-il de cette « conjonction temporaire d’intérêts » ? L’Irak, à nouveau ! Riad et Téhéran, qui représentent respectivement les sunnites et les chiites, ont toutes deux, chacune pour des raisons propres, intérêt à un retrait américain. L’Iran va sans doute exercer la plus grande influence, étant donnée la majorité chiite. Iraniens et Saoudiens craignent tous deux que l’Irak ne puisse être placé sous contrôle tant que les Américains y seront présents. Il y a la perspective grandissante d’une guerre totale entre Chiites et Sunnites qui pourrait mettre le feu à la région. Un retrait américain ordonné, ce qu’espèrent les deux nations, permettrait de maintenir le conflit ethnique dans certaines limites et de le contrôler.

Les Saoudiens veulent obtenir le soutien iranien à un arrangement qui tiendrait compte des intérêts sunnites en Irak. En échange, ils sont disposés à apaiser les deux conflits dans lesquels ils ont leur mot à dire : Liban et Palestine. C’était probablement l’arrière-plan d’une série récente de rencontres entre le prince Bandar bin Sultan (conseiller national à la sécurité saoudien, ami personnel de la famille Bush) et Ali Larijani, négociateur en chef pour les affaires nucléaires d’Iran. Cependant, si les pressentiments de Seymour Hersch (New Yorker, 5 mars) sont fondés, sous couvert de favoriser la paix, et Washington fermant les yeux, les Saoudiens sont en train de couver un nouveau groupe d’extrémistes sunnites, genre Al-Quaida, en réponse à la menace nucléaire chiite. Point n’est besoin de bombe atomique, on l’a vu, pour abattre de grands buildings !

Le premier projet de Riad et Téhéran était de résoudre le conflit du Liban. Sous leur pression conjointe de ces deux derniers mois, Siniora avait accepté de relever la proportion de représentants du Hezbollah jusqu’au tiers du gouvernement, ce qui suffisait pour lui donner un droit de veto. Le Hezbollah, pour sa part, avait accepté la constitution d’un tribunal international chargé d’enquêter sur l’assassinat de Rafic Hariri en 2005. La Syrie, principal suspect, s’oppose à la création de ce tribunal, de sorte qu’elle se sent, sans nul doute, trahie par ses vieux amis, Iran et Hezbollah.

Quant au sanglant conflit qui oppose Fatah et Hamas, ce fut l’occasion pour les Saoudiens de monter leur meilleur spectacle. Le Sommet de La Mecque basait sa présentation sur Camp David et Sherpherdstown ; tous deux étaient mis en scène comme un dernier fossé à franchir, au prix d’un dynamisme formidable. Ils furent cependant des échecs, alors qu’à La Mecque pas la moindre allusion à un ratage n’était autorisée. Les résultats étaient mis au point d’avance. Même la Syrie leur donna sa bénédiction, espérant que les Saoudiens glisseraient quelques mots en leur faveur en direction de l’Occident.

L’accord lui-même, base pour le gouvernement d’union palestinien, est extrêmement trompeur. A la tête de ce gouvernement l’actuel Premier Ministre, Ismaïl Haniyeh, du Hamas, mais son suppléant est du Fatah. Le Hamas aura 9 ministres et le Fatah 6, mais il y aura aussi 5 ministres indépendants et 4 issus d’autres partis. Le Ministre des Finances sera Salam Fayyad, unanimement respecté. Le Ministre de l’Intérieur, qui doit encore être accepté, sera pris sur la liste de candidats indépendants présentée par le Hamas. Hamas maintient sa position sur Israël mais reconnaît les accords signés précédemment par l’OLP. Il refusa de dire qu’il y adhérait, comme le voulait le Fatah, mais d’un autre côté il renonça à une clause toujours mise en avant auparavant : qu’il ne reconnaîtrait que les accords « qui servent la cause du peuple palestinien. » Des deux côtés on promettait de ne plus se laisser engager dans un conflit. Tous deux avaient conscience d’une critique radicale montant de la rue palestinienne.

En restant à la surface des choses, mais seulement là, le Hamas paraissait s’en être sorti à son avantage :

1. Depuis son élection en Janvier 2006, le Hamas réclamait la formation d’un gouvernement d’union nationale avec le Fatah, mais ce dernier refusait, pensant pouvoir affaiblir le régime dirigé par le Hamas en obtenant que l’Occident diffère son aide financière. A présent, le Fatah a renoncé à cette ambition.

2. Les termes de l’accord de La Mecque ne contiennent aucune concession essentielle du Hamas (Israël peut prétendre que les exigences du Quartet n’ont pas été satisfaites).

3. Du fait que l’accord a été signé à La Mecque, la position du Hamas a obtenu une légitimité panarabe. Les Saoudiens vont faire pression sur l’Occident pour qu’il reconnaisse le nouveau gouvernement. En outre ce dernier peut à présent obtenir un financement d’un milliard de dollars de la part de la Ligue arabe.

Tout cela, nous l’avons dit, n’est qu’apparence. À La Mecque, les deux parties ont laissé leurs différends dans l’ombre. Le véritable test pour leur unité surviendra quand leur gouvernement sera poussé à accepter les conditions posées par le Quartet et par Israël. C’est un impératif pour que l’Occident débloque ses dons. Le Hamas ne peut pas gouverner sans cet argent : c’est son absence qui a été le déclencheur des affrontements. Pour l’obtenir, toutefois, le Hamas devra suivre une ligne de compromis.

Ici, une fois de plus, le Hamas révèle une singulière absence de logique. Nous l’avons en premier constaté, il y a un an, quand il fit le choix de participer à des élections organisées dans le cadre défini par les Accords d’Oslo. Il a accepté le contenant sans le contenu. Maintenant il s’enferre encore plus en entrant dans un gouvernement d’union, dans l’espoir d’obtenir les fonds de l’Occident sans avoir à accepter ses conditions. L’Arabie saoudite a gagné brièvement une certaine gloire, mais qu’en est-il du peuple palestinien ?

Certainement, l’horreur des scènes sanglantes dont nous avons été témoins, entre Hamas et Fatah, ne fait aucun doute. Elles se produisirent en totale opposition avec la volonté populaire. La rue palestinienne s’est sincèrement réjouie de l’Accord de La Mecque.

Le problème, cependant, est le suivant : l’union, pour en faire quoi ? Les Accords d’Oslo n’avaient pas jeté les bases d’un véritable état palestinien, plutôt le terreau d’un état dépendant des aides financières : un état subventionné pour servir les intérêts d’Israël et de l’Occident. Dès le début, les dons avaient pour objet de financer une entité politique composée d’élites vénales et dociles comme celles des autres régimes arabes. L’Autorité palestinienne, sous le leadership du Fatah, a gaspillé toute une décennie sans mettre en place d’infrastructure, sans créer de véritables emplois. Elle a acheté la tranquillité en distribuant du liquide, dans des sacs en papier, aux employés d’un secteur public bouffi.
L’élection du Hamas n’a pas entraîné de changement de direction. Même si nous reconnaissons que ce mouvement n’est pas corrompu, il n’offrait aucune alternative à l’état subventionné. Au contraire, la notion de charité, plus que de travail, est un principe qu’il défend. À présent cette notion est devenue le socle de tout le gouvernement d’union. À moins que ce dernier ne puisse « décongeler » les coffres occidentaux, les rues vont à nouveau entrer en éruption.

Grâce à La Mecque, la situation du peuple palestinien est de plus en plus inextricable : ses leaders, du Hamas comme du Fatah, l’ont liée plus fortement aux intérêts régionaux des Etats-Unis, de l’Arabie saoudite et de l’Iran. Les problèmes spécifiques du peuple palestinien devront attendre qu’un autre rapport de forces s’établisse.
La guerre entre Hamas et Fatah a créé un conflit de trop, dont le règlement met à présent la balle dans le camp du Hamas. Les exigences vont à présent peser sur le Hamas, pas sur Israël, particulièrement la demande de libération du soldat enlevé, Gilat Shahit, et de l’arrêt des tirs de roquettes Quassam. Au-delà, Israël et les Etats-Unis peuvent peser de tout leur poids pour obtenir du Hamas qu’il accepte les conditions du Quartet : dissoudre les organisations terroristes, respecter les accords antérieurs, et reconnaître Israël.

Ceci se produit au moment où un grand nombre de dirigeants israéliens de premier plan sont fortement compromis dans des scandales sexuels ou dans des affaires de corruption. Le lien entre l’argent et la politique approfondit les fossés sociaux. L’immoralité de l’Occupation a éclaboussé toutes les façons de vivre. La dernière ombre de calendrier politique (le Plan de convergence) s’est évanouie dans la guerre au Liban de l’été.

On ne devrait pas s’étonner de voir Israël, qui a lié son destin à l’Amérique, exhiber une telle myopie politique et un tel manque de sensibilité sociale. Ce qui est source d’inquiétude, plutôt, c’est que le peuple palestinien, qui a souffert si longtemps, raccroche ses intérêts au wagon du royaume saoudien, au lieu de faire entendre, du plus profond de lui-même, une autre voix, reflet de ses besoins. Entre des régimes arabes corrompus et le chemin de l’Islam, il faut trouver une troisième voie, laïque et réaliste, pour reconstruire la société sur une nouvelle base de classe. Union nationale, oui, mais pas avec pour objectif un état mendiant mais plutôt un état qui puisse accomplir les droits des Palestiniens ! Seul un état autonome, fondé sur une économie viable, pourra couper l’herbe sous les pieds du tyran de la porte à côté. »

CHALLENGE est une revue bimensuelle de gauche qui se consacre au conflit israélo-palestinien pris dans son contexte global. Publiée à Jaffa par des Arabes et des Juifs, elle comporte des analyses politiques, des reportages d’investigation, des interviews, des témoignages, des « gender studies », des articles sur les arts, et plus. Article paru dans Challenge n°101.

8 mars 2007 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Traduction : Michel Zurbach


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