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La guerre de Libye de Sarkozy

vendredi 1er juillet 2011 - 06h:28

Robert Harneis - Stop Nato

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Le président français Nicolas Sarkozy a initié la guerre contre la Libye - Pourquoi a-t-il pris ce risque ?

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Soldats libyens massacrés lors d’un bombardement de l’OTAN. Quelle excitation morbide pour un politicien occidental, que de disposer ainsi du droit de vie ou de mort ... Surtout si les victimes sont arabes...

Il est clair que sans son intervention personnelle, la guerre n’aurait sans doute pas eu lieu. Il n’y a que les petits enfants et les vieilles dames naïves pour croire que son but est uniquement de protéger le peuple libyen. Si c’était le cas, la France et l’OTAN seraient en guerre avec la moitié du monde y compris eux-mêmes étant donné ce qu’ils font aux civils afghans.

L’histoire de la relation de Kadhafi avec l’Occident et les USA en particulier, ressemble à de la science fiction. En 1969, la CIA, sous les ordres du président Nixon nouvellement élu, l’a aidé à chasser le roi Idris, l’homme de paille des Anglais dans ce nouveau royaume riche en pétrole. Ils ont choisi la mauvaise personne. La première chose qu’il a faite a été de fermer la base militaire étasunienne de Wheelus et d’inviter les Soviétiques dans le pays. Il est donc devenu le "chien enragé" de Reagan et notre ennemi mortel. Plus tard il a fait affaire avec l’administration de Bush fils et est redevenu notre ami.

Tous les pays occidentaux se sont précipités à sa porte pour lui vendre tout ce qu’il était possible de lui vendre, y compris les armes que nous sommes en train de bombarder actuellement. En 2007 il a été accueilli à Paris pendant cinq jours et il a même été autorisé à planter sa tente dans les jardins de l’Elysée. Obama était dans les meilleurs termes avec lui et il y a des photos avec Hilary Clinton où ils sourient en se serrant la main en 2009. Les Italiens, sous Berlusconi, ont signé un traité d’amitié avec lui et lui ont fait leurs excuses et payé des indemnités il y a seulement trois ans, pour la sauvagerie de leur colonisation avant la guerre qui a causé la mort de dizaines de milliers de Libyens. Puis, d’un instant à l’autre, le voilà redevenu un chien enragé et on le traite comme on a traité l’Irak.

C’est un discours agressif (et soigneusement mal interprété) dirigé contre les rebelles qui a donné au président français une opportunité unique qu’il n’a pas ratée d’intervenir dans le soulèvement en Libye. Il affirme qu’il s’inquiète pour le peuple libyen et qu’il veut "protéger la population civile" mais cela contredit les dires du Canard Enchaîné, un journal généralement bien informé, selon lequel les services secrets français ont commencé à attiser la rébellion longtemps avant l’ouverture des hostilités. Kadhafi a donné à son peuple un des niveaux de vie les plus élevés de l’Afrique, c’est pourquoi la rébellion tenace a surpris tout le monde. Le "frère guide" n’était pas aimé par tout son peuple mais tout cela ressemble fort à une manipulation supplémentaire des services secrets occidentaux qui ont mis le feu aux poudres avant de laisser la place aux pompiers dans la pagaille inévitable. Sarkozy n’est-il pas au fond l’homme de paille d’Obama ou de quelque autre élément des cercles gouvernementaux étasuniens ?

Cependant il est possible que Sarkozy ait simplement saisi une opportunité qui se présentait et par l’entremise étrange de l’intellectuel Bernard Henri-Lévi, ait rencontré les rebelles de Benghazi et leur ai accordé une reconnaissance diplomatique. La Résolution 1973 a alors été obtenue à l’arrachée, le Conseil de Sécurité de l’ONU autorisant la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne pour protéger la population civile tout en appelant à un cessez le feu. Le Brésil, l’Inde, la Chine, la Russie et l’Allemagne notamment se sont abstenus -une grosse partie de l’opinion internationale.

Neuf jour plus tard seulement, l’initiative française de Sarkozy s’est transformée en une attaque aérienne de grande ampleur de l’OTAN avec l’objectif officiel de défendre la population civile, de laisser passer l’aide humanitaire et de forcer l’armée libyenne à retourner dans ses casernes. Puis ont suivi quelques tentatives grossières de tuer Kadhafi qui ont eu pour conséquence la mort d’un de ses fils et d’autres membres de sa famille. Il n’a pas fallu longtemps aux leaders de l’OTAN et à Sarkozy pour qu’ils se mettent à parler d’un inévitable changement de régime. Tous ces objectifs, du "retour aux casernes" de l’armée libyenne au changement de régime, en passant par quelques tentatives d’assassinat, paraissent bien loin du "cessez le feu et de la protection des citoyens" comme le gouvernement de la Russie n’a pas manqué de le faire remarquer.

Ces pays ont maintenant été rejoints par l’Afrique du Sud et d’autres pays de l’Union Africaine qui a de plus en plus l’impression désagréable que les colons sont de retour pour se venger pendant qu’un allié réel en dépit de ses excentricités et qui les aidait financièrement est victime de lynchage et perdu pour toujours. De leur côté les médias français soutiennent effrontément que le changement de régime était la mission initiale de l’ONU.

Le principal problème de Kadhafi est que la Libye est un pays situé dans une zone stratégique qui a peu de défenses, peu de population et qui recèle d’énormes réserves de pétrole et de gaz très convoitées. Depuis qu’il a renversé le roi Idris en 1969, quand il était un fringant officier nationaliste et socialiste, il a contrarié beaucoup de monde y compris les monarques du Golfe Arabique "un tas de grosses femmes corrompues", mais il a survécu aux efforts réitérés de l’occident pour le renverser et au moins dans un cas en 1986 pour l’assassiner. Il n’a pas hésité à lui rendre la pareille en organisant des attaques terroristes. De plus, il semble qu’on lui ait délibérément imputé des attaques terroristes dont il n’était pas responsable. Son isolement est accentué par son hostilité aux fondamentalistes islamiques.

Par ailleurs il a utilisé la richesse qui lui vient du pétrole pour financer l’Union Africaine au détriment de l’Union pour la Méditerranée de Sarkozy, une initiative néo-conservatrice inspirée par l’OTAN et les USA, et il a encouragée l’UA à se distancer de l’Occident autant que faire se peut. Une grande partie des énormes sommes d’argent que les nations occidentales ont saisies pendant cette guerre était destinée à financer des initiatives en Afrique. Il a aussi financé une système africain indépendant de téléphone par satellite dans le but de réduire le coût des appels téléphoniques en Afrique qui était un des plus élevés du monde. Il semble que cela ait déjà privé les entreprises européennes de 500 millions d’Euros de revenus par an. Il avait l’intention de nationaliser l’industrie du pétrole et de renégocier les contrats. Et peut-être le pire de tout, il avait proposé de mettre en place une monnaie pour l’Afrique toute entière indexée sur l’or et il menaçait d’exiger le règlement du pétrole dans une autre monnaie que le dollar.

Cela aurait posé beaucoup de problèmes au système monétaire du dollar américain déjà branlant mais aussi à la monnaie de l’ancienne Afrique occidentale française, le Franc CFA qui est lié au Franc français.

Le moins qu’on puisse dire est que les USA ont beaucoup de mal à supporter les petits pays qui se rebiffent et qu’ils ont de la mémoire. La protection de la population civile n’a rien à voir là-dedans, le traitement que l’OTAN inflige à la Libye et à sa famille est un terrible avertissement à tous les leaders potentiellement indociles qui pourraient avoir des désirs excessifs d’indépendance dans le futur. Il n’y a aucun doute que les faucons de guerre de Washington n’ont pas oublié les années de provocations et l’expulsion de Wheelus en 1969. Si tout se passe bien pour l’OTAN, les USA seront vengés et le colonel rétif sera remplacé par une gouvernement qui collaborera avec eux en matière de pétrole et de monnaie comme en Arabie Saoudite.

Et ce qui est fatal pour le turbulent colonel, c’est que ses deux ennemis principaux, Sarkozy et Obama, entrent l’année prochaine dans une difficile campagne électorale. Quant à Cameron, en grande Bretagne, il est à la tête d’une coalition branlante qui peut se disloquer à tous moment et le ramener devant les électeurs. Maintenant que ces trois leaders se sont engagés dans la bataille, ils ne peuvent plus reculer avant d’avoir complètement écrasé "le frère guide". Ce ne serait pas souhaitable que leurs électeurs aient l’impression que leurs leaders se sont faits ridiculiser une fois de plus par le rusé Libyen. En même temps on peut se demander si le soulèvement soudain du Printemps Arabe qui a été longtemps et si efficacement réprimé avec le soutien total de l’Occident, n’a pas été favorisé par la vaste organisation des services secrets d’Obama pour augmenter ses chances auprès des électeurs démocrates de plus en plus critiques, en se débarrassant de vieux dictateurs amis gênants tout en gardant évidemment le contrôle politique en dernier ressort ? La décision d’éliminer Kadhafi semble corroborer cette théorie. De même que le fait que les services secrets français aient été clairement pris par surprise par le premier soulèvement en Tunisie. Incidemment le leader libyen n’est pas favorisé par le fait que les mandats du secrétaire général de l’ONU Ban Ki Moon et du procureur de la Cour Criminelle Internationale Luis Moreno-Ocampo s’achèvent tous les deux en 2012 et que leur désir d’être reconduits dans leurs postes les rendent plus vulnérables aux pressions et les incitent à vouloir se rendre "utiles".

Mais pourquoi un revirement occidental si spectaculaire, si brutal et à si haut risque ? Une trahison plus graduelle et plus discrète aurait certainement mieux dissimulé le cynisme des leaders occidentaux à l’opinion publique de plus en plus sceptique des nations qui ne font pas partie de l’OTAN et même des nations qui en font partie. Il se pourrait que la raison pour laquelle Sarkozy a choisi de faire son coup militaire et diplomatique au moment où il l’a fait soit la conscience aigue qu’il ne fallait pas rater cette occasion unique de renverser Kadhafi combinée à la conscience non moins claire de l’approche d’un tsunami financier qui pourrait sérieusement réduire la capacité des USA et de l’OTAN à mener de telles coups militaro-politiques dans l’avenir, ce qui laisserait le temps au rusé leader libyen de renforcer sa position de telle manière qu’il deviendrait impossible de le renverser. L’augmentation du nombre de personnes qui pensent comme le Dr Ron Paul et le vote récent du parlement étasunien contre la guerre en Libye semblent corroborer cette façon de voir.

D’une façon plus générale, Sarkozy, en tant qu’instigateur de tout cela, reçoit des bons points de la toujours toute puissante administration militarisée étasunienne, ce qui est important pour les intérêts commerciaux et diplomatiques français dans le monde. Et cela a fait oublier l’embarrassante performance tunisienne de son gouvernement et le fiasco de la démission de son ministre des affaires étrangère, Alliot-Marie. La France se débarrasse d’une influence gênante en France Afrique. Et enfin, au risque d’avoir l’air cynique, s’il perd les élections présidentielles de 2012, il se sera mis en situation de recevoir comme Blair des millions de dollars de la part de sympathisants néo-conservateurs ou du monde des affaires. Il pourrait même remplacer l’ex premier ministre britannique comme émissaire de la paix au Moyen Orient ou recevoir le prix Nobel de la Paix.

* Robert Harneis est un journaliste politique qui habite à Strasbourg

A lire aussi : http://www.welcomethelight.com/2011...

23 juin 2011 - Pour consulter l’original :
http://williambowles.info/2011/06/2...
Traduction : Dominique Muselet


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