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Le Hezbollah et la révolution arabe

mercredi 29 juin 2011 - 06h:10

Larbi Sadiki - Al Jazeera

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Y a-t-il quelque chose qui cloche au sein du Hezbollah ?

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Considéré par des millions de partisans comme « le cerveau de la résistance » - et diabolisé par les Etats-Unis et Israël comme un « terroriste », Sayyid Hassan Nasrallah éprouve des difficultés à énoncer un discours cohérent à propos de la Syrie - Photo : Gallo/Getty

Il s’est affranchi de l’ignominie de l’oubli, de l’exploitation féodale, des préjugés sectaires, et d’une totale marginalisation jusqu’à réussir à occuper la scène politique. En moins de trente ans, il a fait des Chiites un véritable contrepoids socio-politique, eux qui ne pesaient rien.

Il s’est levé contre le Goliath israélien. Il a survécu aux « malédictions » proférées par les politiciens arabes ligués contre lui depuis Amman et le Caire. Il a surclassé ses adversaires au sein et en dehors du Liban, usant contre toute attente de politiques astucieuses, imaginatives et calculatrices.

Mais résister à la force de Tel Aviv tout en embrassant le lion de Damas [Assad signifie lion, en arabe - N.d.T] risque de réduire son engagement envers la révolution arabe et peut mettre à mal son statut de « Parti de Dieu » ainsi que sa réputation de parti révolutionnaire.

Sayyed Hassan Nasrallah : né avec la Révolution

Nasrallah est né pour diriger.

La plupart des dirigeants apparaissent au sein d’organisations politiques existantes. Mais ce n’est pas le cas de Sayyed Hassan. Sa naissance politique a précédé de quatre années la fondation du Hezbollah.

Il n’était pas étranger à la révolution, palestinienne ou iranienne. Mais c’est au sein de la révolution iranienne que son autorité a été affirmée.

À 21 ans, Nasrallah a été acclamé comme une étoile montante par feu l’ayatollah Khomeini, à Husseiniyyah Jamaran, au nord de Téhéran en 1981. Le jeune Nasrallah était en compagnie de compagnons d’armes venus d’Amal, une autre organisation politique chiite, et l’essentiel de la discussion portait sur les moyens de soutenir la cause palestinienne et de contester la suprématie de l’Occident.

Impressionné par le jeune Nasrallah, Khomeiny a consacré Sayyid Hassan en l’habilitant à collecter et à répartir les impôts religieux - connu sous le nom de hisbiyyah - dont les khums (un cinquième du gain ou du profit) et le zakat, l’aumône islamique obligatoire.

Khomeiny était autant sélectif que réservé dans la répartition des rôles pour le hisbiyyah, ces rôles n’étant pas même assignés à Subhi al-Tufaily, secrétaire général du parti jusqu’en 1987, et à son successeur, Sayyid Abbas Moussaoui, le mentor du jeune Nasrallah, en 1986.

De plus, la bénédiction a été scellée par la formule employée par Khomeiny à l’égard du jeune Nasrallah, le présentant comme un « Hojjat al-Islam », une dénomination assurant l’acquisition d’une haute érudition.

Moussaoui, professeur de Nasrallah au séminaire de Najaf, et plus tard son mentor en tant que Secrétaire général du Hezbollah jusqu’à son assassinat en 1992, avait également vu le potentiel de dirigeant chez le jeune Nasrallah. C’est ce qui explique l’esprit de camaraderie qui liait les deux hommes. Ils ont rejoint puis se sont séparés du mouvement Amal, qu’ils ont ensuite combattu, s’associant à d’autres pour transformer un petit groupe de combattants très motivés, en une formidable organisation politique et militaire : le Hezbollah.

« Le Che Guevara libanais »

« Loué soit Dieu ... qui a choisi un martyr de ma famille, nous faisant le don du martyr et nous intégrant dans la communauté des familles des Saints-Martyrs. »" Ainsi célébrait Sayyed Hassan l’assassinat par Israël de son fils aîné Hadi, mort au combat en septembre 1997.

Dans ce même discours, Nasrallah a exprimé sa reconnaissance au martyr Hadi pour l’avoir placé lui et sa famille sur un pied d’égalité avec tous les autres parents qui ont perdu leurs fils dans la lutte contre Israël.

Ceci est une histoire qui vaut la peine d’être racontée, pour deux raisons. Premièrement, Sayyed Nasrallah a une réelle audience dans la communauté des Arabes, pour avoir toujours agi, pensé, parlé comme l’un d’eux. Il a connu la pauvreté, il a connu l’action sur le champ de bataille, et il s’implique constamment lui-même pour les idéaux qu’il prêche.

L’autre raison, et plus précisément par rapport aux dirigeants arabes que la révolution est en train de balayer, Nasrallah dénote car les privilèges accumulés par les dirigeants arabes - leurs familles, leurs fils et filles, de la Libye jusqu’à la Syrie - n’ont jamais été tolérés par le Hezbollah.

Hadi Nasrallah n’est ni un Saif Kadhafi, ni un Gamal Moubarak, et le cousin de Nasrallah, Hashim Safi Al-Din, affecté au commandement de la région du Sud-Liban depuis novembre 2010, n’est pas Makhlouf Rami, le milliardaire syrien corrompu.

« L’oracle des opprimés »

Pour moi deux leitmotivs résument le Hezbollah : « privation » et « résistance ». Ils vont de pair. Ils ont défini des personnes comme Ragheb Harb, et avant lui Moussa Al-Sadr, qui ont conçu l’autonomisation des Chiites dans un parcours fascinant de l’histoire politique : la résistance à l’intérieur [du Liban] contre la « privation » ou Hirman, et la résistance contre l’occupation.

Le premier manifeste politique publié en 1985 par le Hezbollah, sous forme de lettre ouverte, [al-Risalah al-Maftuhah], résonne de rhétorique khoméniste : les termes d’« impérialisme mondial » voisinent avec ceux d’« opprimés », de « justice », d’« autodétermination » et de « liberté ».

La mer humaine que j’ai vue en août 2006, venue saluer et écouter Nasrallah après la guerre de 34 jours avec Israël, s’approprie ces messages. C’est encore plus le cas aujourd’hui de Rabat à Sanaa.

Le discours de Nasrallah sur « la divine récompense » [Al-Wa’d al-Sadiq] devant des centaines de milliers de personnes, a été électrisant - comme toujours. Il était comme jamais l’oracle de ceux qui sont piétinés, écrasés par l’injustice et l’occupation.

Dans le fil du discours politique de Nasrallah - le changement par l’intermédiaire de la résistance, ou muqawamah - ils trouvent un réconfort, une sorte de rédemption et un espoir pour devenir les égaux de tous les êtres humains libres.

C’est pourquoi en 2006, comme en 2000 quand Israël a été contraint de mettre fin à son occupation du sud du Liban, Nasrallah était porté très haut sur une vague de popularité panarabe et panislamique inconnue dans le monde arabe depuis la mort de Nasser en septembre 1970. Un leader d’une secte minoritaire de l’Islam sunnite a remplacé Nasser comme emblème de la résistance et de la liberté.

Inspirés par l’imam Khomeiny, le Hezbollah et Nasrallah ont articulé un projet politique renouvelé, qui incarne l’autonomisation, en transformant l’Achoura [commémoration du massacre de l’imam Husayn] et la totalité de l’imaginaire de Karabala [lieu de l’Achoura] en un moyen puissant pour réinventer non seulement la politique, mais aussi l’identité chiite au Liban.

Le Hezbollah et la révolution en Syrie

Vu par des millions de partisans musulmans comme « le cerveau de la résistance », ou « le Che Guevara musulman », diabolisé par le Congrès américain et Israël comme un « terroriste », la rhétorique de Nasrallah vis-à-vis du régime syrien a un aspect curieux pour deux raisons.

Premièrement, la résistance n’est pas divisible. La résistance est une, qu’elle soit déployée contre un oppresseur colonial ou contre un oppresseur autochtone, occupant un Etat arabe.

Il en va de même pour la liberté, qui n’est pas divisible. La résistance pour la quête de la liberté s’applique aux occupés libanais et palestiniens, autant qu’aux opprimés syriens ou yéménites.

Nasrallah a été parmi les premiers à apporter son soutien aux révolutions arabes en Egypte et en Tunisie, et plus tard à ceux qui manifestent contre la marginalisation au Bahreïn. Refuser de soutenir l’insurrection en Syrie - parce que le régime soutient la muqawamah [résistance] et s’oppose à l’impérialisme - revient à utiliser deux langages vis-à-vis de la révolution arabe.

Ce sont les masses syriennes qui se tiennent derrière la résistance du Hezbollah. Le crédit n’en revient pas à la dynastie Assad. Une partie seulement de ce crédit en revient à l’Etat d’Assad, même si pour diverses raisons ou intérêts, celui-ci préfère une résistance par procuration - à Gaza et au sud du Liban - plutôt que sur les hauteurs du Golan.

Assad partira un jour. Mais les Syriens resteront.

Syrie : Bachar ou Maher ?

Deuxièmement, Nasrallah n’a pas besoin de l’approbation du régime syrien - même si son discours prononcé en mai exprimait un souci égal pour la population syrienne et pour la stabilité.

Si l’on revient en 2006, une perle de sagesse de Sayyed Hassan a suggéré aux dirigeants jordaniens et égyptiens de tenir leur langue plutôt que de condamner le Hezbollah à un moment aussi critique - quand les bombes pleuvaient sur ​​le sud du Liban et sur al-Dahiya [banlieue sud de Beyrouth].

Le silence pourrait avoir été plus éloquent aujourd’hui aussi, plutôt que de s’exprimer en faveur d’un régime qui se rend coupable de brutalité insigne contre de nombreuses villes syriennes et leurs communautés.

Les manifestations des citoyens ordinaires disent avec éloquence que l’Etat qu’ils désirent est une Syrie du peuple, par et pour le peuple. Non pas une dynastie. Ceci jette un doute quant à savoir si le régime actuel est encore soutenu par une majorité de la population, et le discours de Nasrallah peut suggérer le contraire.

Les révolutions arabes ont joué le rôle de référendum dans des pays où de telles consultations n’existent pas - et où elles sont contrôlées lorsqu’elles se produisent.

Tout aussi important est de savoir si Bachar al-Assad est encore au pouvoir. S’il est un président complètement embobiné par son frère cadet Maher et les volontéss de son beau-frère Shawkat Asef, alors Bachar n’est plus d’aucune utilité pour la muqawamah au Liban ou pour son propre peuple.

Il se peut que Bachar représente le côté le moins violent de la politique en Syrie - comme son discours sur les réformes, il y a un mois, semblait le montrer. Mais comment les Syriens peuvent-ils s’en convaincre si aucune des réformes n’a été concrétisée ? Au contraire, ce sont aujourd’hui les tanks de Maher qui dirigent la Syrie.

La seule différence entre les martyrs dont les photos ornent la rue d’al-Dahiya et d’Harat Hrayek, et aussi le boulevard Sayyed Hadi Nasrallah, et les centaines de morts en Syrie est que ces derniers sont tombés victimes de leurs compatriotes au gouvernement.

Bachar est-il toujours au pouvoir ? Si c’est le cas, il doit faire cesser les massacres commis par Maher.

Hirman - marginalisation et misère

Les personnes déplacées et dépossédées du Liban, y compris les chiites, connaissent la véritable signification de l’Hirman ou privation et misère. Ce sont donc les premiers à se préoccuper de la révolution arabe. C’est la volonté de protester venue des masses qui a déclenché l’auto-immolation par le feu de Mohamed Bou’azizi en décembre 2010.

Le langage de la privation est un lien indissoluble entre les démunis d’al-al-Dahiya Janubiyyah et Sidi Bouzid, de Dar’aa, de Taiz ou Imbaba. Sayyed Hassan Nasrallah, a toujours été à l’écoute de son peuple, en symbiose avec les dépossédés. Ceci est la véritable arme morale du Hezbollah, et non pas ses roquettes et ses prouesses militaires.

Peut-être son éloquence va lui faire retrouver son vrai langage, afin de corriger ce quia été un discours maladroit. Et surtout pour revenir sur son soutien aux responsables de l’oppression en Syrie, et afin de conseiller une réforme radicale, un gouvernement mis en place par choix populaire, comme indiqué dans la lettre ouverte servant de manifeste du Hezbollah en 1985.

Il renouera ainsi avec l’esprit d’une résistance pacifique qui est un droit naturel pour les opprimés.

21 juin 2011 - Al Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/indept...
Traduction : Naguib


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