16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

La « doctrine Monroe » de l’Iran

mercredi 14 mars 2007 - 07h:41

Milt Bearden

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Avant que les Américains ne se lancent dans une troisième guerre contre une nation musulmane, il est bon de rappeler qu’au siècle dernier, aucun des pays qui avaient déclenché une guerre importante ne l’a gagnée. De plus, ces cinquante dernières années, aucune insurrection nationale contre une occupation étrangère n’a été vaincue - une leçon que j’ai retenue personnellement quand, à mes débuts en 1986, je me suis retrouvé au Pakistan pour gérer l’aide que la CIA apportait aux résistants afghans contre les troupes soviétiques.

Les guerres que les deux blocs ennemis de la guerre froide se menaient indirectement en Corée, au Vietnam et en Afghanistan illustrent parfaitement ces constatations. Quand les Nord-Coréens ont attaqué la Corée du Sud en juin 1950, les États-Unis se sont retrouvés en guerre. Dès le début, la Chine les a aidés et l’Union soviétique leur a fourni des conseillers. Mais les acteurs extérieurs à cette guerre - les États-Unis, l’Union soviétique, la Chine communiste - ont compris qu’il fallait éviter toute confrontation directe entre eux. Quand, en 1951, le bras droit militaire du président Harry Truman en Corée, le général Douglas MacArthur, a décidé d’ignorer les nouvelles « règles » et de préconiser des attaques aériennes contre la Chine, Truman a refusé, craignant qu’une telle action n’incite l’Union soviétique à entrer en guerre. Quand MacArthur a publiquement critiqué la décision du président, Truman l’a limogé. L’Amérique a perdu plus de 40 000 hommes en Corée dans une guerre par procuration contre l’Union soviétique et la Chine.

Les mêmes règles ont été appliquées en Asie du Sud-Est, où les filières de ravitaillement des Nord-Vietnamiens et des Vietcongs partaient de Chine et d’Union soviétique. Bien qu’elles eussent toutes deux une part de responsabilité dans les pertes américaines, Washington n’a jamais sérieusement envisagé de représailles. Plus de 58 000 Américains sont morts au Vietnam lors de cette guerre par procuration ininterrompue avec la Chine et l’Union soviétique.

Quand l’Union soviétique a envahi l’Afghanistan en décembre 1979, les rôles ont été inversés. Le président Jimmy Carter a ordonné à la CIA de prêter main-forte à la résistance afghane, qui n’avait guère à opposer aux forces soviétiques que ses fusils Enfield. La CIA a organisé une coalition avec le Royaume-Uni, l’Arabie saoudite, l’Égypte et la République populaire de Chine - les Chinois étaient trop heureux à l’époque de fournir des armes pour tuer des Soviétiques à la place des Américains. Chaque AK-47, mortier, grenade autopropulsée ou missile antiaérien tirés sur les forces soviétiques passait par les mains de la CIA. Néanmoins, les Soviétiques, à part les menaces verbales des agents du KGB que je croisais en Afghanistan, n’ont jamais sérieusement envisagé d’exercer des représailles contre les soutiens étrangers de la résistance afghane.

En 1989, les Soviétiques ont renoncé et se sont retirés d’Afghanistan. Ils ont perdu plus de 15 000 hommes. Deux ans plus tard, leur empire s’effondrait.

Les règles de la guerre par procuration appliquées pendant ces conflits donnent une autre leçon, peut-être fondamentale en ce qui concerne l’affrontement grandissant entre l’Amérique et l’Iran : si la guerre doit avoir lieu, il est préférable qu’elle soit déclenchée par l’ennemi.

L’administration Bush pourrait se refuser à négocier avec Mahmoud Ahmadinejad, le président iranien aux propos incendiaires, sur les aspirations nucléaires de Téhéran et les guerres par procuration qu’elle mène en Irak, en Syrie, au Liban et en Palestine. Mais Washington devrait néanmoins se rappeler que la nation iranienne moderne a ses racines dans l’ancienne Perse et que sous chaque Iranien se trouve un Perse pour qui son pays est l’héritier du « Grand Iran ». Avant même que Rome ne conquière le monde occidental, les territoires sur lesquels une série d’empires perses exerçaient leur autorité s’étendaient du Caucase au fleuve Indus, un arc culturel et quelquefois politique qui, il n’y a pas si longtemps, comprenait l’Irak et l’Afghanistan, et bien davantage.

Il est illusoire d’imaginer que l’Iran restera spectateur d’une invasion étrangère dans une partie du « Grand Iran ». L’interventionnisme actuel de l’Iran dans la région est une nouvelle version persane de la « doctrine Monroe » chère aux États-Unis, qui avaient notifié unilatéralement au monde [en 1823] qu’aucune intrusion extérieure dans les affaires de l’hémisphère américain ne serait tolérée.















Milt Bearden a dirigé les opérations de la CIA en Afghanistan de 1986 jusqu’au retrait soviétique en 1989.

Milt Bearden - The New York Times et Jeune Afrique, le 4 mars 2007


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.