16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

« Réconciliation » de façade en Palestine

mercredi 11 mai 2011 - 07h:06

Ali Abunimah - Al Jazeera

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Le Hamas et le Fatah vont maintenir le status quo de la division, mais rebaptisée « unité » pour les besoins du public, écrit Ali Abunimah.

JPEG - 98.6 ko
Khaled Meshaal lors de son arrivée au Caire - Photo : AFP

En décidant de se joindre à l’Autorité Palestinienne soutenue par les Etats-Unis et dirigée par Mahmoud Abbas, le Hamas risque de tourner le dos à son rôle de mouvement de résistance, sans y gagner aucun moyen supplémentaire pouvant aider les Palestiniens à se libérer eux-mêmes de l’occupation israélienne et de la domination coloniale.

En effet, sciemment ou non, le Hamas risque de s’embarquer sur la même voie déjà bien expérimentée par le Fatah d’Abbas : se compromettre dans un « processus de paix » contrôlé par les Etats-Unis, dans lequel les Palestiniens n’ont aucun mot à dire et n’ont aucune perspective de pouvoir en sortir en conservant leurs droits intacts. En échange, le Hamas peut espérer jouer un rôle aux côtés d’Abbas en gouvernant la fraction des Palestiniens qui vivent sous occupation israélienne en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza.

Que le Hamas en soit conscient ou non, il a de fait intégré une coalition avec Israël et Abbas pour contrôler les Territoires Occupés, où il aura beaucoup d’obligations et peu de pouvoir effectif.

Le Hamas cède à la pression

Beaucoup de Palestiniens se sont réjouis des embrassades et les poignées de main entre Khaled Meshaal, responsable du Hamas, et Mahmoud Abbas alors qu’ils signaient l’accord de réconciliation au Caire le 4 mai. Mais peu d’entre eux ont pris le temps d’examiner ce qui était en jeu. L’accord, semble-t-il, comprend plusieurs dispositions majeures :
- la formation d’un « gouvernement d’unité nationale » avec un premier ministre choisi par consensus
- la préparation pour les élections de l’Autorité Palestinienne en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza dans un délai d’un an
- la fusion des forces de sécurité commandées par les différentes organisations
- et la réactivation du Conseil Législatif Palestinien - dans lequel Hamas avait gagné une écrasante majorité en 2006.

Il faut noter qu’il n’y a aucun engagement pour une véritable réforme et démocratisation de l’ancienne OLP [Organisation de Libération de la Palestine] comme accorder le droit de vote à la majorité des Palestiniens, qui ne vivent pas dans les Territoires Occupés.

Dans une entrevue avec le Wall Street Journal le 7 mai, Meshaal a déclaré que le Hamas prendrait maintenant toutes les décisions importantes en consensus avec les autres organisations, en particulier le Fatah d’Abbas : « Comment gérer la résistance, quelle est la meilleure manière d’atteindre nos objectifs, quand développer l’affrontement et quand faire un cessez-le-feu... A présent, en tant que Palestiniens, nous devons nous mettre d’accord sur toutes ces décisions. » D’autres domaines pour lesquels Meshaal appelle aussi au consensus comprennent les « négociations avec Israël, le gouvernement [des territoires occupés], les affaires étrangères, la sécurité interne et la résistance, et d’autres champs d’activités. »

Le problème est que sur les questions les plus fondamentales à l’origine de la scission intra-palestinienne, il n’y a aucun signe d’un quelconque « consensus ». Au contraire, le Hamas a cédé sous la pression. Depuis de nombreuses années, le Hamas s’est avec raison opposé à la collaboration ouverte de l’AP dirigée par Abbas avec les forces israéliennes d’occupation en Cisjordanie, et à Gaza jusqu’en juin 2007. Cette collaboration ne prenait pas seulement pour cible les membres du Hamas, mais les militants et les organisations qui résistent à l’occupation israélienne par des moyens non-violents.

Les mémos palestiniens publiés par Al Jazeera en janvier dernier, révèlent combien profonde est cette collaboration, des responsables de l’AP allant même jusqu’à demander à Israël de resserrer le blocus de Gaza, faisant tout pour bloquer les libérations de prisonniers palestiniens par les occupants israéliens et formant des comités secrets afin de miner le gouvernement d’unité nationale palestinien précédemment mis en place en 2007. Saeb Erekat, un des principaux chefs de l’AP, s’est notoirement vanté devant ses homologues des Etats-Unis en déclarant « nous avons même tué des gens de notre propre peuple » dans le cadre du travail « sécuritaire » pour le compte d’Israël.

Si Abbas avait présenté des excuses, renoncé à de telles pratiques dans le cadre de la réconciliation, il pourrait alors être compréhensible que le Hamas ait conclu cet accord. Mais rien n’a été mentionné quant à la fin de la collaboration entre l’AP et Israël - et tout montre au contraire que l’AP continuera sur la même voie. Elle n’a en effet aucun autre choix que de poursuivre cette collaboration, ou alors c’est prendre le risque de perdre les aides financières des Etats-Unis et de l’Union Européenne qui la maintiennent à flot.

Pas de changement sur le terrain

Après la conclusion de l’accord, les principaux commandants israéliens en Cisjordanie occupée n’ont vu aucun changement de leur étroite collaboration avec leurs homologues de l’AP, a rapporté le journaliste israélien Anshel Pfeffer. « Aucun des représentants locaux ou des agents de sécurité palestiniens avec qui j’ai parlé au courant de la semaine passée n’a dit que cet accord changerait quelque chose pour eux, » a affirmé un officier israélien.

« Naturellement, nous restons vigilants quant à n’importe quel changement dans la coordination de sécurité, » a dit devant Pfeffer un commandant de brigade de l’armée israélienne. « Mais tout ce que je peux dire, c’est que nous travaillons comme d’habitude avec les forces de sécurité de l’Autorité Palestinienne. Leur priorité a été jusqu’à présent d’empêcher le Hamas de gagner de l’influence en Cisjordanie, et ils nous ont expliqué que pour eux rien n’avait changé. »

Ceci a été confirmé par Abbas lui-même, qui selon New York Times a expliqué le 8 mai à des lobbyistes pro-Israël venus des Etats-Unis : « J’entends des rumeurs selon lesquelles le Hamas sera présent en Cisjordanie ou qu’il participera au pouvoir ici. Ceci n’arrivera pas. » Abbas invitait les lobbyistes pro-Israël à aider à convaincre le Congrès des Etats-Unis de ne pas amputer l’aide financière dont Abbas dépend.

Ce que cela signifie en réalité, c’est que le Hamas a accepté de se joindre à une Autorité Palestinienne qui est activement engagée dans une guerre contre le Hamas et en coordination avec Israël - et que le Hamas et le Fatah ont décidé de maintenir la division en tant que politique tout en la renommant « unité », simplement pour les besoins du public.

Les appels du premier ministre israélien Benjamin Netanyahu pour qu’Abbas dénonce l’accord avec le Hamas devraient être interprétés comme la preuve de l’intérêt qu’Israël place dans ses relations avec l’AP - et Israël ne veut pas voir ces relations compromises. Mais Israël peut bien protester, il n’a aucune alternative à court terme si ce n’est continuer à compter sur l ’AP pour mener à bien les travail au jour le jour du renforcement de l’occupation.

Israël ne pourrait pas aisément supporter les coûts financiers, politiques et sociaux du retour à une occupation militaire directe aujourd’hui relayée par une force palestinienne de collaboration servant de relais. Pour l’instant, c’est comme si Abbas, Netanyahu et le Hamas entraient dans une précaire coalition de facto qui durera tant que Hamas se pliera à un cessez-le-feu et qu’Israël choisira de ne pas le rompre. Selon toute probabilité, Israël essayera de briser la coalition en lançant des attaques et des provocations militaires sur Gaza afin d’essayer de pousser l’aile militaire du Hamas et d’autres organisations palestiniennes à exercer des représailles.

Absence de programme

Le Hamas avait depuis longtemps fait connaître son souhait de se distancier de la lutte armée au profit de voies purement politiques - c’est l’essence de sa proposition d’armistice, ou trêve à long terme, avec Israël. Il est naturellement possible de défendre le droit légitime et universel à la résistance armée contre l’occupation tout en choisissant de ne pas exercer ce droit. « Où il y a occupation et colonisation, il y a un droit à la résistance. Israël est l’agresseur, » a déclaré Meshaal au New York Times le 5 mai, « Mais la résistance est un moyen, pas une fin en soi. »

Mais pour faire un choix entre différents moyens, un mouvement politique doit avoir une stratégie politique viable et une définition précise de ses objectifs. Le Hamas a échoué à organiser ou n’a pas su rassembler le peuple palestinien sur aucun de ces deux éléments. Au lieu de cela sa stratégie semble être simplement de se lier à la solution injuste par essence en même temps qu’irréalisable de « la solution à deux Etats » avec l’espoir d’être intégré dans « le processus de paix. »

Meshaal déclare encore au New York Times [que son mouvement] travaille à « un programme national commun » pour les Palestiniens, et que le dirigeant du Hamas définit comme « Etat Palestinien dans les frontières de 1967 avec Jérusalem comme capitale, sans aucune colonie ni aucun colon, sans échange d’un seul pouce de terre et en appliquant le droit au retour » dans leurs maisons pour les réfugiés palestiniens dans ce qui est aujourd’hui Israël.

N’importe qui resté éveillé ces dernières années devrait savoir que ce n’est pas « un programme national commun ». Le nouvel associé de Meshaal, Abbas, pour n’en mentionner qu’un, n’est pas d’accord avec cela. Là aussi, les mémos palestiniens prouvent d’une manière irréfutable qu’Abbas et ses sbires ont concédé à Israël beaucoup d’éléments de ce programme minimal, acceptant presque toutes les colonies israéliennes aux environs de Jérusalem, et cédant sur le droit du retour.

Il est difficile d’établir avec certitude ce que sont les calculs des dirigeants du Hamas : n’ont-ils vraiment aucune meilleure idée ? Ont-ils peur que le forcing d’Abbas pour obtenir la reconnaissance d’un état palestinien en septembre aux Nations Unies ne lui donne du ressort et qu’ils resteront sur la touche ? Sans doute savent-ils clairement que le « processus de paix » ne donnera rien, mais espèrent-ils éviter les critiques et retirer des mains du Fatah la direction du mouvement national palestinien ?

Il y a également de fortes spéculations selon lesquelles le contexte régional - en particulier le soulèvement en Syrie et l’instabilité actuelle en Iran - a suffisamment inquiété les dirigeants du Hamas quant à leur position, et qu’ils se sont précipités pour embrasser et re-légitimer Abbas. Il est important de rappeler que même si le Hamas a accepté l’appui d’Iran, il l’a toujours fait à contre coeur et en dernier recours après que ses précédentes ouvertures vers l’Europe et les Etats-Unis aient été repoussées - et après que l’Arabie Saoudite ait amputé son appui traditionnel au mouvement sous la pression de l’Administration Bush.

L’Arabie Saoudite avait d’abord tenté de défier ce diktat des USA en favorisant sous son égide l’Accord de la Mecque de 2007 d’où était sorti le « gouvernement d’unité nationale » de courte durée et contre lequel l’Administration Bush a activement comploté - comme cela est bien connu aujourd’hui - avec des éléments de Fatah. Pourrait-on voir à présent le Hamas essayer de sortir de l’orbite de l’Iran et retourner vers l’axe saoudien ?

Assurément le Hamas, comme d’autres acteurs dans la région, est en quelque sorte en panne et se croit assez futé pour éviter de tomber dans certains pièges tout en acceptant le paradigme de deux états et en entrant dans le « processus de paix ». Mais il peut tout aussi bien se retrouver pris au piège comme le Fatah, d’autant plus qu’il semble avoir peu d’autres cartes à jouer.

Ce que l’accord de « réconciliation » entre le Hamas et le Fatah démontre malheureusement, contrairement aux espoirs de la plupart des Palestiniens, c’est que ni le Fatah ni le Hamas n’ont la moindre idée de comment sortir les Palestiniens de leur impasse. Les deux mouvements semblent uniquement concernés par un partage des décombres de l’Autorité Palestinienne et par la gestion commune de l’épave échouée des accords d’Oslo.

Quoi que fassent les dirigeants du Hamas et du Fatah, la pire erreur que pourraient faire les Palestiniens serait de laisser l’avenir de leur mouvement national dans de telles mains.

Une véritable plateforme palestinienne et unitaire

Le fait que le Hamas et le Fatah aient perdu de vue ce que devrait être une véritable, efficace et viable plate-forme pour l’unité nationale et la lutte palestinienne, ne signifie pas qu’une telle plate-forme n’existe pas. Elle existe sous la forme de l’appel de 2005 de la société civile palestinienne pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions (BDS).

Endossé par des centaines d’organisations palestiniennes, l’appel BDS ne se soucie pas de « solutions », mais des droits pour tous les Palestiniens, et où qu’ils soient.

Les trois exigences de cet appel sont la fin de l’occupation et de la colonisation de toutes les terres arabes occupées par Israël depuis 1967, la pleine égalité de droits pour les citoyens Palestiniens en Israël, et le plein respect des droits des réfugiés dont le droit au retour.

Plus encore, ce programme propose des axes de lutte : la construction d’une campagne de solidarité internationale pour soutenir les Palestiniens en isolant Israël comme l’a été l’Afrique du Sud de l’apartheid pendant les années 1980, jusqu’à ce qu’Israël respecte les droits des Palestiniens. Ceux qui rejettent cette campagne BDS devraient noter que les dirigeants israéliens la qualifient de « menace existentielle » car ils perçoivent bien sa montée en puissance.

L’appel BDS peut réellement unifier tous les Palestiniens en défendant tous leurs droits. Au lieu d’attendre des chefs de factions qu’ils concoctent leurs propres programmes derrière des portes closes puis nous les imposent, nous devrions les inviter à reprendre à leur compte l’appel BDS et à s’activer à le mettre en application. Et s’ils ne le font pas, nous devrons le faire sans eux.

* Ali Abunimah est l’auteur de One Country, A Bold Proposal to End the Israeli-Palestinian Impasse. Il a contribué à The Goldstone Report : The Legacy of the Landmark Investigation of the Gaza Conflict. Il est le cofondateur de la publication en ligne The Electronic Intifada et consultant politique auprès de Al-Shabaka, The Palestinian Policy Network.

Du même auteur :

- Reconnaître la Palestine ?
- Une autre guerre contre Gaza ?
- Vers un « moment Moubarak » en Palestine
- La révolution continue après la chute de Moubarak
- Le soulèvement en Egypte et ses implications pour la cause palestinienne
- Le massacre de Gaza et la lutte pour la justice
- Israël pense que nous sommes « très forts » ... Alors aidez-nous à le rester.
- La Banque mondiale occulte-t-elle les mauvais chiffres de la « croissance » économique en Cisjordanie ?

9 mai 2011 - Al Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/indept...
Traduction : al-Mukhtar


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.