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« Pouvoir s’exprimer contre la guerre »

dimanche 11 mars 2007 - 19h:11

Naomi Shehab Nye

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Poétesse et nouvelliste américaine d’origine palestinienne, Naomi Shehab Nye dénonce le cercle vicieux de la violence qui nuit à la pensée. Elle était invitée ce mois-ci à l’Université américaine du Caire (AUC) pour donner un colloque.

Al-Ahram Hebdo : Vous avez été primée pour 19 Varieties of Gazelles (19 genres de gazelles), recueil de poèmes sur le Moyen-Orient et la question palestinienne. Comment votre origine palestinienne a-t-elle affecté votre écriture ?

Naomi Shehab Nye : A vrai dire, c’est mon père qui est palestinien, moi je suis née aux Etats-Unis, au Texas. Ainsi mes premières idées sur la Palestine émanent-elles de l’expérience de mon père. Ensuite, je me suis intéressée aux histoires individuelles des Palestiniens et je crois sincèrement que leur intégrité et leur humanité ont survécu à des périodes très difficiles. J’ai toujours espéré que mes poèmes dévoileraient quelques-unes de leurs histoires et qu’ils provoqueraient de la sympathie pour la cause palestinienne. Comme je suis écrivaine, je dois exploiter mes mots dans le sens de mes opinions. Ceci ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’autres sujets intéressants pour moi, entre autres la guerre en Iraq. Je suis anti-guerre et j’ai écrit quelques poèmes dans ce sens. Je suis sûre que la violence est un cercle vicieux et qu’elle engendre sans cesse d’autres violences.

- Comment la poésie pourra-t-elle réussir à mettre fin aux guerres ?

- La poésie exprime les sentiments des citoyens. Si quelqu’un est influencé par les écritures d’un ou de plusieurs poètes, il peut à son tour s’exprimer contre la guerre, et ainsi de suite, pour arriver à toute une collectivité anti-guerre. Bien sûr, l’écriture ne peut pas faire sortir les soldats américains d’Iraq, mais elle met en relief les événements en cours, les focalise pour permettre de faire face. C’est son rôle.

- Vous avez mentionné que les armes ont trahi les mots, pouvez-vous élaborer cette idée ?

- Les armes ont nui aux mots, elles causent la mort des citoyens. Si je te tue, je ne pourrai jamais t’entendre. Je n’aurai plus la possibilité de connaître ton histoire humaine ni de respecter ton droit d’exister. L’existence individuelle est en elle-même un miracle. Chaque individu est précieux dans ce sens. Je m’étonne des gens qui prétendent être croyants alors que toutes les religions refusent les guerres. De plus, je suis très malheureuse en assistant à la contagion de guerres. Quand les citoyens s’entretuent, comme c’est le cas en Iraq, en Palestine et ailleurs, je suis pour le dialogue et non pas pour le débat ; en dialogue, les gens se respectent et chacun garde sa position tandis qu’en débat, il y a un vainqueur et un perdant. On ne s’entend pas. C’est comme l’état de guerre.

- Vous mentionnez une mauvaise exploitation de certains mots et expressions imposés par les politiciens. Quelle solution proposez-vous à cet égard ?

- Les mots utilisés par les politiciens sont souvent des mots vides, comme le mot « ennemi ». Ce dernier n’est que notre frère, notre père, notre voisin. De même pour les expressions très fréquentes aux Etats-Unis, comme In the Harmless Way for Freedom (la voie inoffensive vers la liberté), Friendly Fire (tirs collatéraux), For the Good of All (dans l’intérêt de tous) et Righteous War (la guerre justifiée). De quelle sorte de liberté parle-t-on si parmi les citoyens il y a des meurtres et comment la guerre iraqienne pourra-t-elle être justifiée ? Ceci s’applique aussi au mot « guerre ». Ce n’est pas une guerre qui se déroule en Iraq, mais une invasion.

- Vous avez reçu divers prix pour votre poésie, The Jane Adams Children’s Book Award (livres pour enfants), The Patron Poetry Price et celui du National Book. Cela signifie-t-il que vous vivez paisiblement aux Etats-Unis en dépit du fait que vous êtes une poétesse activiste ?

- Ma poésie a été toujours bien accueillie aux Etats-Unis. Ceci par référence aux principes selon lesquels les Etats-Unis ont été créés, le fait que c’est une nation d’émigrants. Pour ma part, je sens que je dois m’exprimer ouvertement sans avoir peur de rien. Si vous êtes artiste ou écrivain, vous n’avez pas d’autre choix. Même si, pour moi, la politique n’est pas mon sujet favori. Mais je ne peux pas y échapper. J’essaye de créer la paix ; je ne veux pas attendre les gouvernements pour qu’ils la créent.

- Etes-vous classifiée par les critiques et les lecteurs comme une poétesse d’origine arabe ?

- Ça dépend par qui. Mais pour moi, la poésie américaine est un mélange de diverses cultures. C’est vrai, les poètes arabes installés aux Etats-Unis ont un esprit de groupe, mais ils font partie du courant poétique américain. Alors, il ne doit pas y avoir de classification.

- Comment trouvez-vous la poésie du poète palestinien Mahmoud Darwich ? Y a-t-il d’autres poètes équivalents à son statut ?

- J’aime la poésie de Mahmoud Darwich depuis l’âge de 15 ans. Ses poèmes ont une grande influence sur moi. Il fait l’écho de la voix palestinienne. Il est une première voix. Mais je ne peux pas parler de statut de poètes, car je suis une parmi eux. Mais j’apprécie aussi les poètes palestiniens Fadwa Toukan, Samia Al-Qassem, Taha Mohamad Ali et Chérif Al-Moussa, de même que ceux qui vivent en Occident, comme Soheir Hamad et Nathalie Handal.

- Vous vous intéressez dans votre écriture à des objets du quotidien, aux boutons, aux gants, à l’oignon, etc. Pourquoi ?

- J’ai toujours préféré les choses simples. Souvent quelque chose de très petit peut faire écho à quelque chose de grand. De même, on peut exploiter les choses simples, mais à travers un style très surréaliste, qui reflète une vraie sensibilité poétique.

Propos recueillis par Rania Hassanein -
Al-Ahram hebdo - Semaine du 7 au 13 mars 2007, numéro 652 (Idées)


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