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Libye : le piège de la « no-fly zone »

vendredi 8 avril 2011 - 07h:10

Abdel Bari Atwan

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En regardant les missiles américains pleuvoir sur ​​les villes libyennes et les sites militaires, et en écoutant la campagne de propagande intensive qui les accompagnent, on ne peut que se souvenir de l’Irak et des bombardements qui ont visé ce pays à deux reprises : d’abord sous le prétexte de la libération du Koweït au début de 1991 et plus tard sous le prétexte de la destruction des armes irakiennes de destruction massive en mars 2003, il y a exactement huit ans.

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Engins de mort britanniques stationnées sur la base de l’OTAN de Gioia del Colle en Italie - Photo : Reuters

Certes, on ne peut rester les bras croisés alors que le dirigeant libyen, Mouammar Al-Kadhafi et les bataillons sanglants de ses fils massacrent impitoyablement le peuple libyen. Mais on ne peut éviter de remarquer la sélectivité des pays occidentaux qui interviennent militairement pour « protéger » certaines révolutions arabes tout en ignorant complètement les autres.

Soutenus par la Grande-Bretagne et la France, avec la couverture de la Ligue arabe et la participation du Qatar et des Émirats arabes unis, les États-Unis ont tiré 112 missiles de croisière lors d’un premier assaut à partir d’un porte-avions en Méditerranée, sous le prétexte de protéger les civils libyens. Mais que dire des civils que ces missiles ont tués ? Ne sont-ils pas également des Libyens ? Ou alors le meurtre par des gangs d’Al-Kadhafi est interdit tandis que le meurtre par des missiles américains est autorisé ?

Avant d’aller plus loin et pour dissiper tout malentendu, je tiens à affirmer que j’ai soutenu dès le début et que je continuerai de soutenir la révolution libyenne, de la même façon que j’ai soutenu et que je soutiendrai toujours toutes les révolutions arabes. En allant encore plus loin, je considère que le régime du colonel Al-Kadhaf est le pire des régimes de toutes les époques de l’histoire de la Libye. Je me suis senti à chaque fois tout à fait dégoûté en voyant ses fils corrompus se vanter et menacer le peuple libyen comme s’il était son esclave, comme si la Libye étaient leur ranch et qu’ils pouvaient en piller les richesses à volonté. Pourtant je ne suis pas du tout convaincu que cette intervention militaire occidentale ait pour origine un souci pour le sort du peuple libyen, et je suis persuadé qu’il est question de son pétrole et de ses richesses.

Dans le cas contraire, pourquoi ce silence au sujet des massacres dont les Yéménites sont victimes sous les yeux du monde entier ? Est-ce parce qu’il n’y a pas de pétrole au Yémen ? Ou parce que les Yéménites sont comme les Palestiniens, des gens qui ne méritent pas de protection... Ou est-ce pour les deux raisons à la fois ?

J’ai été exaspéré en entendant le secrétaire général de la Ligue Arabe, Amr Musa, exprimer son « objection » au bombardement des territoires libyens par la coalition occidentale. Il a objecté que le bombardement s’est éloigné de l’objectif d’imposer une zone d’exclusion aérienne, c’est-à-dire de protéger les civils et de ne pas bombarder d’autres civils. Dans une longue interview avec le quotidien allemand Der Spiegel, Musa avait soutenu l’intervention étrangère en Libye avant même que les ministres des affaires étrangères des pays arabes se soient réunis au siège de la Ligue Arabe pour discuter l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne. Il cherche maintenant à éluder les conséquences catastrophiques de la position qu’il a adoptée le dernier mois de sa présidence de la Ligue Arabe, parce qu’il est plus intéressé à gagner les prochaines élections présidentielles égyptiennes.

L’objectif d’imposer une zone d’exclusion aérienne a été prise pour protéger tous les Libyens civils, sans exception, et pour empêcher le colonel Al-Kadhafi d’utiliser son aviation pour terroriser son peuple et commettre des massacres. Cependant, nous remarquons que la sélectivité de l’Occident ne s’arrête pas à la révolution arabe mais s’étend à la population libyenne elle-même. Les Libyens qui sont retenus prisonniers par le régime libyen, volontairement ou involontairement, sont apparemment considérés comme coupables par la coalition occidentale et ses dirigeants et méritent d’être tués.

Nous vivons dans une époque de mensonges et de désinformation, comme celle que nous avons vue avant que les États-Unis ne lancent une guerre destructrice contre l’Irak. Les institutions médiatiques arabes et étrangères sont partie prenante de cette campagne de mensonges et de désinformation. Nous avons lu et entendu parler de bombardements aériens du colonel Al-Kadhafi, apparemment sur des civils libyens non armés à Benghazi, Al-Bayda, Tobrouk, et Misratah. Quelle surprise alors de voir un avion appartenant au camp des révolutionnaires libyens être abattu au-dessus de Tripoli. Nous avons donc le droit de nous demander si la zone d’exclusion aérienne s’applique également aux avions appartenant aux insurgés libyens.

Nous ne savons pas combien de temps Al-Kadhafi restera au pouvoir, tout comme nous ne pouvons pas spéculer sur sa capacité à résister. Mais si le peuple libyen se prend à lutter contre l’agression étrangère, comme leurs frères en Irak, en Afghanistan et en Somalie, il ne se battra pas parce qu’il veut être gouverné par le leader libyen ou pour que son fils lui succède. Il se battra parce qu’il a une tradition noble et honorable dans la résistance face aux envahisseurs colonialistes qui bafouent son honneur et son dignité nationale.

Ce qui se passe en Libye est une véritable invasion visant à changer le régime au pouvoir par la force militaire, à la façon des néo-conservateurs et de leur patron, le président George Bush. C’est parce que le leader libyen a rempli son rôle et qu’il est devenu inutile. Du point de vue des pays occidentaux, il est temps de se débarrasser du dirigeant libyen comme on se débarrasse d’un mouchoir usagé. Les pays occidentaux ont emboîté le pas de la révolution libyenne en l’exploitant et en l’utilisant pour leur propre compte.

Les pays occidentaux, notamment les États-Unis et la Grande-Bretagne, n’ont-ils pas promis de réhabiliter le régime libyen après que celui-ci ait versé une indemnisation pour les victimes de Lockerbie (3 milliards de dollars), et qu’il ait déposé la totalité de ses excédents financiers (200 milliards de dollars) dans les banques européennes et américaines ? La Grande-Bretagne, qui dirige actuellement l’agression contre la Libye, n’a-t-elle pas libéré Abd-al-Basit al-Miqrahi qui avait été reconnu coupable d’avoir fait sauter l’avion de la Pan-Am au-dessus de Lockerbie, comme contrepartie du retour de la compagnie British Petroleum en Libye avec d’énormes contrats pétroliers de prospection ? Sayf al-Islam al-Kadhafi, « l’héritier » du dictateur libyen, n’a-t-il pas dit que Tony Blair - l’ancien Premier ministre britannique néo-conservateur - était un ami personnel de la famill, et qu’il avait séjourné dans la maison de sa famille chaque fois qu’il s’était rendu à Tripoli ?

Si cet Occident hypocrite, qui dit s’inquiéter pour le peuple libyen et vouloir promouvoir la démocratie et les droits de l’homme, était honnête dans ses intentions et ses déclarations, pourquoi n’-a-t-il pas imposé un changement démocratique en Libye en échange de la levée des sanctions et du rétablissement des liens diplomatiques ?

Quand la poussière sera retombée et que la vérité éclatera, la Libye sera peut-être divisée, ou partagée. Nous ne serons pas surpris si une guerre civile éclate, ou si la Libye se transforme en un Etat en faillite comme la Somalie, l’Irak, l’Afghanistan et le Yémen. Nous ne voulons pas ceci se produise en Libye, mais n’est-ce pas cela, le résultat de l’intervention occidentale dans les pays du Moyen-Orient, et même dans la région des Balkans ?

L’organisation Al-Qaida, dont l’Occident a peur, se développe dans les États en faillite que l’Occident a contribué à créer grâce à ses interventions militaires. Après tout, Al-Qaida s’est installé en Irak, en Somalie et au Yémen grâce à l’intervention occidentale ou grâce à l’alignement des dictatures de ces pays sur les objectifs occidentaux. Les chefs d’Al-Qaida doivent se frotter les mains avec jubilation, en escomptant que la Libye tombe facilement dans le giron de son organisation après l’intervention des pays occidentaux. Quoi qu’il en soit, Al-Qaida est à un jet de pierre de la Libye, et son rejeton dans le Maghreb islamique est actuellement classé au second rang derrière son homologue au Yémen.

L’intervention américaine en Libye sera sanglante et l’issue en est inconnue. Nous avons perdu un million de martyrs en Irak dans une intervention similaire, et Dieu seul sait combien nous allons perdre de martyrs dans cette nouvelle guerre. L’histoire se répète, de même que se répètent les mêmes accusations et les mêmes mensonges.

* Abdel Bari Atwan est palestinien et rédacteur en chef du quotidien al-Quds al-Arabi, grand quotidien en langue arabe édité à Londres. Abdel Bari Atwan est considéré comme l’un des analystes les plus pertinents de toute la presse arabe.

Du même auteur :

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21 mars 2011 - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.bariatwan.com/index.asp?...
Traduction : Abdel al-Rahim


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