16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

La conférence internationale de Bagdad, ou la diplomatie américaine du jus d’orange

lundi 12 mars 2007 - 06h:12

Luis Lema - Le Temps

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Voulue par le premier ministre irakien, la rencontre de ce samedi réunira entre autres les Etats-Unis, l’Iran et la Syrie.

Comment se prennent les grands virages stratégiques ? Comment, en regard de l’histoire, amorce-t-on une nouvelle politique ? La réponse vient peut-être de cette petite phrase de David Satterfield, le responsable du dossier irakien au Département d’Etat américain : « Si, entre deux verres de jus d’orange, les Syriens et les Iraniens nous approchent, nous n’allons pas leur tourner le dos et nous enfuir. »

- Que cherche la conférence ?

A la conférence internationale qui se tient ce samedi à Bagdad, et qui réunira les voisins de l’Irak ainsi que les grandes puissances, les Etats-Unis ne vont pas s’enfuir. Assez pour mettre fin à vingt-sept ans de gel des relations entre Washington et Téhéran ? Assez pour rendre fréquentables les puissances de « l’Axe du mal » dessiné par le président George Bush ?

Voulue par le premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, la réunion vise, selon la formule consacrée, à « accroître la stabilité et la sécurité de l’Irak ». Une litote qui masque mal la situation d’urgence dans laquelle se trouve le pays : il s’agit bien, en réalité, de chercher les moyens d’éviter que l’Irak ne sombre dans une guerre civile généralisée. Les questions abordées ne seront pas financières, mais politiques.

Dans un premier temps, les divers « hommes forts » de l’Irak s’étaient opposés à l’idée d’une conférence régionale, souhaitant régler entre eux leurs différends. A l’image du puissant homme politique chiite Abdul Aziz al-Hakim, très proche de l’Iran, ils se sont finalement laissés convaincre. Vendredi, dans une rare apparition dans les rues de la capitale, le premier ministre Al-Maliki se voulait optimiste : « La conférence est la preuve que la situation à Bagdad revient à la normale et que le processus politique est fort et stable. »

- Qu’en pensent les Etats-Unis ?

A priori, la tenue de la conférence va dans le sens souhaité par Washington qui veut, lui aussi, donner le sentiment d’un pays qui gère son destin de façon de plus en plus autonome. Cette réunion a, de fait, un précédent qui a eu lieu en Egypte en 2004. Au-delà des préoccupations liées à l’Irak, et de la nécessité qu’entrevoit Washington de partager le fardeau de la guerre, la grande question, pour les Etats-Unis, est de savoir s’il faut, ou non, ramener dans le jeu les Iraniens et les Syriens. L’administration Bush estime qu’elle a placé suffisamment de pression sur l’Iran (déploiement de deux porte-avions dans le golfe Persique, arrestations d’Iraniens en Irak...) pour apparaître aujourd’hui en situation de force. Mais cette analyse, rappelée cette semaine encore par la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice, se heurte à des oppositions à la Maison-Blanche. L’entourage du vice-président Dick Cheney craint notamment que les Etats-Unis puissent être amenés à faire des concessions. D’où la phrase mi-figue mi-raisin de David Satterfield, qui représentera une ligne américaine mal définie à Bagdad.

- Et l’Iran et la Syrie ?

Les Iraniens, eux aussi, se sentent en position de force. La guerre d’Irak a démultiplié leur rayon d’influence, ce qu’ils n’ont pas manqué d’exploiter sur le dossier du programme nucléaire. Cette conférence a valeur de reconnaissance. Mais Téhéran est sur un fil : une guerre civile ouverte en Irak n’est pas dans son intérêt. Quant à la Syrie, elle a deux obsessions : les centaines de milliers de réfugiés irakiens présents sur son territoire, qui menacent sérieusement de déstabiliser le pays, et l’occupation du Golan par Israël. Pour Damas, en effet, les choses sont claires. Si la perspective d’une discussion directe avec Washington venait à se concrétiser, il ne serait pas question de séparer les affaires purement irakiennes du reste des dossiers du Proche-Orient.

- Et les autres pays arabes ?

C’est peu dire que l’Egypte, l’Arabie saoudite ou les autres pays du Golfe se méfient du chiite Al-Maliki et de l’ombre iranienne qui plane au-dessus de lui. Cette semaine, la Ligue arabe a donné pour instruction à sa délégation à la conférence de Bagdad de prôner des changements dans la Constitution irakienne qui garantiraient davantage de pouvoir aux sunnites. Une mesure que le premier ministre irakien a immédiatement qualifiée « d’irresponsable » et « d’interférence flagrante dans les affaires irakiennes ».


Luis Lema, New York


« L’aide de l’Iran pour résoudre la crise est indispensable »

Hamid Reza Naghashian, ancien membre des Gardiens de la révolution, est propriétaire du quotidien « Iran News ».

- Quel rôle l’Iran peut-il jouer dans la conférence de Bagdad ?

Son rôle est double : aider au rétablissement de la sécurité en Irak et ?uvrer en faveur du retrait des troupes de la coalition multinationale dirigée par les Etats-Unis. D’après moi, l’aide de Téhéran est indispensable à la résolution de la crise irakienne. L’Iran est, en effet, le voisin le plus important de l’Irak et celui qui le connaît le mieux. Les deux pays partagent une longue frontière de 1200 km. Les années de guerre contre Bagdad (ndlr : 1980-88) ont également permis à Téhéran d’approfondir le niveau de son renseignement sur l’Irak. Et puis, l’Iran chiite a bien sûr une certaine influence naturelle en Irak, où la population est majoritairement chiite. Enfin, on ne peut nier la proximité de Téhéran avec les principales figures politiques de l’actuel gouvernement. Abdul Aziz al-Hakim, le chef du CSRII (Conseil suprême de la révolution islamique en Irak), a vécu ses années d’exil en Iran. A l’époque, les Gardiens de la révolution participèrent à la formation des brigades Badr - le bras armé du CSRII. N’oublions pas, non plus, que l’actuel chef du pouvoir judiciaire iranien, Mahmoud Hachémi Shahroudi - un Irakien d’origine -, fut le fondateur du CSRII.

- Que répondez-vous aux allégations américaines selon lesquelles l’Iran soutient certains groupes armés chiites en Irak, notamment par le biais de la force Qods ?

C’est une accusation infondée. Cela sous-entendrait que les chiites d’Irak n’auraient aucune autonomie et n’agiraient que sur ordre de l’Iran. En plus, rien ne prouve que les munitions retrouvées en Irak soient d’origine iranienne. Elles pourraient tout aussi bien venir de Russie, ou de Tchétchénie. En ce qui concerne la force Qods, rappelons qu’il s’agit d’une branche des Gardiens de la révolution, qui a été particulièrement active au Kurdistan pendant la guerre Iran-Irak, et qui avait pour objectif de protéger la frontière iranienne et de combattre le régime de Saddam Hussein. Cette branche n’a jamais reçu aucun ordre pour fournir des armes à l’actuelle guérilla irakienne. En revanche, il n’est pas exclu que certains de ses membres, à titre personnel, et sans consulter leur hiérarchie, aient vendu des armes à certains groupes irakiens.

- D’après vous, risque-t-on d’aller vers une crise militaire entre l’Iran et les Etats-Unis ?

Je pense qu’il y a une chance sur un million pour que Washington décide d’attaquer l’Iran. Les Américains sont suffisamment enlisés en Irak, et attaquer l’Iran ne ferait qu’élargir le chaos au niveau régional. Mais si nous sommes visés, nous serons bien entendu obligés de riposter. Les Gardiens de la révolution à la retraite, comme moi, sont prêts à reprendre les armes du jour au lendemain. Si l’Amérique nous pousse vers le précipice, les blessures du passé vont ressortir, et ça risque de faire mal. Ce ne sont pas deux porte-avions américains déployés dans le golfe Persique qui suffiront à gagner une guerre contre la fierté d’une nation. Les intérêts occidentaux aux Emirats, au Qatar, ou encore à Bahreïn pourraient en pâtir.

-  Quel geste serait prêt à faire l’Iran pour discuter avec l’Amérique ?

La question doit être posée des deux côtés. Il faudrait se demander aussi quel geste Washington serait prêt à faire. D’après moi, ce qui est fondamental, c’est que les deux pays mettent de côté leurs rancunes du passé pour pouvoir discuter. Les Américains restent peut-être traumatisés par la prise d’otage (ndlr : en 1979-80). Mais nous, nous n’avons pas non plus digéré le coup d’Etat, soutenu par l’Amérique, contre l’ancien premier ministre Mossadegh, en 1953. Mais aujourd’hui, je ne me fais personnellement aucune illusion sur un rapprochement avec Washington, tant que George Bush sera au pouvoir. A l’époque des démocrates, il y avait eu des signaux positifs lancés par l’Amérique. Les Iraniens aussi avaient fait preuve de bienveillance. Après le 11 septembre, Téhéran avait condamné les attentats et les Iraniens avaient allumé des bougies en signe de compassion. Mais plus tard, Bush a tout détruit en plaçant l’Iran sur la liste de l’« Axe du mal ». S’il ne redevient pas plus réaliste, il n’y a aucun espoir de rapprochement.



Delphine Minoui

Le Temps (quotidien suisse), le 10 mars 2007


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.