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Égypte : La contre-révolution

lundi 28 mars 2011 - 07h:35

Aalam Wassef
Cris d’Égypte

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Le jour se lève sur un jour anniversaire. Nous fêtons aujourd’hui le deuxième mois de la révolution. En réalité on ne fête rien du tout, du moins pas ceux qui entendent, pour ce qu’il est, le mot démocratie.

Les déçus cachent leur amertume et leur inquiétude et redoublent d’efforts et de réunions pour résister au rouleau compresseur de l’armée.

Le gouvernement de transition n’y va pas de main morte pour conduire le pays vers ce qu’il appelle la stabilité. Et qu’on se le dise : les ennemis de la stabilité sont des fauteurs de trouble ! des ennemis de la patrie ! You’re either with us or against us, aurait dit George W. Bush.

Les manifestants célébrés il y a quelques semaines sont en passe d’être criminalisés. L’armée a annoncé une loi criminalisant les manifestations et les grèves. Celle-ci sera sans doute passée dans les jours à venir à moins que... à moins qu’il se passe quelque chose tout à l’heure, et ce n’est pas impossible.

Depuis l’euphorie (injustifiée) du référendum du 19 mars, certains commencent à regarder la réalité telle qu’elle est et non telle qu’ils la rêvent. On ne connaît pas leur nombre car depuis que l’armée casse les manifestations en torturant ceux qu’elle arrête, mes concitoyens ont tendance à préférer le salon, surtout les femmes qui, si elles se font arrêter par l’armée, risquent de subir mille humiliations dont des "tests de virginité" effectué par des hommes. Nausée.

Pourquoi euphorie injustifiée. Parce qu’on a pris "une-élection-avec-un-taux-de-participation-record" pour le signe ultime d’une démocratie enfin trouvée. Pour qu’une élection soit démocratique, ne doit-elle pas, d’abord, être juste ? Et à quoi reconnaît-on une élection juste si ce n’est par l’application d’au moins quelques principes universels tels que : le secret du vote, la validité des bulletins de vote, les mesures contre la fraude, contre le double ou le triple vote, un temps de parole égal pour chaque camp sur les chaînes de télévision et les radios nationales, la surveillance du vote et des bulletins par une autorité judiciaire, l’accès - à tous - à un bureau de vote ouvert, l’empêchement de toute tentative de "harcèlement politique" ou religieux par des bandes organisées à l’intérieur des bureaux de vote...

Chacun de ces points à été violé dans ses grandes largeurs et spécialement dans les villes et les villages de province. Commençons par le plus comique. Pour éviter qu’ils votent plusieurs fois, les électeurs trempaient un doigt dans de l’encre rose lavable à l’eau et au savon. Les bureaux de vote sans isoloir se comptaient par centaines. Les zones à forte communautés coptes ont vu leur bureaux fermés, ouverts, fermés - notamment les bureaux de la ville de Naga Hammadi. La télévision nationale diffusait... non elle martelait que le devoir patriotique de chacun était de voter "oui" à la stabilité. La première page du premier quotidien national, Al Ahram, a publié un encadré expliquant que voter "oui" était un devoir qui incombait à tout citoyen. Des Frères Musulmans et des salafistes en bandes, que nulle autorité n’empêchaient, accaparaient les bureaux de votes et vociféraient qu’en votant "oui" on irait au paradis et qu’en votant non... Pour comprendre l’ampleur des dégâts, il faut imaginer des villages ou le taux d’analphabétisation atteint parfois 70 ou 80%.

Les Frères Musulmans. Encore. Souvenez-vous quand nous disions que, trente années durant, le régime Mubarak avait agité le spectre de l’islamisme pour asseoir son pouvoir et légitimer sa dictature. L’armée, peu imaginative sans doute, se sert des mêmes ruses en ouvrant aux islamistes une voie royale telle qu’il n’aurait jamais pu la rêver.

L’accélération du processus électoral voulu par l’armée - allant contre toutes les demandes et mises en garde du camp pro-démocrate - donne bien sûr l’avantage aux partis et aux mouvements déjà constitués : le Parti National Démocratique et, donc, les Frères Musulmans avec lesquels il semble clair que l’armée ait passé un accord. S’il l’on ignore les termes de l’accord, on semble déjà en connaître les conséquences : 30% des sièges au prochain parlement dit, à qui veut l’entendre, Essam El Erian, porte-parole de la confrérie.

Ne devrait-on s’étonner d’ailleurs que le nom du Parti National Démocratique de Moubarak soit encore prononcé ? Oui bien sûr, il faudrait s’en étonner, tout comme il faudrait s’étonner qu’Hosni Mubarak lui-même arpente les plages de Sharm el Sheikh, que Safwat el Sherif, tortionnaire corrompu et ex-président du Conseil d’État ne soit sous le coup d’aucune poursuite judiciaire, pas plus que Fathi Sorour, ex-Président de l’Assemblée du Peuple, maître en corruption lui aussi.

Assez.

Bonne nouvelle. Des centaines de fonctionnaires de la radio et de la télévision se sont mis en grève et contestent leurs conditions de travail. C’est pour eux une façon polie de tourner les choses. Ce qu’ils contestent c’est qu’on les oblige - et depuis toujours - à se rendre complices de toutes les campagnes de désinformation et de manipulation populaire, notamment la campagne féroce qui aura largement contribué à la victoire du camp du "oui" à une constitution qui menace, en profondeur, l’avenir démocratique de l’Égypte.

"Libérer l’information" est le nouveau combat de ceux qui ont compris - avec raison - que la Radio-Télévision d’état était l’arme fatale de ce qu’il est convenu d’appeler... la contre-révolution.

Le Caire, 25 mars 2011, 18h30. Des manifestants se sont réunis à Maspero, le siège de la Radio-Télévision égyptienne. Les slogans à l’endroit de Hussein Tantawi sont directs et c’est une grande première : Tantawi ne serais-tu pas le prochain dictateur ? Jamais un slogan n’avait-il été prononcé contre l’armée.

De grandes banderoles dénoncent également la triangulaire de la corruption évoquée plus haut : Safwat el Sherif, Fathi Sorour et Zakaria Azmi (ex-chef du personnel de la présidence).

Les manifestants sur place appellent à passer la nuit devant Maspero et de braver le couvre-feu de minuit. Cela annonce peut-être de nouvelles confrontations violentes avec l’armée et des arrestations sommaires par l’armée.

Contre contre révolution ? Ç’en a tout l’air.

Voir la vidéo de la manifestation de Maspero, un peu plus tôt dans la journée.


Aalam Wassef, Égyptien, 40 ans. Plasticien, éditeur, chroniqueur et bloggeur sous une dizaine de pseudonymes ou sous son vrai nom quand le contexte le lui permet. Contributeur de www.edge.org, il est également le fondateur de peerevaluation.org. Pour le contacter : libe.crisdegypte@gmail.com

Le Caire, le 25 mars 2011 - Cris d’Égypte


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