16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Entretien avec de jeunes militants palestiniens voulant s’inspirer de la Tunisie et de l’Egypte

mardi 22 mars 2011 - 08h:47

IMEU

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Le 10 mars, l’IMEU (Institute for Middle East Understanding ), basé aux Etats-Unis, a diffusé cette émission de radio, une discussion en anglais avec des jeunes de Cisjordanie et de Gaza, qu’on peut écouter sur le site. En voici la transcription.

JPEG - 79.3 ko
Manifestations du 15 mars 2011 - Photo : Osama Mattar

Dans les territoires palestiniens occupés des manifestations à l’initiative des jeunes sont prévues le 15 mars dans la bande de Gaza et la Cisjordanie. L’initiative est menée par une nouvelle génération de militants férus des nouvelles technologies, qui empruntent des tactiques et en invententles leurs afin d’insuffler une nouvelle vie dans ce qu’ils espèrent être un mouvement capable d’unir et de réformer leurs propres dirigeants, et de mettre fin aux longues décennies d’occupation israélienne.

INVITÉS :

Fajr Harb est un Palestinien vivant en Cisjordanie. Il est le directeur adjoint du Centre Carter à Ramallah et membre d’[Al Shabaka, " Le réseau politique palestinien"-http://al-shabaka.org/] . Il se joint à nous pour donner aperçus et commentaires sur le récent développement des mouvements de jeunes palestiniens.

Lina Al-Sharif est une femme palestinienne vivant à Gaza. Elle est étudiante supérieure en littérature anglaise à l’Université islamique de Gaza. Elle est une blogueuse active (blog 360 Km2 of Chaos)

Fadi Coran est un Palestinien vivant en Cisjordanie. Il est le fondateur d’un projet d’énergies alternatives et travaille également en tant que coordonnateur au sein des mouvements de jeunesse. Il prépare actuellement un master en droits de l’homme et droit constitutionnel, et a terminé des études à l’Université de Stanford , avec des diplômes en physique et en relations internationales.

 TRANSCRIPTION DE l’EMISSION

Ismail : ( Présentation et salutations des invités ....... ) 
Permettez-moi de commencer tout de suite. D’abord, on n’a pas évoqué aux États-Unis cette manifestation prévue le 15 mars, qui est organisée par des groupes de jeunes, si j’ai bien compris. Pourriez-vous nous parler de cette manifestation ? Quelles sont les revendications ? Quelles sont les organisations qui ont été impliquées dans sa préparation ?

Fadi : Bonjour, c’est Fadi. Merci pour votre introduction. A propos de la façon dont le mouvement du 15 mars a commencé, il y a beaucoup de groupes qui l’ont initié. Cela comprend un grand nombre de groupes de la Cisjordanie, Gaza et parmi les palestiniens vivant en Israël et aussi de certains camps de réfugiés, avec la création de groupes de jeunes qui voulaient apporter des changements dans la société palestinienne. Il y a actuellement environ 250 groupes qui ont des demandes diverses , mais qui oeuvrent dans la même direction. Et leur principale revendication est la fin de l’occupation et la liberté. A présent, depuis les deux dernières semaines, ces groupes ont commencé s’unir pour l’élaboration de demandes communes, ils ont décidé de se mettre d’accord sur la demande prioritaire d’une représentation démocratique complète pour les Palestiniens où qu’ils se trouvent, par l’obtention d’ élections pour le Conseil National Palestinien et en mettant fin à la désunion entre le Fatah et le Hamas. Et ces différents groupes s’organisent dans leurs différents lieux, et leurs différentes universités, pour exprimer partout leurs protestations et manifestations de façon à ce qu’ils parviennent à mettre fin à la division, jusqu’à ce que soient annoncées des élections démocratiques pour les Palestiniens, où qu’ils vivent.

Ismail : Effectivement Fadi, nous vous remercions de nous rappeler que c’est également organisé par les "Palestiniens de 48", ceux qui habitent en Israël. Désolé d’avoir oublié de le mentionner au début. 

Fajr : Oui, je pense que le 15 est une occasion de s’exprimer pour les jeunes et vraiment pour beaucoup de gens et de faire savoir très clairement que le statu quo n’est pas acceptable. Le peuple exige que chacun soit représenté. Il est magnifique que ce mouvement soit dirigé par des jeunes et inspiré par ce qui s’est passé en Egypte et enTunisie. Le 15 Mars s’annonce être un grand jour.

Ismail : Lina, en répondant à cette question, je voudrais aussi que tu donnes à nos auditeurs un peu de détails sur la bande de Gaza, car à travers le blocus et le siège israélien, la bande de Gaza a été isolée du reste de la société palestinienne, plus que la Cisjordanie et ceux restés en Israël après 1948. Alors fais-nous savoir le contexte à Gaza et comment les habitants de Gaza s’engagent avec les Palestiniens d’Israël et de Cisjordanie pour se joindre à ces manifestations.

Lina : D’abord, je dirais que les exigences à Gaza sont les mêmes que celles qu’ont expliquées par Fajr et Sadi. Ce sont les mêmes exigences. Parce que, vous le savez, nous voulons tous maintenant la fin de cette désunion. Les manifestations à Gaza sont organisés avec Facebook, et de nombreux groupes y appellent. Je dirais que l’un des organisateurs est le mouvement qui est apparu récemment à Gaza, "Gaza Youth Breaks Out" . Je dirais aussi que le même mouvement de mobilisation et de média se met en place dans la bande de Gaza. Je ne sais pas comment les choses vont tourner ici, si ça va être pareil qu’en Cisjordanie et à Jérusalem occupée. Je ne sais pas, mais je voudrais dire que les revendications ici à Gaza sont semblables aux exigences en Cisjordanie et que la façon de s’organiser et de mobiliser sont tout à fait similaires.

Ismail : Tu as parlé de Facebook, Lina. Venons-en à ce sujet, il a été tellement question pour l’Egypte et la Tunisie du rôle des nouveaux médias. Pourrais-tu nous parler un peu plus du rôle qu’Internet, les médias sociaux comme Twitter ou Facebook, jouent dans la bande de Gaza en général, mais particulièrement en ce qui concerne cette manifestation prévue le 15 Mars.

Lina : Oui, je dirais que Facebook et Twitter ont été le lieu principal de l’appel à cette manifestation. Je vais expliquer comment nous sommes devenus maintenant connus de tous. Tout d’abord, cela a commencé comme une petite idée, mais maintenant on peut dire que la plupart des habitants de Gaza sont au courant de ces manifestations. Sans Facebook, nous n’aurions absolument pas pu parler de la mobilisation. C’est le moyen le plus commode et c’est celui que tout le monde utilise pour s’informer de l’événement. Peut-être que parfois, quand les gens voient cet événement sur ​​le "mur" Facebook, ils doutent de sa crédibilité. Ils ne croient pas que tout ceci va être effectivement réalisé, mais pour le 15 mars, c’est très différent. Les gens sont de plus en plus nombreux à y croire, et il y a en beaucoup qui en parlent. Il ne s’agit plus de la première étape, savoir qui va participer, l’étape cruciale aujourd’hui, c’est que l’organisation de cette manifestation soit couronnée de succès, parce que maintenant c’est devenu un événement qui est attendu au moins dans la bande de Gaza, avec des gens qui en discutent entre eux. Et c’est la première fois que cet événement va peut-être se révéler être un succès.

Ismail : Fadi, je me tourne vers toi. Je voudrais que tu nous parles des nouveaux médias, mais aussi que tu nous dises dans quelle mesure la révolution égyptienne qui est évidemment toujours en cours, et la Tunisie, et tous ces événements, vous ont touchés et influencés, quelles leçons tactiques sont tirées par les jeunes palestiniens de ces révolutions en Afrique du Nord. Ce qui du Maghreb est applicable, et ce qui ne correspond pas à la situation en Palestine.

Fadi : Je vais répondre à la première question sur les médias sociaux. La chose la plus importante qu’il faut souligner, c’est que Facebook et Twitter sont des outils utiles. Ce sont des armes pour mobiliser et surtout pour communiquer avec nos frères et s ?urs à Gaza, parce que, comme probablement la plupart des auditeurs le savent, nous sommes toujours séparés et il est impossible pour moi de me rendre à Gaza ou pour quelqu’un à Gaza de me rendre visite. Cela nous aide pour la coordination de ce type d’événement. Mais je pense que même si c’est un outil très utile, il n’y a pas de lien de causalité. Je pense que les sit-in et les manifestations, et très probablement les changements qui sont en cours et ceux qui vont se produire au Moyen-Orient seraient arrivés avec ou sans Facebook. En ce qui concerne le deuxième point sur ​​l’influence que les révolutions tunisiennes et égyptiennes ont eu sur nous, je pense que l’effet premier et probablement le plus significatif a été de nous aider à sortir de cette fatigue et du désespoir grandissant, et à remettre l’espoir à flot. Ils nous ont appris à espérer à nouveau. Ils nous ont appris que si on se bat avec suffisamment d’énergie, si on ne renonce pas et si nous apprenons de nos erreurs, si nous nous battons pour une juste cause, alors nous pouvons apporter le changement. Et maintenant, je marche dans les rues et je vois l’espoir à nouveau dans les yeux de chaque palestinien.

Les gens pensent que le changement peut venir, et ils sont prêts à se sacrifier pour lui. Concernant la tactique, il y a maintenant certaines tactiques que je pense utiles dans les territoires palestiniens et il y a certaines des tactiques que nous ne pouvons pas utiliser. Par exemple, parmi les tactiques utiles, l’une que nous avons retenue de l’Egypte : nous avons un manuel que les Égyptiens ont utilisé. Dans ce manuel, il est indiqué la façon d’interagir avec des gens qui essaient de semer le trouble dans la foule, comment les séparer de la foule, comment leur parler, comment planifier pour une longue durée, installer la contestation ... nous utilisons notre propre appel, nous utilisons cet appel pour que les gens descendent dans la rue et nous les quitterons pas avant que nos revendications soient satisfaites. Nous avons appris des Egyptiens, sur la façon dont ils ont agi Place Tahrir, la place de libération enfin durable. Le genre de tentes qu’ils ont apportées, où ils ont placé les tentes, où ils plaçaient les salles de bains et les différents usages. Et nous sommes également en contact avec les Tunisiens, car la Tunisie est un meilleur exemple à suivre pour nous en tant que Palestiniens, la Tunisie est un petit pays avec presque la même quantité de population que la nôtre. Ainsi, nous apprenons comment ils se sont mobilisés. Parmi les choses qui sont difficiles à reproduire par nous ici, c’est par exemple, rassembler les gens de toute la Cisjordanie pour les amener tous à Ramallah, parce que les villes ici sont séparées. Nous sommes dans des bantoustans. Ce sera très difficile et les Israéliens installeront probablement plus de checkpoints pour empêcher les gens des villages autour de Ramallah de se rendre à Ramallah. Partir de Hebron et parvenir à Ramallah est très difficile. Ce sera également difficile à l’avenir lorsque nos manifestations non-violentes atteindront Israël, en raison de la séparation. En Egypte, le peuple et l’armée ont été un seul peuple. Ils étaient liés. Ils parlaient la même langue. Les soldats israéliens sont habitués à nous considérer comme des êtres inférieurs. Ils ne nous voient pas comme des égaux, de sorte que ce sera un plus grand défi.

Ismail : Oui, Fajr, c’est un point important que tu as soulevé, je crois que les gens aux États-Unis ne le comprennent pas très bien. Au cours de la la révolution égyptienne, les manifestations ont rassemblé un très grand nombre de personnes. Évidemment l’Egypte a une très importante population, plus de 80 millions. Il n’y a pas ces restrictions pour les déplacements, à la liberté de circulation qui existent dans les parties occupées de la Palestine, à savoir la Cisjordanie et de Gaza. Donc, il me semble qu’il sera plus difficile d’accumuler la masse critique, qui fait vraiment impression sur la communauté internationale. Comment envisagez-vous de traiter avec les entraves à la circulation et les bantoustans que vous avez mentionnés et les divisions entre les villes causées par l’occupation ?

Fadi : Nous préférons ne pas parler de nos tactiques spécifiques, pour éviter de dévoiler des informations qui pourraient être utilisées contre nous. Mais il est important de savoir que nous avons pensé à ces obstacles. Et nous allons essayer de travailler sur ces problèmes, nous avons des stratégies pour parvenir à les contourner, je l’espère. Priez pour nous.

Fajr : L’ important pour nous est qu’il y a beaucoup de potentiel chez les gens d’ici. Au cours des dernières années en raison de la division et à cause de la bulle économique,la résistance à l’occupation n’avait pas été la priorité pour tout le monde. En ce moment les choses changent. De plus en plus de gens sont de plus en plus impliqués, les personnes âgées comme les jeunes. Je crois qu’une fois que nous nous tournerons contre l’occupation, le volume, la créativité et les grèves vont être beaucoup plus élevés, inattendus, ce sera surprenant .

Ismail : Avant de nous adresser de nouveau à Lina à Gaza, je rappelle à nos auditeurs que nous allons bientôt en venir à vos questions. Si vous avez une question, vous pouvez nous téléphoner, vous serez à l’antenne. Vous pouvez utiliser aussi Twitter ou, sur notre site, le tchat en bas de votre écran.
Lina, on parle beaucoup du Hamas aux Etats-Unis, qui est perçu comme non démocratique. Si tu as la liberté de le dire, comment vois-tu la façon dont les autorités à Gaza répondent à une telle manifestation, de même pensez-vous que les Israéliens vont participer à partir de l’extérieur, de l’extérieur de Gaza.

Lina : Eh bien vous savez, ces manifestations sont un peu théoriques, je dirais. Nous avons toujours organisé des manifestations contre l’occupation. Et aujourd’hui, ces manifestations ne sont pas contre le Hamas en premier lieu. Elles sont une manière de dire aux deux factions que assez c’est assez. Nous voulons l’unité parce que nous voulons conquérir nos droits. Nous voulons être unis contre l’occupation. Je pense qu’Israël ne va pas être content d’un appel à l’unité qui émane des Palestiniens, parce que le statu quo est confortable pour Israël. Avec la division présente, il y a une perception différente de l’occupation. Actuellement la Cisjordanie et Gaza sont très séparées, c’est très commode pour l’occupation. Les autorités de Gaza rencontrent quelque chose de nouveau, mais elles doivent comprendre que ces manifestations sont pour le bien de tous. Elles sont destinées à recréer l’unité pour les Palestiniens. Donc les Palestiniens s’adressent à leurs dirigeants, ils leur disent : vous devez être comme nous ne le souhaitons. Cela devrait être perçu très positivement, parce que nous allons à leur rencontre en leur disant que nous voulons qu’ils redeviennent ce qu’ils étaient, parce que nous définissons nos priorités et que nous voulons la levée du blocus. Nous voulons pouvoir faire quelque chose pour aider nos frères et s ?urs en Cisjordanie. Cela ne peut se faire tant qu’existe la division politique entre le Hamas et le Fatah. Je dirais donc qu’il est possible que les autorités n’apprécient pas dans un premier temps, mais s’ils veulent observer, si elles veulent regarder la mobilisation sous l’angle du point de vue du peuple, ils doivent le percevoir de façon positive, car nous en faisons partie. Nous voulons que vous reveniez vers nous, que vous nous écoutiez et que vous nous permettiez de nous réunir tous ensemble contre l’occupation. Voilà l’essentiel, être libres, et aussi longtemps que nous ne serons pas ensemble, unis, nous n’allons pas être libres. C’est ainsi que les protestations permettront de parvenir à un succès. Les dirigeants doivent être à l’écoute du peuple et repenser leurs priorités.

Ismail : Merci Lina. Nous avons une question par internet : qu’attendez-vous de la communauté internationale en réponse ou en solidarité avec ces manifestations du 15 mars, qui sont de toute évidence profondément axées sur l’unité palestinienne et une démarche commune de la société palestinienne ? Y a-t-il un volet international, que ce soit par les nouveaux médias,ou par le biais d’autres réseaux, des organisations ou des groupes en dehors d’Israël et de la Palestine ?

Fadi : Je peux énoncer trois objectifs que nous travaillons avec la communauté internationale. Le premier concerne la diaspora palestinienne aux Etats-Unis, en Europe, en Afrique et en Asie et en Amérique. Nous avons appelé tous les Palestiniens où qu’ils soient dans le monde à se rassembler devant les délégations, les bureaux de l’OLP dans les différentes villes à travers le monde et à siéger devant ces lieux jusqu’à ce que nos revendications soient atteintes. Voilà les appels pour les Palestiniens vivant à l’étranger. Et bien sûr, si des internationaux veulent se joindre à eux, nous nous en félicitons. Concernant les Américains, je veux insister sur une chose dite par Henry Thorough. Ce qui importe, c’est qu’on ne commette pas des actions qu’on condamne par ailleurs. J’entends par là que nous ne demandons pas tant l’aide de l’Occident, mais de mettre fin à des choses néfastes. Et j’entends par là l’aide à Israël, surtout celle des Américains.

Les Américains continuent à accorder trente pour cent de son aide internationale à Israël. En majorité, il s’agit d’aide militaire.On constate que le Congrès n’a pas coupé ces crédits en faveur d’autres types d’aides internationales plus utiles. Israël est un pays très puissant et il utilise son aide des États-Unis nous annihiler. Voici donc une demande très claire pour les Américains que je sais attachés à la liberté, à la justice, au droit de rechercher le bonheur. Stop à l’octroi de l’aide à Israël. Il faut soutenir le mouvement Boycott, Désinvestissement Sanctions jusqu’à ce qu’Israël comprenne que son action est moralement corrompue. La dernière et troisième chose que nous demandons, et c’est très important pour les gens qui écoutent en ce moment : nous avons besoin de la couverture des journalistes. Notre mouvement ne sera pas capable de survivre si nous sommes censurés et s’il n’y a aucune couverture médiatique. J’en ai fait l’expérience à de multiples reprises, au cours des manifestations dans les villages autour de Ramallah : quand il y a des caméras, les soldats israéliens ont peur de nous frapper et de nous tirer dessus. Nous avons donc besoin de votre caméra, de votre attention le 15 mars.

Ismail : Oui, c’est un aspect incroyable que nous avons vu en Egypte et en Tunisie, et maintenant on voit en Libye presque le contraire. La présence de la presse internationale a été la clé de la fin des régimes Moubarak et Ben Ali, en un certain sens. Avez-vous le sentiment que la presse se déplacera ? Je sais que vous n’aimez pas faire des prédictions, de peur de les voir déçues, mais avez-vous une idée du nombre de manifestants pour le 15 mars ?

Fajr : Difficile de parler de chiffres, mais je pense que ce sera des milliers. Peut-être des dizaines de milliers, notamment à Ramallah et d’autres villes, à Gaza aussi. Et c’est assez nouveau que beaucoup de gens manifestent. Nous savons que les jeunes viendront, des partis politiques ainsi que la société civile également, ils sont tous occupés à la préparation de leur présence le 15 Mars, dans la solidarité, en exigeant que leurs dirigeants changent de cap.

Lina : Je voudrais faire un commentaire sur la question de la couverture médiatique. Je dirais que, dans la bande de Gaza, elle va être différente, parce qu’il y a toujours un certain type d’approche pour le Hamas, à partir d’un point de vue hors du contexte. Je crains que dans les médias, on dise que les gens se retournent contre le Hamas, mais ils ne vont pas se concentrer sur l’essence réelle de ces manifestations, qui est l’appel à l’unité à la fois pour le Hamas et le Fatah. Je crois que parfois les médias occidentaux, en particulier les grands médias, on déforme le message. Oui, l’Occident est le bienvenu ici pour couvrir ces manifestations, mais ils doivent mettre les choses dans le contexte et tenir compte du fait que ces manifestations sont destinées à rapprocher les deux parties et non pas pour renforcer de la division.

Ismail : Oui, Lina, c’est un aspect très intéressant. Ceci nous amène à notre prochaine question. De nombreux commentateurs aux Etats-Unis ont fait remarquer que, quand on parle de la Palestine par rapport aux manifestations qui se passent dans le monde arabe, il est beaucoup plus facile pour la presse américaine de soutenir les révoltes arabes contre les autocrates arabes. Le défi particulier pour les Palestiniens est d’obtenirle même genre d’attention, de la part des médias internationaux aussi, car les choses sont très différentes puisque vous protestez contre l’occupation israélienne. Alors, Fajr et Fadi, comment voulez-vous associer tout cela : à la fois les appels à l’unité, les revendications démocratiques et contre la corruption, une plus grande place des jeunes dans la société et dans la politique palestinienne, mais aussi maintenir l’accent sur ​​ce problème fondamental, l’occupation illégale ?

Fajr : Nous, nous sommes dans la rue pour appeler à l’unité. Et notre cause va bien au-delà de la Cisjordanie et de Gaza, des Palestiniens de 48 (ceux qui résident en Israël) , des Palestiniens de la diaspora et des réfugiés. Il est important pour nous que tous les Palestiniens soient impliqués de nouveau dans la prise de décision. Et ce n’est pas ainsi que ça s’est passé ces dernières années en Cisjordanie et à Gaza. Nous avons deux autorités qui se comportent essentiellement selon leur propre intérêt. Donc, c’est vraiment la question la plus importante pour nous.

Fadi : Bien sûr, en appelant d’abord à la représentation démocratique, au respect du principe "one man, one vote", je pense que nous pourrons obtenir l’attention de l’Occident, avec un regard positif. Mais tu as raison. Si nos manifestations non-violentes débouchent sur l’unité et la représentation démocratique, c’est Israël qui est globalement notre oppresseur principal, c’est le gouvernement qui nous traite plus injustement, et nous ne pouvons pas élire ce gouvernement : je pense qu’il sera beaucoup plus difficile d’obtenir de l’Occident un regard favorable sur nos manifestations. Mais je ne pense pas que ce soit impossible, j’ai constaté des changements considérables en Occident et de sa vision de la région suite aux reportages de Nicholas Kristof dans le Times sur la résistance non-violente palestinienne. Même le Wall Street Journal a consacré des articles à ce sujet. Et nous croyons qu’après avoir été mis à terre, nous nous relèverons. Notre objectif, c’est essayer de changer le système et de rendre plus démocratique notre leadership, de corriger une des plus grandes erreurs qu’il a commises : ils n’ont pas su exprimer fidèlement l’essence de la revendication du peuple palestinien. Ils n’ont pas réussi à montrer au monde que notre cause est la liberté, que notre cause est ​​la justice. En raison de cette échec, l’Occident a une vision négative, liée à l’image présentée par nos dirigeants. Mais à présent, nous nous battons pour modifier cette image, je crois dans la prise de conscience du monde qu’il est moralement justifié d’être aux côtés des personnes qui luttent pour la justice, quelle que soit leur couleur de peau. Et, espérons-le, les changements tunisiens et égyptiens ouvriront la voie pour le changement des mentalités.

Ismail :  Juste un rappel à nos auditeurs, vous pouvez poser vos questions (.......) Voici une question en ligne de Jalal qui demande si les principaux partis politiques palestiniens ont tenté ou tentent d’une certaine manière de se co-opter dans les manifestations du 15 mars. En d’autres termes : détourner la critique peut-être dirigée contre eux en se joignant aux gens et prendre une position qui leur permet de se fondre avec les exigences dont vous êtes parmi les Palestiniens les porteurs essentiels.

Lina : Oui, j’en ai récemment entendu parler, mais je ne pense pas que cela fonctionnera. Je crois que les politiciens de la Cisjordanie et de Gaza tentent de faire des actions préventives afin que la manifestation du 15 paraisse inutile, afin de faire de croire qu’ils agissent. Mais ça ne marchera pas. Je crois qu’il y a des gens qui jouent sur ces présentations afin d’éviter les manifestations. Je pense que les gens vont descendre dans la rue le 15 mars quoi que fassent les partis politiques ou pas. Nous marcherons dans la rue pour l’unité.

Fajr : Je voudrais juste ajouter que certains, la récupération est un instinct. Mais tout cela est aussi une question de survie politique. Vous savez bien la dynamique, la dynamique politique du changement après l’Egypte et la Tunisie, particulièrement l’Egypte. L’Egypte est à la frontière avec Gaza, avec le siège de Gaza , et a joué un rôle majeur au sujet de la réconciliation palestinienne l’année dernière. Donc, avec les évènements d’Egypte, il existe un espace pour l’émergence de quelque chose de neuf. Les partis politiques veulent naturellement de combler ce vide car ils sont toujours présents, et ils ne veulent absolument pas que cet espace vide soit pris par les autres. C’est pourquoi je pense que pour certains, c’est de la co-optation, pour certains c’est de l’ instinct politique.

Ismail : Pourriez-vous commenter aussi la place de l’Egypte qui durant de nombreuses décennies représentait le c ?ur battant du nationalisme arabe ? Evidemment, ceci a changé au cours des trente dernières années et a été remplacé par un régime très corrompu et stagnant qui a été très complice avec la politique américaine au Moyen-Orient, avec les éléments destructeurs de la politique, ainsi qu’avec la politique israélienne. Parlez-nous d’un aspect d’ordre émotionnel peut-être : qu’est-ce que l’Egypte et la révolution en Egypte dans la psyché des Palestiniens,, était-ce le sentiment de quelque chose de restauré dans le monde arabe ?

Lina : Je ne sais pas mais pour moi, la révolution en Egypte a soufflé une nouvelle sensation en moi, qui est quelque chose que je n’ai jamais senti, le sentiment que ça peut arriver. Je pense que la jeunesse égyptienne a brisé l’enfermement mental des jeunes arabes du Moyen-Orient. Place Tahrir, au moment où Moubarak a dit qu’il renonçait à ses pouvoirs, je me suis senti très heureuse. Je n’avais jamais pensé que je pourrais éprouver un tel sentiment de mon vivant, c’est peut-être quelque chose comme la liberté. Je ne sais pas. Je tiens à dire que les Egyptiens, les Tunisiens ont brisé le blocus mental. La barrière de la peur a été brisée par ces personnes. Nous leurs en sommes très reconnaissants, nous admirons ces jeunes d’ Égypte et de Tunisie. A présent, nous essayons de suivre leur exemple.

Fadi : Je suis d’accord avec Lina. Je voudrais juste ajouter que l’Egypte a été (et nous espérons qu’elle redeviendra) le c ?ur battant du monde arabe, pour trois raisons. La première est l’emplacement géographique : au centre du monde arabe. La seconde, c’est que c’est le pays arabe le plus peuplé. La troisième : ses médias, ses films, ses émissions de télévision imprègnent la culture du Moyen-Orient. Mais notre rêve à nous, les Palestiniens comme celui des Arabes du monde entier, est que l’Egypte développe cette révolution, pour aller vers quelque chose comme l’Union Européenne, une Union arabe peut-être, qui nous renforcerait. Lorsque l’Egypte était puissante, elle était puissante parce que Gamal Abdel-Nasser avait ce rêve, cet objectif d’unir le monde arabe. Nous pouvons faire revivre cela, la construction d’une fédération arabe, quelque chose de simplement économique, une union arabe. Nous pouvons nous relever du désespoir, du manque d’éducation et du manque de pouvoir dont le monde arabe a souffert pendant longtemps, et devenir une grande nation, un grand peuple capable d’entrer en concurrence positive avec d’autres pays comme l’Amérique, la Chine et le Brésil. C’est notre rêve. En tant qu’individu qui n’a que vingt ans, j’espère voir cela quand j’en aurai quarante, cinquante, soixante.

Ismaïl : Vous avez parlé longuement et de façon très éloquente de la manière avec laquelle l’Egypte vous a influencés et vous a inspiré émotionnellement, intellectuellement, et tactiquement. Mais pour de nombreux observateurs et en particulier ceux qui ont suivi la Palestine, qui sont immergés dans le monde arabe, je pense que le spectacle des protestations en Egypte et en Tunisie, avec des jeunes qui lançaient des pierres sur les policiers et les soldats et ces manifestations massives, cela a rappelé des images de la première Intifada, et même les éléments de la deuxième Intifada. Avez-vous ressenti un sentiment de fierté non seulement en qu’Arabe, mais aussi comme Palestinien, en ce que dans une certaine mesure, ces jeunes ont eu des inspirations trouvées auprès de tout ce qui circulait concernant les Palestiniens depuis des années ? L’image emblématique de jeunes palestiniens lançant des pierres est gravée dans l’esprit de nombreux Arabes, ainsi que de nombreuses personnes à travers le monde.

Fajr : Personnellement, j’ai été le plus ému en voyant les gens occupant la place Tahrir jour après jour, exigeant le changement. Ce genre d’action pacifique et non-violente a été un puissant message qu’ils ont envoyé au régime. C’est ce qui a le plus d’échos en moi.

Fadi : En plus, ce qui a aussi résonné en moi, c’était voir les femmes égyptiennes dans la bataille. Dans le cas de la Palestine, les femmes ont joué un très important rôle lors de la première Intifada. Je crois que c’était même l’un des premiers cas où les femmes sont descendues dans la rue pour protester contre l’injustice. Et entendre certaines femmes égyptiennes reprendre des chants et des slogans sur les droits des femmes, au sujet de la lutte contre l’injustice, copiés de l’Intifada palestinienne, ça m’a vraiment impressionné. Est-ce que nous allons nous unir tous ensemble et parvenir à une nation, frères et s ?urs indépendamment du fait que nous vivons au Caire, à Ramallah ou à Gaza ? C’est en train de se produire, nous allons déteindre les uns sur les autres, nous influencer mutuellement. Les influences positives, notamment la participation croissante des femmes aux contestations, c’est quelque chose dont nous sommes très fiers.

Lina : Parmi les images qui m’ont le plus touchée, c’est de percevoir que les Egyptiens étaient comme les Palestiniens lorsqu’ils portaient un martyr sur leurs épaules. J’ai ressenti à ce moment-là l’unité des Egyptiens et des Palestiniens. En voyant ces images, j’avais l’impression que cela se passait en Palestine, pas en Egypte. Avant, nous ressentions cette unité avec nos frères en Tunisie et l’Egypte. Mais ces images en provenance d’Égypte ont apporté un sens à cette nation, la nation arabe. Oui, cette image du martyr porté sur les épaules, illustrant des similitudes entre les Egyptiens et les Palestiniens, était très frappante.

Ismail : Nous allons bientôt terminer, (....) Voici une question par internet que j’adresse d’abord à nos invités de Cisjordanie . Il s’agit des mouvements non-violents en Cisjordanie. Il existe les comités populaires, notamment à Bil’in et Ni’lin, Budrus, et dans beaucoup, beaucoup d’autres endroits. depuis cinq ou six ans maintenant. Des endroits qui se sont engagés dans un mouvement populaire très bien organisé et enraciné, résolument non-violent, contre le mur de l’apartheid, la barrière de séparation qui a été érigée par les Israéliens. Dans quelle mesure ces données déjà en place et déjà bien enracinées dans les zones rurales, dans quelle mesure cela a-t-il réinvesti dans les manifestations du 15 mars ? Quelles leçons avez-vous tirées de l expérience des Comités populaires, à la fois au sujet de l’occupation israélienne, des manifestations et tactiques non-violentes, et des contacts avec le système politique palestinien ?

Fadi : En ce qui concerne les comités populaires et de leur manifestations non-violentes, cela nous a aidé directement pour la façon d’organiser et d’élaborer des stratégies. Nous n’avons même pas eu besoin de les appeler à l’aide, car ils étaient organiquement partie prenante du mouvement, se cristallisant dans ce mouvement du 15 Mars. Bien sûr nous avons participé à beaucoup de leurs marches et protestations. Au cours des derniers deux ou trois semaines passées, nous avions en tête les images de ce qu’ils ont réalisé, et nous avons fait le point de ce qui n’allait pas et de qui était juste. Nous avons pris la succession de cette stratégie. En quoi la répression du gouvernement israélien sera différente de celle du gouvernement Hamas ? De celle du gouvernement du Fatah en Cisjordanie ? Nous avons réuni les pièces du puzzle, et les six ans d’expérience des comités populaires nous sont extrêmement utiles. Si l’on compare avec une expérimentation scientifique, malgré des expériences qui ont échoué, ce sont des expériences se sont succédées lentement . Et tout à coup, nous pouvons rassembler tout cela dans une grande poussée d’où nous parviendrons à un vrai changement.

Ismail : Je vous remercie, malheureusement, nous devrons conclure cet entretien. (... salutations et remerciements divers ...) . Chers auditeurs, n’hésitez pas à consulter notre site web, à revenir à l’écoute de nos prochaines émissions d’infos. Vous pouvez entrez en contact avec nos correspondants spécialistes qu’ils soient aux Etats-Unis, en Cisjordanie, en Israël ou à Gaza, ainsi qu’avec nos trois invités d’aujourd’hui. N’hésitez pas nous à écrire, info@imeu.net, ou nous contacter via Twitter, twitter @ theIMEU.

IMEU, photos et vidéos des manifestations du 15 mars

10 mars 2011 - IMEU - http://imeu.net/news/article0020596...
Traduction de l’anglais : LG


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.