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La nouvelle gauche israélienne

mercredi 16 mars 2011 - 07h:26

Noam Sheizaf & Joseph Dan

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Quand la route 443, route controversée, qui relie Tel-Aviv avec Jérusalem en passant par la Cisjordanie, commence à tourner vers la capitale d’Israël, le regard est inévitablement attiré par une imposante structure grise avec des murs en béton : une partie de la Prison Militaire Ofer. Les banlieusards sont à peine conscients de ce qui a lieu derrière ces murs et ce n’est pas un hasard : le complexe d’Ofer, comprenant une enceinte militaire, la maison d’arrêt et la prison, est justement un de ces nombreux trous noirs qui permettent aux Israéliens de poursuivre leur vie quotidienne, inconscients des réalités quotidiennes de l’occupation.

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Manifestation hebdomadaire à Bi’lin contre le mur d’Apartheid

À l’intérieur, un homme maintenu par des chaînes pénètre dans la salle d’audience. Il porte un vêtement brun de prisonnier et ses yeux fatigués échangent des regards avec sa femme. Les deux ne se sont pas rencontrés en dehors de la salle de tribunal depuis plus d’un an, et pour une raison obscure, les gardes de prison font déplacer frénétiquement la femme afin qu’elle ne soit pas assise trop près de son mari, qui, officiellement, est "un risque de sécurité." Bientôt le juge militaire, revêtu de l’uniforme vert-clair des IDF ("Forces de Défense d’Israël") et d’un béret de l’armée, entre dans la pièce et commence la procédure.
Ce procès pourrait être n’importe lequel des milliers d’autres qui ont eu lieu à Ofer. La justice militaire israélienne est rapide et à toute épreuve : selon l’organisation de droits de l’homme israélienne Yesh Din, le taux de condamnation à Ofer atteint un étonnant pourcentage : 99,7%. Les auditions sont courtes et sauf les parents qui utilisent l’occasion pour voir leurs être chers, personne ne se donne la peine de suivre les audiences ou de faire un rapport sur la procédure. Mais aujourd’hui, c’est différent. La petite salle de tribunal est pleine, avec la présence d’une vingtaine de diplomates européens, le Consul général britannique, Monsieur Vincent Fean, ainsi qu’une poignée d’Israéliens qui sont devenus des proches du prisonnier au cours d’années d’action commune.

Le prisonnier, Abdallah Abu Rahmah, un instituteur de 39 ans et père de trois enfants , a déjà été reconnu coupable et a déjà purgé une peine pour "incitation et organisation de protestations illégales" dans le village de Bil’in en Cisjordanie . Mais sur appel du procureur, le juge a ordonné qu’il soit maintenu en prison. Abu Rahmah devant être condamné ensuite à six mois supplémentaires de prison.

Ce n’était pas seulement l’amitié qui a amené les Israéliens à Ofer. Ils voient l’affaire contre Abu Rahmah comme un élément d’un nouvel effort pour écraser la résistance nonviolente dans la Cisjordanie. Pour eux, Abu Rahmah n’est pas qu’un militant palestinien de plus. En dirigeant les protestations hebdomadaires, pour l’essentiel non-violentes, dans son village contre le "mur de séparation" d’Israël, il est devenu le visage d’un nouveau soulèvement contre l’occupation et un acteur-clé d’une sorte de militantisme qui a uni des Juifs, des Palestiniens et des gens de par le monde, en portant un message d’espoir, quelque chose d’aussi inhabituel et inattendu dans cette partie du monde que les soulèvements récents qui ont renversé des tyrannies arabes. C’est un espoir qui peut même pénétrer à travers les murs rébarbatifs du complexe militaire Ofer.

Vendredi matin à Tel-Aviv. Le Boulevard Rothschild, une artère principale du centre-ville, est rempli de jeunes couples, d’enfants qui jouent et de gens promenant leur chien. Les terrasses des cafés à la mode sont envahis de consommateurs feuilletant les journaux du week-end et discutant des derniers rebondissements de Dancing in the Stars ( un reality-show de la télé).

Quelques rues plus loin, à un coin tranquille, un petit groupe d’Israéliens se rassemblent. Certains d’entre eux portent de petits sacs à dos et des bouteilles d’eau. Deux délivrent les consignes techniques du jour : Combien de participants sont attendus ? Iront-ils dans deux voitures ? Faut-il en prévoir une troisième ? Le reste du groupe attend avec impatience l’arrivée des véhicules : ils vont entreprendre de passer à travers de nombreux "checkpoints" et de franchir le Mur pour pénétrer en Cisjordanie.
Quand les voitures se sont engagées en direction de l’est de Tel-Aviv, on discute à propos des barrages routiers et des itinéraires alternatifs. Un groupe, qui s’est dirigé vers le village palestinien de Nil’in, décide de prendre un itinéraire plus long , contournant l’entrée principale du village, où l’on sait qu’une jeep de patrouille militaire est postée. En route pour Bil’in, le village voisin, Gil (certains noms sont modifiés pour protéger les militants des poursuites), prend la route habituelle. "Si nous sommes arrêtés," explique-t-il aux passagers, "dites que nous sommes en route pour la bar-mitsva de Cohen dans la colonie de Nilli, ça marche chaque semaine." Vingt minutes après avoir quitté Tel-Aviv , Gil quitte la route principale à une intersection non indiquée. Ils sont maintenant en Territoires Palestiniens, un endroit visité par peu d’Israéliens, excepté des colons et des soldats. Sur un grand panneau de signalisation, on lit en hébreu : "Israéliens, attention ! Si vous êtes arrivés jusqu’ici, vous est sur la mauvaise voie !"

Pour la plupart de la population juive en Israël, ces militants ont pris la mauvaise direction depuis longtemps. Il y a près d’une décennie, depuis qu’une poignée d’entre eux a commencé à prendre part à des manifestations palestiniennes non-violentes contre l’occupation. Leur nombre n’a cessé d’augmenter, comme n’a cessé de croître l’hostilité de l’opinion majoritaire israélienne. Leurs actions sont considérées comme une violation des anciennes manières de la gauche sioniste, qui, dans l’ensemble, préfère les rassemblements à Tel-Aviv et à Jérusalem, en présence d’une foule à majorité juive et organisés avec l’approbation et la protection de la police . Ces rassemblements ciblent la politique du gouvernement et les colons d’extrême droite. Mais les méthodes de cette race de jeunes militants, qui impliquent de protester aux côtés des Palestiniens et de se confronter aux FDI ("Tsahal"), qui demeurent la plus sacrée des institutions israéliennes, sont considérées par la plupart des Israéliens comme le viol d’un tabou,rien de moins qu’une trahison.

Contrairement aux rassemblements pour la paix israéliens, les manifestations en Cisjordanie sont dirigés par les Palestiniens. Les participants juifs arrivent à l’invitation des comités locaux palestiniens, et ils doivent accepter les choix politiques et tactiques de la direction locale. Bien qu’il y ait coordination, ce sont les Palestiniens qui déterminent le cours de l’action et le niveau de confrontation avec l’armée. Les Israéliens se considèrent comme des invités.

"La lutte commune nous montre une façon pour nous de soutenir les Palestiniens, sans les réduire au silence et de s’approprier leurs souffrances", dit Ayala Shani, un militant de longue date qui participe régulièrement aux protestations. "Cela signifie que les Palestiniens mènent leur propre combat pour la liberté, et que les Israéliens ont la possibilité de lutter à leurs côtés dans la solidarité."

En vertu de la loi militaire israélienne, il est interdit aux Palestiniens de manifester contre l’occupation sans autorisation spéciale, qui ne sont presque jamais demandées : en partie par question de principe, mais aussi parce qu’elles ne sont presque jamais accordées. Les manifestations nonviolentes font généralement l’objet de réponses brutales, entre autres avec des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc et même des balles réelles. Depuis 2005, vingt et un Palestiniens ont été tués dans ces manifestations, dont dix de moins de 18, il y a eu des milliers de blessés. Des Israéliens et des solidaires internationaux ont été blessés aussi, mais jusqu’à présent, aucun juif israélien n’a été tué. Les manifestants israéliens affirment que leur présence contraint l’armée à la retenue et aide à l’attention des médias. Beaucoup de Palestiniens sont d’accord, et au fil des ans, ils en sont venus à considérer les militants israéliens en tant que partenaires.

"La participation des Israéliens dans les manifestations, malheureusement, fait une différence », explique Jonathan Pollak, l’un des premiers militants à prendre part à des manifestations et maintenant responsable-médias pour la Coordination de la lutte du Comité populaire, une organisation palestinienne de regroupement des comités locaux (pour en savoir plus sur Pollak, voir l’interview de Rebecca Vilkomerson avec lui-en anglais). "Cela fait une différence en raison de la nature raciste de notre situation.Les règles d’ouverture du feu, par exemple, sont beaucoup plus strictes, officiellement, lorsque les Israéliens sont présents. Il est toutefois important de se rappeler que nous ne sommes pas beaucoup plus qu’une note marginale dans le mouvement, et que ce sont les Palestiniens qui sont en son centre.

« Les gens sont souvent fascinés par le fait qu’une poignée d’Israéliens franchissent les lignes de cette façon. Mais actuellement, c’est ce que nous sommes vraiment, une poignée, et la vraie question, à mon avis, est, comment se fait-il que si peu de gens le fasse ? La réponse est triste, c’est que la plupart des Israéliens s’en fichent. Pour la plupart des Israéliens, les Palestiniens n’ont tout simplement pas d’existence réelle »(Quelques jours après que nous ayons interrogé Pollak pour cet article, il a été déclaré coupable d’avoir participé à une manifestation illégale à Tel Aviv contre le blocus de Gaza. Dès qu’il a été libéré de prison, il rejoint les manifestations de solidarité en Cisjordanie.)

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Une fois les checkpoints derrière eux, les Israéliens roulent à travers des villages palestiniens durant la dernière partie de leur voyage. " Il y a cinq ans, ici, des pierres étaient jetées lancées sur les voitures israéliennes. Même nous avons été visés à plusieurs reprises, "dit Gil. Maintenant les gens lancent des bonjour. Gil se gare dans le centre de Bil’in. Quelques dizaines de solidaires internationaux sont déjà là, certains d’entre eux achètent des boissons et des falafel.

Les militants israéliens, la plupart d’entre eux membres d’un groupe appelé "Anarchistes Contre le Mur" , échangent des salutations avec des Palestiniens et discutent des dernières nouvelles.Comme les territoires palestiniens sont pratiquement encerclés par Israël, les solidaires israéliens effectuent toutes sortes de tâches pour leurs partenaires palestiniens : achat de médicaments délivrés sur ordonnance si nécessaire, maintenance des caméras vidéo utilisée pour filmer les rassemblements, et même le transport de caisses de courgettes bio cultivées par un fermier local pour un des restaurants à la mode de Tel-Aviv. Certains des Israéliens ont appris l’arabe pour mieux communiquer avec leurs partenaires de lutte.

Après quelque temps, un des Palestiniens locaux réunit les Israéliens et les internationaux et explique les raisons de la manifestation, remerciant chacun pour sa venue. Ensuite, un militant israélien fournit un briefing plus technique : comment faire face aux gaz lacrymogènes, comment éviter les blessures, que dire si vous êtes attrapés par les soldats. "N’ayez pas peur d’être arrêté," dit-il à ses auditeurs, certains d’entre eux étant des débutants et visiblement nerveux. "Assurez-vous que quelqu’un sait où vous êtes. Vous serez probablement libérés dans quelques heures. Seuls les Palestiniens sont gardés en prison durant de longues périodes.

Après le briefing, les Palestiniens emmènent les Israéliens et les internationaux à la lisière du village, un plus grand nombre de protestataires les rejoint en chemin. A un petit kilomètre, se trouve en bas de la route la "barrière de sécurité", derrière laquelle on aperçoit une vingtaine de soldats. Alors que les protestataires approchent, les soldats accourent à une porte de la barrière, bloquent le passage , tandis que les manifestant lancent "Viva la Palestine !", "Free Palestine !". Ils brandissent des pancartes en hébreu, arabe et anglais, exigeant la fin de l’occupation.

Finalement, les deux camps font halte des deux côtés , séparés seulement par quelques mètres. Itzik, un militant israélien qui participe aux manifestations depuis cinq ans, arbore un drapeau palestinien. Comme certains des autres protestataires expérimentés de Bil’in, il porte des lunettes pour protéger ses yeux du gaz lacrymogène. Un autre militant israélien interpelle les soldats en hébreu : "Vous n’avez rien à faire ici ! Quittez la terre de ce village !" . "Vous violez les ordres : ici c’est zone militaire fermée," réplique un officier d’armée. "Si vous ne partez pas, vous et vos amis seront arrêtés." "J’ai été invité ici par les gens de ce village. C’est vous qui l’envahissez !" répond-on.

Après une demi-heure de surplace et de slogans, quelqu’un lance une pierre. Comme s’ils attendaient ce moment, les soldats répliquent immédiatement. Des gaz lacrymogènes et des grenades incapacitantes sont tirés sur les protestataires. Une retraite désorganisée s’élance au pas de course. De retour aux abords du village, les manifestants se regroupent et tentent de marcher de nouveau vers la clôture. Cette fois, les soldats tirent les gaz lacrymogènes avant que les militants puissent se rapprocher. Sur les côtés de la route, entre les oliviers, des adolescents palestiniens -les Shabab , comme on les appelle en arabe- continuent de lancer des pierres et des tireurs d’élite des FDI ripostent avec des tirs de balles enrobées de caoutchouc, qui peuvent être mortelles. Peu à peu, l’affrontement commence à prendre le caractère d’un rituel, avec de chaque côté, mise à l’épreuve, patience et résistance. Mais c’est un jeu mortel : en décembre dernier, Jawaher Abu-Rahma s’est effondrée lors d’une manifestation après avoir inhalé des quantités massives de gaz lacrymogène. Elle a été transportée à l’hôpital de Ramallah, où elle mourut le lendemain matin. Ce fut une année et demi après son frère, Bassam, qui a été tué quand un soldat lui a tiré une grenade lacrymogène dans la poitrine, également lors d’une manifestation nonviolente.

Au même moment que la manifestation de Bil’in, des dizaines de Palestiniens et quelques Israéliens s’avancent vers le mur de séparation à Nil’in. Des manifestations hebdomadaires ont également lieu dans Nabi Saleh, al Mas’ara, Beit Umar, Hébron, Burin, plusieurs villages dans les collines du sud d’Hébron et à Walaja, juste au sud des nouvelles frontières municipales de Jérusalem . Walaja est sur le point d’être complètement entourée par le mur, laissant seulement une porte étroite dans ce qui deviendra une prison à ciel ouvert pour ses 2 000 habitants. Des dizaines d’Israéliens et de Palestiniens ont été arrêtés alors qu’ils tentaient de gêner la construction du mur à cet endroit.

Beaucoup de ces agglomérations n’ont pas vu de manifestations prolongée, à grande échelle contre l’occupation, depuis la première Intifada, qui s’est déclenchée au début des années 1990. (La Seconde Intifada a commencé en octobre 2000 avec des protestations non armées aux points de contrôle israéliens, mais après que des dizaines de Palestiniens ont été tués par la massive puissance de feu israélienne, elle a progressivement pris la forme d’une lutte armée effectuée par des petites cellules de militants et a visé des soldats israéliens, des colons et des civils. Israël, utilisant toute sa puissance militaire, l’a finalement écrasée et la violence a fait des milliers victimes dans les deux sociétés, approfondissant l’hostilité entre Israéliens et Palestiniens et portant un coup presque fatal à la gauche israélienne.)

"En fait, la gauche israélienne ne s’est jamais remise de l’assassinat de Rabin en 1995", dit l’ancien président de la Knesset Avraham Burg. « Après, Ehud Barak est arrivé et a présenté son échec personnel à Camp David [en 2000] comme l’échec de tout le processus de paix. Lorsque le leader du camp de la paix a déclaré qu’il n’y avait pas de partenaire de l’autre côté, il a ouvert la porte à l’unilatéralisme. " Burg, le fils de l’un des légendaires chefs religieux d’Israël, a été une voix importante dans la gauche israélienne pendant les années 1980 et années 90, un membre de La Paix Maintenant et l’un des leaders du Parti Travailliste. Depuis sa retraite de la Knesset en 2003, sa critique du sionisme libéral et de son caractère exclusivement juif s’est aggravée. Récemment, il a appelé les Juifs israéliens à explorer d’autres récits historiques et modèles politiques. « Il y avait quelque chose d’unilatéral dans le sionisme, dès le début, mais il est devenu la seule voie après Camp David », dit Burg. « Nous avons construit le Mur de façon unilatérale, et nous avons quitté Gaza unilatéralement. Barak nous ramène à l’époque de Golda Meir, qui niait l’existence du peuple palestinien. Dans le même temps, la fermeture de la Cisjordanie par Israël, commencée dans le début des années 1990 et considérablement renforcée avec la seconde Intifada et la construction du mur de séparation une décennie plus tard, a mis un terme aux contacts directs et quotidiens, en grande partie commerciaux, qui était commun entre les palestiniens et les civils israéliens.
Aujourd’hui, la plupart des Israéliens ne vont jamais en Cisjordanie, sauf dans le cadre de leur service militaire ou uniquement sur ​​des routes de contournement pour les colons, alors que la nouvelle génération de Palestiniens ne connaît les Israéliens seulement qu’en tant que soldats en uniforme ou en tant que colons."

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La lutte commune présente une nouvelle direction pour les Israéliens et les Palestiniens. Bien que la plupart des Palestiniens accueillent tout type de soutien à leur cause, peu nombreux sont les Israéliens qui choisissent de prendre cette voie, mais pour ceux qui le font, cela change la vie. "Le simple fait d’être là, derrière des murs et des checkpoints, est subversif en soi", dit Adar Grayevsky, 28 ans, un militant israélien de Tel Aviv. "L’idée d’Israël repose sur la séparation, et l’idée que nous pouvons briser cette séparation entre nous et la Cisjordanie est puissante et nouvelle."

"Sans nos partenaires, nous n’aurions pas réussi des choses comme la reconnaissance internationale de Bil’in comme lieu symbole de la non-violence palestinienne, ou la décision de Cour Suprême qui a ordonné la restitution de certains terrains au village," dit docteur Rateb Abu Rahmah, le frère d’Abdallah Abu Rahmah emprisonné. "Les activistes israéliens et les internationaux ont été avec nous dès les premiers jours. Beaucoup de militants israéliens ont été arrêtés et blessés. Nous avons vu que ceux-ci sont des vrais partenaires avec nous contre le Mur et les colonies. Il y a même des Israéliens qui logent dans nos maisons à cause des raids nocturnes des FDI. Notre lutte est un triangle avec les Palestiniens, les militants israéliens et les militants internationaux. Sans ces trois piliers du soutien, nous ne réussirions pas."

"Il faut beaucoup de courage pour aller à ces protestations," dit Avraham Burg. "Je vois un vrai dévouement, même de la sainteté, chez ces jeunes. A Bil’in on peut en réalité vous blesser, même vous tuer. A l’époque de La Paix Maintenant, aucun de nous n’a pensé que nous finirions en prison."

Les protestations commencent d’habitude sur la question des confiscations de terre - dans la plupart des cas, les terres cultivées sont saisies pour la construction du Mur, qui pénètre profondément dans le territoire palestinien, passant par des terrains privés, des villages et même des quartiers. Dans quelques cas, il y a des ordres de démolition de maisons ou des réquisitions de terre pour les colonies voisines.

Pour les organisateurs, les manifestations concernent les droits civils et humains des Palestiniens vivant sous occupation. Ils ne s’occupent pas des négociations politiques périodiques entre l’Autorité palestinienne et Israël, mais se concentrent sur les moyens d’existence des gens ordinaires. Lorsque les dirigeants locaux veulent impliquer les Israéliens dans la protestation, ils s’adressent généralement aux "Anarchistes contre le Mur" ("Anarchits Against The Wall") . Le terme « anarchiste » est quelque peu trompeur : bien que certains membres d’ AATW suivent l’idéologie anarchiste, dans la pratique, le groupe met l’accent sur l’occupation et les violations des droits humains des Palestiniens. AATW, qui comprend quelques dizaines de militants et un cercle de soutien un peu plus important de non-membres qui participent occasionnellement à des manifestations, n’a pas de plate-forme politique. Ils se considèrent comme un collectif qui pense que leur statut privilégié en tant que Juifs israéliens devrait être utilisé pour aider les mouvements de résistance palestiniens non armés. Bien qu’il semble que la plupart des membres de AATW soutienne la campagne internationale "Boycott, Désinvestissement Sanctions /BDS", et une solution au conflit avec un seul Etat , le groupe n’a jamais pris position sur ces questions, et ne prend pas non plus position sur la politique électorale israélienne .

"Je ne m’occupe pas de la réflexion sur un ou deux Etats", explique Ronnie Barkan, un participant aux manifestations depuis 2003. "Je m’occupe de droits de l’homme. Je n’ai aucun intérêt pour le nationalisme ou le patriotisme, pas même le nationalisme palestinien. J’apprends à être dirigé et à essayer de ne pas diriger. "

AATW a été fondé lorsque les premières parties du mur ont été construites, au moment de la deuxième Intifada, où la violence et les tensions étaient fortes. Les militants ont été arrêtés à plusieurs reprises et certains ont été blessés. Il leur a fallu un certain temps pour gagner la confiance des Palestiniens. "Certains se sont inquiétés, et pour de bonnes raisons, se demandant si nous étions du Shin Bet (l’Agence de sécurité intérieure d’Israël)," se souvient Pollak. "Je me souviens d’une manif dans laquelle j’ai été pris à part et fouillé par les Shabab.

Avec le temps, quand ils nous ont vu au coude à coude avec eux, et surtout quand ils ont vu comment l’armée israélienne nous traitait, plus de confiance a été acquise. " Récemment, certains ont été convoqués par le Shin Bet pour des séances de mises en garde. Des manifestants israéliens ont été blessés mais aucune comparaison avec le traitement beaucoup plus sévère et les mesures couramment infligés aux Palestiniens. Les anarchistes se réfèrent souvent à leur statut privilégié, qui semble augmenter leur envie d’agir.

Les Palestiniens continuent de débattre de l’utilité de la coopération avec les Israéliens (certains prétendent que, même si les Israéliens veulent du bien, travailler avec eux légitime Israël en fin de compte, mais dans les villages où des manifestations conjointes ont lieu, l’esprit de coopération est évident. Au cours de manifestations, il est fréquent de voir des Palestiniens cacher des militants israéliens de la vue des soldats. Les Palestiniens accueillent les militants israéliens et internationaux dans leurs maisons.

Le moment-clé s’est produit quand les protestations ont éclaté en 2003 à Budrus, à l’ouest de Ramallah. Le parcours prévu pour le Mur aurait abouti à la perte de 16 hectares des terres cultivées du village, cruciales à sa survie. Alors que des bulldozers israéliens commençaient à détruire les antiques oliviers, des habitants de Budrus ont organisé une série de manifestations non violentes, renouant avec une longue tradition palestinienne de résistance passive et de protestation populaire. Cela a mené à la formation d’un comité de responsables de village, qui ont décidé d’inviter des activistes d’AATW.

De 2003 à 2005, des dizaines d’Israéliens et des internationaux ont rejoint les manifestations de Budrus et les villages environnants. Malgré la réponse féroce des FDI, avec l’utilisation de balles réelles, les raids nocturnes sur les villages et les couvre-feu, les protestations se sont renforcées. Finalement, l’armée israélienne a décidé de proposer un parcours différent pour le mur de séparation, qui n’annexe pas les terres agricoles de Budrus. La lutte populaire commune emportait sa première victoire.

Le modèle de Budrus s’est étendu à d’autres villages de Cisjordanie. Le plus connu d’entre eux, Bil’in, qui a perdu la plupart de ses terres en raison de la construction du Mur et d’une colonie israélienne à proximité, est devenu un symbole de la résistance populaire à travers le monde. Plus de 300 manifestations y ont eu lieu à ce jour, chaque vendredi depuis six ans.

Des milliers d’Israéliens, les Palestiniens, les soutiens internationaux, dont l’ancien président américain Jimmy Carter, le petit-fils du Mahatma Gandhi, Desmond Tutu et Naomi Klein, collaboratrice de The Nation, ont participé aux manifestations. L’Union Européenne a officiellement reconnu Abdallah Abu Rahma, le leader palestinien emprisonné, comme un "défenseur des droits de l’homme", pour son rôle dans l’organisation des manifestations, a envoyé des représentants à tous ses procès et a fait pression sur le gouvernement israélien pour sa libération.

Au fil des années, la lutte commune est devenue plus que le choix de quelques-uns. On pourrait même dire que le modèle Budrus-Bil’in commence à avoir un effet sur la politique dans les deux sociétés. La politique israélienne dans la dernière décennie a cherché des moyens pour contenir et isoler les Palestiniens, mais la lutte nonviolente a reçu le soutien populaire, principalement par le biais d’un réseau d’organisations de base créé en relais. La lutte populaire a recentré l’attention sur les difficultés des Palestiniens vivant sous occupation. Faire face à la confiscation de terres, ou être exposé à la brutalité et à l’injustice du système judiciaire militaire, attire l’attention sur les questions fondamentales : l’absence de droits politiques pour des millions de Palestiniens, l’absence de liberté, les violations quotidiennes des droits de l’homme.

L’Autorité Palestinienne a peu à peu compris le potentiel du mouvement. Récemment, l’AP a entrepris ce qui peut ressembler à des tentatives d’assimilation ou d’adoption de certaines de ses méthodes. Des responsables de l’AP sont désormais présents lors de manifestations, le Premier Ministre Salam Fayyad a même participé à celle de Bil’in le jour où Jawaher Abu-Rahma a trouvé la mort. Les tentatives récentes de l’Autorité Palestinienne pour internationaliser le conflit en se tournant vers les Nations Unies font écho à la mobilisation populaire pour rassembler un soutien à leur combat à travers la coopération avec les militants israéliens et internationaux. Dans les deux cas, les responsables locaux sont parvenus à la conclusion qu’il ne peuvent pas affronter Israël avec ses propres armes. Maintenant, l’Autorité palestinienne, le Front Populaire pour la Libération de la Palestine (une faction de gauche de l’OLP) et le Hamas envoient des représentants et interviennent à la Conférence annuelle de Bil’in sur la non-violence. Récemment, Aziz Dweik, un leader du Hamas en Cisjordanie, a déclaré : "Lorsque nous avons recours à la violence, nous aidons Israël à gagner le soutien international .... La Flottille de la Liberté a fait plus pour la bande de Gaza que 10.000 roquettes."

Cependant, la résistance non-violente demeure fondamentalement une entreprise de la base et indépendante, et dans les conversations "off-the-record", ses principaux militants se méfient des hauts fonctionnaires palestiniens et des politiciens. Les récentes manifestations de solidarité avec la révolution en Egypte et en Tunisie ont été soigneusement contrôlées et parfois interdites par l’Autorité Palestinienne, de peur que la résistance de masse non-violente en Cisjordanie puisse concerner la direction de l’AP elle-même. Tandis que les militants urbains palestiniens à Ramallah et à Hébron se projettent dans la solidarité avec des villages comme Bil’in et Nabi Saleh, le modèle de la résistance non-violente ne s’est pas propagé à travers les villes de la Cisjordanie en partie à cause des craintes de l’AP de perdre son contrôle.

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Les protestations populaires ont également eu un effet subtil encore unique sur la scène israélienne, tant en proposant un nouveau modèle de mobilisation pour une nouvelle génération de militants et en attirant l’attention sur les souffrances des Palestiniens. Ces dernières semaines, des figures notables de la société d’Israël ont demandé le déplacement de la "barrière de sécurité" près de Bil’in, et l’expert de droite Ben-Dror Yemini l’a qualifié de "honte" dans sa chronique hebdomadaire du quotidien Ma ’ ariv . La semaine après la mort de Jawaher Abu-Rahma, plus de 200 Israéliens ont participé à la manifestation de Bil’in, y compris des représentants du parti sioniste de gauche Meretz et des mouvements pacifistes tels que Combatants for Peace.
La mobilisation a certainement ravivé les éléments de la gauche israélienne. Depuis 2009, le modèle de la lutte commune a été utilisé avec grand succès à Jérusalem, après que la police de la ville a commencé l’exécution des ordonnances d’expulsion des familles palestiniennes dans le quartier de Sheikh Jarrah, au nord de la Vieille Ville.

En effet, alors que les colons religieux, financés par une organisation d’extrême-droite ayant des connexions profondes aux États-Unis, se sont emparés de maisons palestiniennes, certains Israéliens de gauche ont rejoint les protestations. Certains d’entre eux, ont même monté la garde 24h sur 24 et dormi avec les familles palestiniennes afin qu’ils puissent dénoncer le harcèlement des colons et être présents en cas de nouvelles expulsions. Finalement, une série de manifestations du vendredi, dans la tradition des manifestations en Cisjordanie, a été créée.

Tout au long de l’hiver 2009-10, les anarchistes et d’autres militants ont été arrêtés en grand nombre à Sheikh Jarrah. Cela, et l’emplacement central de la manifestation, a attiré l’attention des médias. Rapidement, des centaines d’Israéliens ont protesté chaque semaine, ils étaient nombreux à venir en bus de Tel Aviv, Haïfa et Beersheva.

Comme les manifestations de Sheikh Jarrah se sont amplifiées, les représentants de la vieille gauche sioniste ont commencé à apparaître, des membres de la Knesset du Meretz, des dirigeants de La Paix Maintenant et des personnalités comme l’écrivain David Grossman et l’ancien procureur-général Michael Ben Yair. Sheikh Jarrah a rouvert le débat sur l’avenir israélien de Jérusalem et a présenté un défi tant pour le maire pro-colons de la ville que pour le gouvernement israélien. Pour la première fois au cours des années, les Israéliens ont dû discuter en termes très concrets le principe de la partition de Jérusalem. Un groupe d’avocats a demandé au gouvernement de confisquer les immeubles des colons à Sheikh Jarrah et de les restituer aux Palestiniens (malheureusement, la municipalité a des idées différentes : récemment, elle a commencé les préparatifs pour la construction d’un projet de logements juifs sur le site de l’ancien Hôtel Shepherd ).

Les manifestations ont amené à la création d’un groupe juif appelé Solidarité Sheikh Jarrah, qui ces derniers mois a appuyé des manifestations dans d’autres quartiers de Jérusalem où les colons ont saisi des biens palestiniens. La solidarité a aussi donné lieu à des rassemblements dans Israël proprement dit, y compris pour le soutien à un village palestinien non reconnu non loin de Tel Aviv, et contre la destruction répétée et l’évacuation des villages bédouins non reconnus El-Araqib, dans le sud du désert du Néguev, près de Beersheva. (Il existe des dizaines de villages "non reconnus" dans les communautés israélo-palestiniennes dont les habitants n’ont pas été expulsés durant la guerre de 1948, car le gouvernement israélien refuse de reconnaître comme légitimes leurs municipalités, les privant ainsi des services publics de base comme l’eau, assainissement, électricité, liaisons de transport, etc)

"Nous allons dans des endroits où l’occupation et l’expulsion se passent effectivement, et nous le faisons en concertation avec la communauté locale", explique Avner Inbar, un militant de la solidarité Sheikh Jarrah. "Nous ne sommes pas intéressés par de grands rassemblements à Tel Aviv, où les Juifs restent entre eux et disent que l’occupation est mauvaise. Nous voulons lutter contre le racisme et la discrimination, là où ils se produisent. Cet effort commun, en collaboration avec les collectivités locales palestiniennes, est quelque chose de nouveau pour toutes les personnes impliquées , et pour beaucoup de gens, cela devient une expérience transformatrice. "

"Le sens du sionisme en Israël aujourd’hui est d’être juif et non arabe", dit l’ancien Président Burg, qui participe à la protestation à Sheikh Jarrah régulièrement. "Dans ce contexte, la gauche ne peut pas continuer à se nommer sioniste. Nous devrions nous demander si de nos jours, l’humanisme n’est pas en contradiction avec le sionisme . Nous devrions aller au-delà de la démocratie ethnique et vers une véritable société commune, dans laquelle les Juifs et les Arabes sont réellement égaux. " Inspiré par les manifestations et convaincus de la nécessité d’une nouvelle forme de politique de gauche en Israël, Burg tente de former un parti arabo-juif, mais il n’a pas l’intention de se porter candidat à la Knesset lui-même. "J’en ai fini avec la politique à court terme", dit-il. "Ce qui est important pour moi est de contribuer à créer une nouvelle perspective, pour combler le vide."

Tandis que la solidarité devient un mouvement israélien, opérant dans les villes, les quartiers et les villages à l’intérieur de la Ligne Verte, les Anarchistes contre le Mur demeurent concentrés sur la Cisjordanie. Lors notre dernière visite à une manifestation dans le village de Nabi Saleh, les militants israéliens, toujours les yeux rougis à cause des gaz lacrymogènes, rejoignaient leurs hôtes palestiniens pour un dîner du vendredi soir. Pour beaucoup d’entre eux, ces relations, tissées au cours des années de manifestations, semblent être la vraie récompense de leurs efforts. "Nous ne venons pas manifester parce que nous croyons le changement est proche", explique Ronnie Barkan. "C’est parce que c’est le minimum que nous pouvions faire. C’est aussi simple que cela."

* Noam Sheizaf est un journaliste israélien et blogueur basé à Tel Aviv
* Joseph Dan est un écrivain basé à Jaffa et à Ramallah

10 mars 2011 - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.thenation.com/article/15...
Traduction de l’anglais : LG


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