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Comment les soit-disant gardiens de la liberté d’expression musèlent le messager

mardi 15 mars 2011 - 07h:54

John Pilger

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L’hypocrisie des USA et de la Grande Bretagne qui cherchent
actuellement un prétexte pour envahir un autre pays arabe riche en
pétrole, nous est familière.

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Irak... Commettre des crimes de guerre c’’est bien, les dénoncer est passible de prison à vie, voir de torture et de condamnation à mort

Le colonel Kadhafi est "fou" et "assoiffé
de sang" tandis que les auteurs de l’invasion d’Iraq qui a coûté la
vie à un million d’Iraquiens, ceux-là mêmes qui ont kidnappé et
torturé en notre nom, sont, eux, tout à fait sains d’esprit et pas le
moins du monde assoiffés de sang et s’autoproclament une fois de plus
les arbitres de la "stabilité".

Mais quelque chose a changé. La réalité n’est plus ce que les
puissants décident qu’elle doit être. De toutes les révolutions qui
secouent actuellement la planète, la plus intéressante est
l’insurrection de l’information que Wikileaks a déclenchée. Ce n’est
pas une idée nouvelle. En 1792, le révolutionnaire Tom Paine a alerté
ses lecteurs sur le fait que leur gouvernement pensait "qu’il faut
tromper le peuple et le maintenir dans une ignorance superstitieuse en
brandissant quelque vision cauchemardesque". L’ouvrage "Les droits de
l’homme" de Paine a été considéré comme une telle menace par les
élites au pouvoir qu’elles ont ordonné à un Grand Jury qui délibère à
huis clos de l’accuser d’être " un dangereux conspirateur et un
traître". Il a été assez avisé pour aller se réfugier en France.

La Fondation pour la paix de Sydney a fait référence au calvaire et au
courage de Tom Paine quand elle a remis à Julian Assange la médaille
d’or australienne du prix des droits de d’homme. Comme Paine, Assange
est un non-conformiste qui ne sert aucun système et qui est menacé par
un grand jury qui délibère à huis clos, une instance sinistre à
laquelle la Grande Bretagne a renoncé mais pas les USA. S’il est
extradé aux USA, il peut très bien disparaître dans le monde kafkaïen
qui a engendré le cauchemar de la baie de Guantanamo et qui accuse
maintenant Bradley Manning, la source présumée de Wikileaks, d’avoir
commis un crime passible de la peine de mort.

Si l’appel qu’a fait Assange devant la Cour britannique contre son
extradition vers la Suède devait être rejeté, il serait probablement
enfermé, une fois l’acte d’accusation émis, sans pouvoir communiquer
et sans pouvoir bénéficier de la liberté provisoire sous caution,
jusqu’à son procès à huis clos. L’accusation portée contre lui avait
déjà été considérée comme irrecevable par un procureur respecté et
elle n’a été relancée que lorsqu’un politicien de droite, Claes
Borgstrom, a affirmé en public la "culpabilité" d’Assange. Borgstrom,
un avocat, représente à l’hure actuelle les deux femmes concernées. Il
a comme associé Thomas Bodstrom qui, quand il était le ministre
suédois de la justice en 2001 a été impliqué dans le kidnapping de
deux réfugiés égyptiens innocents par la CIA à l’aéroport de Stokholm.
Plus tard, la Suède a été obligée de leur octroyer des dommages et
intérêts en réparation des tortures qu’ils avaient subies.

Ces faits ont fait l’objet d’un communication au parlement australien
de Canberra le 2 mars. En soulignant que pesait sur Assange la menace
d’une énorme erreur judiciaire, l’expert responsable de l’enquête a
mis en évidence que, selon les standards internationaux de justice, le
comportement de certains officiels suédois pouvait être qualifié de
"hautement inapproprié et répréhensible [et] ne permettrait pas un
juste procès". Un ancien diplomate australien haut placé, Tony Kevin,
a décrit les liens étroits qu’il y avait entre le premier ministre
suédois, Frederic Reinheldt, et la droite républicaine étasunienne.
Selon lui "Reinheldt et [George W. Bush] sont des amis". Reinheldt a
attaqué Assange publiquement et a engagé Karl Rove, l’ancien copain de
Bush, pour le conseiller. Tout cela augure très mal des chances qu’a
Assange d’échapper à une extradition de la Suède vers les USA.

L’enquête australienne a été ignorée en Grande Bretagne où l’on a un
faible pour la farce noire. Le 3 mars, le Guardian a annoncé que
Stephen Spielberg rêvait de réaliser un "film à suspense dans le genre
de "Tous les hommes du Président" à partir du livre "Wikileaks : Inside
Julian Assange’s War on Secrecy" (la guerre intérieure de Julian
Assange contre le secret). J’ai demandé à David Leigh qui avait écrit
le livre avec Luke Harding, combien Spielberg avait payé le Guardian
pour les droits d’auteur et combien il comptait gagner
personnellement. "Je n’en ai pas la moindre idée" m’a répondu, à ma
grande surprise, "le directeur d’enquêtes" du Guardian. Le Guardian
n’a pas donné un sou à Wikileaks pour le trésor de fuites que ce
dernier a trouvé. C’est pourtant Assange et Wikileaks -et pas Leigh ni
Harding- qui sont à l’origine de ce que le directeur du Guardian, Alan
Rusbridger, appelle "un des plus grands scoops journalistiques des 30
dernières années".

Le Guardian ne cache pas qu’il n’a plus besoin d’Assange. C’est un
cowboy solitaire incapable de s’intégrer au monde du Guardian et qui
s’est révélé un négociateur exigeant et insociable. Et courageux. Dans
l’histoire autocentrée que le Guardian écrit dans ses colonnes,
Assange est amputé de son l’extraordinaire courage. Il devient une
personne sans importance qui fait sourire, un "australien bizarre"
dont la mère "a des cheveux crépus" et que le Guardian insulte
gratuitement en le traitant de "sans coeur" et de "personne perturbée"
qui "a des tendances autistiques". Comment Spielberg décrira-t-il
l’assassinat de ce personnage infantile ?

Dans l’émission Panorama de la BBC, Leigh s’est empressé de colporter
des ouï-dire selon lesquels Assange se ficherait de mettre en danger
les gens dont les noms figurent dans les fuites. Par ailleurs Assange
a catégoriquement démenti en les qualifiant de "complètement fausses
dans la lettre et dans l’esprit" les allégations selon lesquelles il
se serait plaint d’une "conspiration juive", allégations qui ont suivi
sur Internet le torrent d’inepties qui en faisait un agent du Mossad.

Il est difficile de décrire, et encore plus d’imaginer, le sentiment
d’isolement et l’impression d’être assiégé que doit avoir Julian
Assange qui d’une manière ou d’une autre paie le prix fort pour avoir
déchiré la façade du pouvoir cupide. Le cancer ici n’est pas l’extrême
droite mais le manque de respect pour la liberté d’expression de ceux
qui en gardent les frontières. Le New York Times est celui qui a le
plus déformé et censuré le matériel de Wikileaks. "Nous allons
remettre tous les câbles à l’administration" a dit Bill Keller, le
directeur. Ils nous ont convaincus qu’il serait sage de retraiter
certaines informations". Dans un article Keller insulte
personnellement Assange. A l’école du journalisme de Columbia, le 3
février, Keller a dit sans détour qu’il serait dangereux de publier
d’autres câbles car cela pouvait causer une "cacophonie". Le
garde-barrière a parlé.

L’héroïque Bradley Manning est obligé de rester nu en pleine lumière
sous l’oeil des caméras des caméras 24 heures sur 24. Grey Barns, le
directeur de l’Alliances des avocats australiens a dit que les
craintes de Julian Assange de "se retrouver dans une prison
étasunienne de haute sécurité et d’y être torturé" étaient fondées.
Qui partagera la responsabilité d’un tel crime ?


Du même auteur :

- Tony Blair doit être mis en état d’arrestation
- Passez une bonne guerre mondiale, braves gens
- Pour Israël, c’est l’heure des comptes
- Grande-Bretagne : Vérité et Guerre, les oubliés des partis politiques
- De Hiroshima à l’Iran
- Boycott d’Israël : un jalon important a été franchi

Le site de John Pilger est : Johnpilger.com

10 mars 2011 - Countercurrents - Pour consulter l’original :
http://countercurrents.org/pilger10...

Traduction : Dominique Muselet


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