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B. Senouci : La Révolution arabe et l’Occident

jeudi 10 mars 2011 - 08h:35

Brahim Senouci

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« Quand des événements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs »

Dans ses relations avec le monde arabe, l’Occident a choisi pendant des décennies de s’appuyer principalement sur des potentats locaux qui, lui devant leur pérennité, étaient censés garantir ses intérêts. Longtemps, cette stratégie s’est avérée payante. Les régimes arabes ont résisté à la déroute de juin 1967, à la mise à sac et au démantèlement de l’Irak, à l’immense injustice faite aux Palestiniens... Aucun de ces événements n’a donné lieu à un soulèvement susceptible de renverser des tyrans incapables de faire usage des muscles dont ils font étalage et dont ils réservent l’usage à leurs populations. Ceux des dictateurs arabes qui ont choisi de ne pas se mettre sous le parapluie de l’Occident ont développé un discours agressif, largement incantatoire, aussi véhément qu’était négligeable leur force réelle. A l’extrême, un Keddafi a utilisé l’arme terroriste et tenté d’accéder à des armements sophistiqués avant, toute honte bue, de prendre le chemin de Canossa, de s’abriter sous la bannière étatsunienne et de servir de garde-chiourme à l’Europe en empêchant par les moyens les plus brutaux l’émigration vers ses côtes. Saddam Hussein, un an après son accession au pouvoir, déclenche une guerre meurtrière contre son voisin iranien, guerre qui s’est soldée par la mort de centaines de milliers d’Iraniens et d’Irakiens. L’Iran était perçu comme une menace depuis le renversement du Shah et l’instauration d’une République Islamique en 1979. L’initiative irakienne était vue d’un bon ?il et soutenue par les principales puissances occidentales. Il faut noter que durant ce conflit, l’Iran était partiellement armé par les États-Unis et par Israël. Tout en condamnant la République islamique et sa rhétorique antiaméricaine et anti-israélienne, ces deux pays ne perdaient pas de vue le danger que constituerait pour eux l’émergence d’une puissance régionale arabe. La première guerre du Golfe devait sonner le glas des ambitions de Saddam. L’abandon de ses rêves de grandeur ne signifia pas pour lui le retrait du pouvoir. Bien au contraire, il n’hésita pas à massacrer son propre peuple pour pouvoir le conserver. Quand il apparut qu’il n’était plus utile à ses anciens alliés occidentaux, son sort fut scellé. Il finit sous une potence et le pays si prometteur de modernité et de progrès qu’il dirigeait plongea dans le chaos et la désolation.

Durant des décennies donc, l’Occident a pu garantir son approvisionnement pétrolier et le contrôle des flux migratoires grâce aux satrapes sanglants qui lui inspiraient autant de mépris qu’ils suscitaient de haine et de peur chez leurs propres peuples. Le fait que ces régimes continuaient de se maintenir en dépit d’une gouvernance de prédation et de gâchis renforçait les gouvernements occidentaux dans l’idée que la situation était figée à tout jamais et qu’il leur suffisait d’un soutien formulé du bout des lèvres pour que rien ne change. Ils ont même réussi à faire avaliser et faire participer l’Égypte au blocus de Gaza. Ils ont poursuivi leur politique de soutien actif à Israël en l’intégrant de plus en plus étroitement à l’Union Européenne, en l’admettant au sein de l’OCDE et en avalisant de fait sa politique de colonisation agressive de la Palestine. Souvenons-nous de l’affront infligé par les États-Unis et Israël à la Ligue Arabe ; cette dernière a proposé au nom de l’ensemble des pays arabes, à trois reprises, un plan de paix reposant sur l’échange de la paix et d’une normalisation totale contre une application édulcorée de la Résolution 242 des Nations Unies. Ce plan n’a même pas été discuté ; il a été écarté d’un revers de main méprisant par Sharon.

Puis vinrent les soulèvements en Tunisie puis en Égypte, qui mirent à bas les dirigeants les plus proches de l’Occident, ceux qu’il donnait en exemple pour leur "modération", fermant les yeux devant les exactions subies par leurs peuples. Les États-Unis connaissaient si bien la réalité de la modération d’un Moubarak qu’ils lui ont adressé, dans le cadre des fameux vols secrets de la CIA, des prisonniers qui devaient être torturés dans les prisons égyptiennes. Les résultats de ces interrogatoires étaient fidèlement acheminés vers Washington.

Il y a la Libye aujourd’hui. En d’autres temps, on aurait pu accuser les pays occidentaux d’avoir fomenté les troubles. Cette accusation ne tient plus ; Kadhafi a en effet été admis il y a quelques années dans le cercle des dirigeants "respectables", depuis qu’il a abandonné ses velléités d’accès à l’arme nucléaire et, surtout, qu’il a payé le prix du sang à ses victimes de Lockerbie. Toujours à contre-emploi, l’Occident se retrouve à attaquer un dirigeant avec qui il a pactisé et à prétendre voler au secours d’un peuple dont il a superbement ignoré les épreuves endurées du fait de son raïs. Les chancelleries occidentales s’interrogent sur la possibilité d’organiser une zone d’exclusion aérienne qui empêcherait Kadhafi de bombarder son peuple..., tout en s’inquiétant de l’afflux d’immigrés à Lampedusa, porte de l’Europe !

Il y a aussi Oman, Bahreïn, le Maroc... L’Algérie constitue un cas particulier. Elle a fait sa révolution il y a 23 ans, trop tôt sans doute, trop seule en tout cas, trop sociale probablement et pas assez politique. Elle s’est traduite par l’équipée sanglante qui a fauché des dizaines de milliers de vies algériennes, massacre dont la mémoire têtue explique l’apparente réticence du peuple à s’impliquer dans un nouveau combat, du moins sous la forme présentée par ses promoteurs de la CNCD. La revendication de démocratie, de dignité, d’accès aux Droits de l’Homme, bien qu’empruntant des chemins différents, court dans l’ensemble du monde arabe et même au-delà. Des dirigeants chinois s’inquiètent du "parfum de jasmin" qu’ils croient déceler dans les rues de Pékin. Un bouillonnement intense court en Afrique et en Asie...

Beaucoup d’observateurs ont justement noté que les manifestations du Caire, Tunis, Manama... n’ont donné lieu à aucun des slogans habituels, hostiles à l’Occident ou à Israël. Pas de drapeau étatsunien, français ou israélien brûlé. C’est là un changement notable de comportement de ce que ces mêmes observateurs appellent de façon méprisante la "rue arabe" et dont ils se félicitent. Ont-ils raison de s’en réjouir ? Voire ! Il ne s’agit pas de bienveillance à l’égard de l’Occident mais d’une émancipation vis-à-vis de lui. En abandonnant toute référence à l’Occident, les peuples ne signifient pas leur ralliement à sa cause mais manifestent de façon éclatante leur nouveau statut d’acteurs de leurs destins. Plus besoin de se chercher des ennemis extérieurs, plus besoin de déverser sa fureur sur des pays nantis complètement indifférents. Le choix aujourd’hui est de se libérer, de se constituer, de créer les conditions de l’accès à la modernité et de l’entrée dans l’Histoire.

"Quand des événements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs". Cet aphorisme de Clémenceau s’applique assez bien aux tentatives de la plupart des pays occidentaux de "garder la main" face à la lame de fond qui secoue le monde arabe et promet de s’étendre à la planète grise, celle qui abrite les 80 % des êtres humains qui n’ont pas voix au chapitre et qui veulent sortir du rôle de pourvoyeurs de main d’ ?uvre et de matières premières à très bon marché. Qu’elles paraissent vaines, ces tentatives de reprendre le contrôle de situations qui leur échappent. Qu’ils sont pathétiques, ces discours humanistes à l’adresse de peuples dont ils ont organisé pendant des siècles l’appauvrissement et la sujétion !

En matière de cécité, la France fait mieux que ses partenaires. A un moment où sa position dans le monde est menacée, ses dirigeants ne trouvent rien de mieux que d’organiser un débat sur l’Islam (en réalité, une mise à l’index des musulmans de France). Des députés de la majorité proposent de remettre les immigrés dans des bateaux et la représentante de l’extrême droite écrase la concurrence de droite et de gauche. Ce sont là des signes qui ne trompent pas. La crispation et l’enfermement, la tentation du retour sur soi (quand le clocher devient l’horizon), marquent le déclin annoncé.

L’Occident n’a pas d’autre solution que de reconnaître que le monde change de façon radicale. Une vieille dame pied-noir m’expliquait un jour que le plus dur pour elle, à son départ pour la France, avait été d’être contrainte à faire la queue aux boulangeries ou aux guichets de poste. Elle avait découvert l’égalité. Il serait temps que l’Occident fasse la même découverte que cette brave dame et qu’il accompagne le mouvement vers ce nouvel ordre mondial plutôt que d’essayer d’en dévier le cours à son avantage. C’est le prix à payer pour continuer d’exister dans un monde apaisé, débarrassé de l’apartheid de fait qui le régit jusqu’à aujourd’hui.

9 mars 2011 - B. Senouci


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