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Le déclin à l’américaine dans un monde nouveau

jeudi 3 mars 2011 - 01h:39

Tom Engelhardt
TomDispatch/Le Grand Soir

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Tandis que le soleil se lève sur le monde Arabe, l’obscurité tombe sur l’Amérique. Dans la pénombre, les États-Unis continuent de jouer les cartes qu’ils se sont distribuées eux-mêmes, parfois en trichant, alors même que les autres joueurs sont en train de quitter la table de jeu. Pendant ce temps, on entend au loin les hurlements. L’heure du festin a sonné et l’odeur du sang plane dans l’air. Alors, gare !

Nous vivons une époque sans précédent de mémoire d’homme, et peut-être dans toute l’histoire. Certes, on peut faire des comparaisons avec la vague de soulèvements populaires dans l’Europe de l’Est lors de l’effondrement de l’Union Soviétique dans les années 89-91. Pour les plus vieux d’entre nous, l’année 1968 vient à l’esprit, ce jaillissement de masses populaires inspirées les unes par les autres qui ont pris d’assaut les rues aux États-Unis, en France, en Allemagne, au Japon, au Mexique, au Brésil et ailleurs, y compris dans Europe de l’Est, pour clamer que le changement était en marche.

Pour ceux qui chercheraient dans les livres d’histoire, ils s’intéresseront peut-être à 1848, une époque où se côtoyaient comme aujourd’hui un pessimisme économique et de nouveaux moyens de diffusion de l’information, et où les vents de la liberté ont soufflé brièvement à travers l’Europe. Et, bien sûr, si suffisamment de régimes tombent et les troubles s’approfondissent, on pourra toujours faire référence à 1776, la Révolution américaine, ou 1789, la Révolution française. Tous les deux ont secoué le monde pendant les décennies qui ont suivi.

Mais la vérité est celle-ci : il est difficile de faire entrer le phénomène du Moyen-Orient dans un paradigme connu alors que - du Wisconsin à la Chine - le phénomène menace de déborder du monde arabe et de se répandre à travers la planète.

Jamais autant de dirigeants méprisables ne se sont sentis aussi nerveux - ou tout simplement impuissants (malgré toutes leurs armes) - devant une foule désarmée. Et rien que pour ça, il y a matière à se réjouir et de l’espoir.

Sans comprendre la nature du phénomène, nous voyons un nombre époustouflant de gens, dont de nombreux jeunes et mécontents, sortir dans les rues du Maroc, de la Mauritanie, de Djibouti, d’Oman, d’Algérie, de Jordanie, d’Irak, d’Iran, du Soudan, du Yémen, et de la Libye, sans mentionner le Bahreïn, la Tunisie et l’Égypte, et qui représentent une source d’inspiration. Les voir affronter des forces de sécurité armées de matraques, de gaz lacrymogènes, de balles en caoutchouc, et dans de trop nombreux cas de balles réelles (en Libye, même des avions et des hélicoptères) et réussir néanmoins à renforcer leur mouvement est une chose incroyable. Voir des Arabes exiger quelque chose dont nous pensions être les héritiers et en avoir l’exclusivité ici en Occident, et aux États-Unis en particulier, donnerait des frissons à n’importe qui.

La nature de ce phénomène qui pourrait changer le monde est encore inconnue et, à ce stade, probablement impossible à connaître. La liberté et la démocratie éclateront-elles partout ? Si oui, qu’en serait la signification ? Si non, à quoi assistons-nous exactement ? Quel interrupteur mystérieux a soudainement illuminé des millions d’esprits alimentés par Twitter et Facebook - et pourquoi maintenant ? Je doute que ceux qui protestent, et parfois meurent, le sachent eux-mêmes. Et ça, c’est une bonne nouvelle. Que l’avenir demeure indécis - comme toujours - est une source d’espoir ne serait-ce que parce que les élites tentent toujours de le contrôler mais n’y arrivent jamais.

On s’attendrait néanmoins à ce que l’élite dirigeante, devant de tels événements, remette en question ses analyses, comme nous devrions tous le faire. Après tout, si l’humanité est capable de se lever de la sorte face à des forces armées, d’un état à l’autre, alors tout devient possible sur cette planète.

A voir ces scènes se répéter, qui ne serait pas tenté de remettre en cause ses certitudes ? Qui ne ressentirait pas le besoin de ré-analyser le monde ?

La vie dans une chambre acoustique

Une bonne partie des prévisions de Washington de ces dernières années se sont révélées risibles, avant même d’être balayées par les événements en cours. Choisissez n’importe quelle phrase des années Bush. Que penser de « Vous êtes avec nous ou contre nous » ? Il est frappant de voir à quel point ces phrases sonnent creux aujourd’hui. A revoir les hypothèses désespérément erronées de Washington sur la marche du monde, le moment est peut-être venu de faire preuve d’un minimum de modestie devant des événements que personne n’avait prédits.

Ce serait le bon moment pour Washington - qui depuis le 11 septembre 2001 s’est montré incapable de comprendre l’évolution réelle du monde et s’est entêté à se méprendre sur la nature du pouvoir global - de faire une pause et de réfléchir un peu.

Il se trouve que ça n’a pas l’air d’être le cas. En fait, il se peut tout simplement que Washington en soit incapable, malgré ses milliards de dollars dépensés en « renseignements ». Et par « Washington », je n’entends pas uniquement l’administration d’Obama, ou le Pentagone, ou nos commandants militaires, ou la vaste bureaucratie du renseignement, j’entends aussi tous ces experts et membres des groupes de réflexion qui pullulent dans la capitale ainsi que tous les médias qui nous rapportent leurs faits et gestes. C’est comme si tout l’éventail de personnages qui composent « Washington » vivaient dans une sorte de chambre acoustique, isolés de l’extérieur, où ils n’entendraient plus qu’eux-mêmes.

Il en résulte que Washington semble déterminé à entonner ses refrains habituels alors même que la musique a évolué à grande vitesse pour entrer dans les livres d’histoire. Beaucoup ont remarqué les efforts malheureux de l’administration Obama qui tente de ne pas se laisser dépasser par les événements au Moyen-Orient, tout en se raccrochant à l’habituelle coterie sordide d’autocrates et de cheikhs du pétrole. Permettez-moi d’illustrer mon propos par un exemple pris dans une autre région, la guerre largement oubliée en Afghanistan. Après tout, alors qu’on la remarque à peine, noyée qu’elle est sous les informations diffusées 24/24h en provenance d’Égypte, de Bahreïn, de Libye et d’ailleurs, la guerre là-bas se poursuit sans dévier de son chemin meurtrier et ruineux.

Cinq manières d’être sourdingue à Washington

Alors que de vastes zones du Moyen-Orient sont en feu, on pourrait penser que quelqu’un à Washington se serait avisé qu’il fallait peut-être repenser la guerre afghano-pakistanaise et se demander si c’était encore une bonne idée. Mais ce n’est pas le cas, comme le montrent les cinq exemples qui suivent et qui ont attiré mon attention. Considérez-les comme autant de preuves du confort que l’on peut ressentir dans la chambre acoustique américaine et de l’incapacité de Washington à remettre en cause sa guerre la plus longue, la plus futile, et la plus étrange.

1. Commençons par un éditorial récent du New York Times, “The ?Long War’ May Be Getting Shorter.” (« La "longue guerre" pourrait durer moins longtemps »).

Publié mardi dernier alors que la Libye « traversait les portes de l’enfer », il s’agissait d’un compte-rendu enthousiaste sur la stratégie de contre-insurrection du Général Petraeus dans le sud de l’Afghanistan. Les auteurs, Nathaniel Fick et John Nagl, sont membres de d’une intelligentsia de plus en plus militarisée et ils dirigent le Center for a New American Security à Washington. Nagl faisait partie de l’équipe qui a rédigé en 2006 la version révisée du manuel de contre-insurrection de l’armée que l’on attribue à Petraeus et fut conseiller du général en Irak. Fick, un ancien officier de Marine qui a dirigé des troupes en Afghanistan et en Irak et fut ensuite conseiller civil auprès de l’académie de contre-insurrection afghane à Kaboul, s’est récemment rendu an Afghanistan (sans que l’on sache exactement dans quel cadre).

Tous les deux sont des exemples types de ces nombreux experts militaires à Washington qui tendent à développer une relation incestueuse avec l’armée, qui aspirent à devenir des facilitateurs et sont des supporters de nos commandants militaires, et qui pourtant gardent leur crédibilité auprès des médias.

Dans toute autre société, leur article aurait tout simplement été considéré comme de la propagande. Voici un morceau choisi :

« Dans une campagne de contre-insurrection, il est difficile de déterminer à partir de quel moment la situation bascule. Mais il y a de plus en plus d’éléments qui indiquent que tel est bien le cas en Afghanistan et que les choses s’améliorent malgré l’opinion contraire de nombreux analystes. Il semblerait à présent que le pays pourrait connaître un niveau de stabilité et d’autonomie suffisante pour permettre aux États-Unis de réduire sans risques ses troupes de 100 000 à 25 000 hommes au cours des quatre prochaines années. »

Il s’agit là d’un exemple typique à Washington de « comment déplacer les poteaux du but ». Ce que ces experts sont réellement en train de nous dire c’est que même si tout va bien en Afghanistan, cette guerre ne prendra pas fin en 2014. Loin de là.

Bien sûr, c’est une position que Petraeus a défendue. D’ici quatre ans, notre nouveau plan de « retrait », selon Nagl et Fick, maintiendra 25 000 hommes sur place. Mais si l’objectif de leur article était de dire la vérité, il aurait été intitulé « la longue guerre devient "encore plus longue" ».

Alors que le Moyen-Orient explose et que les États-Unis s’enfoncent dans un « débat » sur le budget plombé par des guerres incroyablement coûteuses dont on ne voit pas la fin, ces deux experts proposent implicitement au Général Petraeus et à ses successeurs de prolonger une guerre qui nous coûte plus de 100 milliards de dollars par an, comme si le monde n’avait pas changé. Ce qui pourrait passer aujourd’hui pour de l’inadvertance paraîtra sans aucune doute un jour comme un délire, mais c’est avec cette mentalité de « rien à signaler » que Washington affronte le monde nouveau.

2. Examinons aussi deux commentaires étonnants du Général Petraeus qui illustrent ce moment historique.

Lors d’une réunion le 19 janvier, selon le journaliste du New York Times Rod Nordland, le général était d’une humeur exubérante, et même triomphante, au sujet de sa guerre. C’était quelques jours avant les premières manifestations en Égypte, et quelques jours seulement après la fuite de l’autocrate tunisien Zine Ben Ali suite à de puissantes manifestations pacifiques. Et voici ce qu’a dit l’exubérant Petraeus à son équipe : « Nous avons planté nos crocs dans la jugulaire de l’ennemi, et nous n’allons pas le lâcher. »

Il est vrai que le général, depuis des mois, non seulement envoyait de nouvelles troupes américaines au sud, mais augmentait aussi les frappes aériennes, les expéditions nocturnes des forces spéciales et d’une manière générale intensifiait la guerre dans les territoires des Talibans. Cependant, même dans le scénario le plus favorable, le tableau qu’il brossait était étrangement optimiste. L’image d’un prédateur plongeant ses crocs dans la gorge d’une proie était à l’évidence celle qu’il voulait transmettre, mais il y avait certainement quelque part dans l’inconscient du militaire l’image plus courante dans la pop-culture américaine - celle du loup-garou ou du vampire. A l’évidence, l’idée que se faisait le général d’un avenir à l’américaine comportait, dans une sorte de version afghane de la Transylvanie, un banquet de sang car, à l’instar de Nagl et Fick, il a clairement prévu de planter ses crocs-là dans cette jugulaire-là pendant encore un bon bout de temps.

Un mois plus tard, le 19 février, alors que les événements se déchaînaient à Bahreïn et en Libye, le général visitait le palais présidentiel afghan à Kaboul et, balayant les affirmations des afghans selon lesquelles les raids aériens américains dans le nord-est du pays tuaient de nombreux civiles, dont des enfants, il a fait un commentaire qui a choqué les aides du président Hamid Karzai. Nous n’avons pas la retranscription de ses propos, mais le Washington Post raconte que, selon des « participants » à la réunion, Petraeus a laissé entendre que « les Afghans pris dans l’attaque de la coalition dans le nord-est du pays auraient brûlé eux-mêmes leurs enfants pour exagérer le nombre de victimes civiles. »

Un Afghan présent à la réunion a réagi : « J’en avais le vertige. Ma tête tournait. C’était choquant. Quel père ferait ça à ses enfants ? C’est absurde. »

Dans la chambre acoustique américaine, les commentaires du général peuvent ainsi paraître sinon raisonnables, du moins enthousiastes : l’ennemi est pris à la gorge ! Nous ne faisons pas de victimes ; ils les font eux-mêmes ! En tout autre lieu, de tels propos paraîtraient comme ceux d’un sourdingue ou tout simplement d’un vampire, ce qui prouve que les résidents de la chambre acoustique sont totalement inconscients de comment ils sont perçus dans un monde en évolution.

3. A présent, traversons la frontière floue entre l’Afghanistan et le Pakistan, encore un autre monde où règne la stupidité américaine.

Le 15 février, seulement quatre jours après la destitution de Moubarak, Barack Obama a décidé d’aborder le problème du Pakistan. Raymond Davis, un ancien soldat des forces spéciales US, armé d’un pistolet semi-automatique Glock et seul dans un véhicule en train de rouler dans un quartier pauvre de la deuxième ville du pays, Lahore, a abattu deux Pakistanais qui, selon lui, le menaçaient d’une arme. (Un d’entre eux a reçu des balles dans le dos).

Davis serait sorti du véhicule en tirant avec son arme, puis il a photographié les cadavres et appelé pour obtenir du soutien. Le véhicule est arrivé en fonçant dans un sens interdit, tuant au passage un motard, avant de prendre la fuite. (Plus tard, l’épouse d’une des victimes s’est suicidée en avalant de la mort-aux-rats).

Lorsque la police pakistanaise a arrêté Davis, elle a trouvé dans sa voiture un équipement pour le moins étrange. Personne ne sera étonné d’apprendre que l’incident n’a pas amélioré l’image des États-Unis auprès d’une population déjà hostile à ses supposés alliés. En fait, il a déclenché une fureur publique. Les Pakistanais ont réagi à ce qui leur paraissait un acte d’impunité impériale, surtout lorsque le gouvernement US, en affirmant que Davis était « un fonctionnaire technique et administratif » rattaché à son consulat à Lahore, a demandé sa libération pour cause d’immunité diplomatique et a commencé à faire pression sur un gouvernement déjà affaibli et impopulaire.

Le Sénateur John Kerry s’est rendu sur place, des appels téléphoniques ont été passés, des menaces de couper les aides financières ont été formulées dans les couloirs du Congrès. Malgré les événements en cours ailleurs et dans un Pakistan agité, les officiels américains n’arrivaient pas à imaginer que les Pakistanais refusent de céder.

Le 15 février, alors que le Moyen-Orient était la proie des flammes, le Président Obama est intervenu personnellement, ce qui à l’évidence n’a fait qu’envenimer les choses. « En ce qui concerne M. Davis, notre diplomate au Pakistan, » a-t-il dit, « nous avons un principe très simple selon lequel tout pays qui adhère à la Convention de Vienne sur les Relations diplomatiques et l’a respecté dans le passé et la respectera dans l’avenir, si un de nos diplomates se trouve à l’étranger, alors il ne peut faire l’objet de poursuites par la justice locale. »

Les Pakistanais ont refusé de céder devant ce « principe très simple » et peu après, « notre diplomate au Pakistan » fut identifié par le journal britannique The Guardian comme un ancien employé de Blackwater et employé de la CIA. Selon le journal, il était impliqué dans la guerre secrète de l’agence au Pakistan. La guerre, particulièrement les attaques « secrètes » par drones, tant vantées et si coûteuses, dans les zones frontalières tribales du Pakistan et dont les résultats sont largement exagérés par Washington, continuent de provoquer une réaction de rejet que les Américains préfèrent ignorer.

Bien sûr, le président savait que Davis était un agent de la CIA, même lorsqu’il l’a appelé « notre diplomate ». Il se trouve que le New York Times et d’autres journaux US le savaient aussi, mais se sont abstenus de le mentionner à la demande de l’administration Obama, même lorsqu’ils publiaient quelques informations (rares, sinon carrément fausses) sur cette affaire.

Étant donné les événements en cours dans la région, ceci n’est ni une politique sérieuse ni du journalisme sérieux. (...)

4. Entre-temps, le 18 février en Afghanistan, le département du Trésor a imposé des sanctions à l’une des « plus grandes maisons de change » du pays, en l’accusant « d’utiliser les milliards de dollars qui entrent et sortent du pays pour tenter de blanchir l’argent de la drogue ».

Voici comment Ginger Thompson et Alissa J. Rubun du New York Times ont expliqué la chose : «  L’initiative fait partie d’un délicat numéro d’équilibriste de l’administration Obama qui veut lutter contre la corruption qui touche le somment du gouvernement afghan sans gêner les efforts de la contre-insurrection qui requiert la coopération de M . Karzai. »

Dans un monde où les propos de Washington sonnent de plus en plus creux et portent de moins en moins loin, et devant une telle description des faits - formulée dans le plus pur style en vigueur dans la chambre acoustique américaine - et particulièrement pour cette image d’un « délicat numéro d’équilibriste » - la réaction serait : non, absolument pas.

En ce qui concerne un pays qui est le premier narco-État de la planète, qu’est qui pourrait bien être « délicat » ? Si on voulait décrire l’étrange relation nouée entre l’administration Obama et le Président Karzai et son peuple, alors des mots comme « tordues », « obscures » et « hypocrites » viennent à l’esprit. Si le réalisme était de rigueur, alors le terme « numéro indécent de déséquilibré » serait probablement plus judicieux.

5. Pour finir, le journaliste Dexter Filkins a récemment écrit un article étonnant, « The Afghan Bank Heist » dans le magazine The New Yorker sur les combines qui amenèrent la Kabul Bank, une des principales institutions financières d’Afghanistan, au bord de la faillite. Tout en versant des sommes faramineux à Hamid Karzai et à ses partisans, les dirigeants de la banque se sont enfuis avec les dépôts des clients. (Pensez à la Kabul Bank comme d’une version locale de Bernie Madoff). Dans cet article, Filkin cite un officiel américain anonyme sur les malversations qu’il a observées : « Si nous étions en Amérique, cinquante personnes auraient déjà été arrêtées. »

Cette phrase doit être comprise comme un sketch comique présenté dans la chambre acoustique, et aussi comme un rappel que seuls les chiens errants et les Américains s’exposent au soleil afghan. Comme de nombreux Américains en Afghanistan, ce pauvre diplomate devrait être rapatrié d’urgence. Il a perdu tout contact avec la réalité de son propre pays. Alors que nous clamons que notre devoir est de « construire une nation » et d’apporter « une bonne gouvernance » aux pauvres Afghans, chez nous les États-Unis sont en train d’être déconstruits, la démocratie a pour ainsi dire disparu, les oligarchies ont la voie libre, la Cour Suprême a garanti que les futures élections seront décidées par des afflux massifs d’argent et les plus grands voyous brandissent quand bon leur semble leur joker pour éviter de passer par la case prison. En réalité, le racket de Kabul Bank - une affaire énorme pour ce pays misérable - n’est rien en comparaison de ce qu’ont accompli les banques américaines, les établissements de crédit et d’assurance et autres établissements financiers à travers leurs « montages pyramidaux » en 2008 et qui ont ruiné l’économie US et mondiale.

Aucun des individus responsables n’a connu la prison, à l’exception de quelques types un peu vieux jeu comme Madoff. Aucun d’entre eux n’a été poursuivi.

Il y a quelques jours à peine, des procureurs fédéraux ont abandonné les poursuites dans une des dernières affaires issues de la crise de 2008. Angelo R. Mozilo, ancien président de Countrywide Financial Corp., qui était le plus grand établissement de prêts immobiliers du pays, a obtenu un accord sur ses « gains mal acquis » d’un montant de 67,5 millions de dollars, mais comme pour ses collègues, aucune délit n’a été retenu contre lui.

Nous ne sommes pas les Bons

Imaginez ceci : pour la première fois dans l’histoire, un mouvement d’Arabes inspire les Américains du Wisconsin et peut-être d’ailleurs. En ce moment même, il y a quelque chose de nouveau sous le soleil et ce n’est pas nous qui l’avons inventée.

Attention, respirez un bon coup avant de lire ce qui suit : nous ne sommes même pas les Bons de cette histoire.

Les Bons étaient ceux qui réclamaient la liberté et la démocratie dans les rues du Moyen-Orient, tandis que les États-Unis se livraient eux à des numéros indécents de "déséquilibristes" en faveur de ces voyous que nous avons soutenus pendant si longtemps au Moyen-Orient.

L’histoire change avec une telle ampleur que tous les événements majeurs des dernières années du siècle américain - la guerre du Vietnam, la fin de la guerre froide, et même les attentats du 11/9 - risquent de se voir éclipsés par les événements en cours. Pourtant, à l’intérieur de la chambre acoustique de Washington, les esprits réagissent au ralenti. Pendant ce temps, notre pays malheureux, désorienté et dérangé, avec ses infrastructures vieillissantes qui tombent en ruines, représente de moins en moins un modèle pour quiconque dans le monde (mais ça, vous ne le sauriez que de l’extérieur).

Insensible aux événements, Washington a clairement l’intention de poursuivre ses guerres et fortifier ses bases militaires permanentes, provoquant des rejets et des déstabilisations encore plus forts et encore plus nombreux, jusqu’à ce qu’il se consume de l’intérieur. C’est cela la définition du déclin à l’américaine dans un monde nouveau et imprévu. Oui, les crocs sont peut-être plantés dans la jugulaire mais n’en déplaise au général Petraeus, il reste encore à savoir quels crocs et dans quelle jugulaire.

Tandis que le soleil se lève sur le monde Arabe, l’obscurité tombe sur l’Amérique.

Dans la pénombre, les États-Unis continuent de jouer les cartes qu’ils se sont distribuées eux-mêmes, parfois en trichant, alors même que les autres joueurs sont en train de quitter la table de jeu. Pendant ce temps, on entend au loin les hurlements. L’heure du festin a sonné et l’odeur du sang plane dans l’air. Alors, gare !

1er mars 2011 - Tom Dispatch - publié sur Le Grand Soir


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