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Péchés du père, péchés du fils

mercredi 23 février 2011 - 07h:00

Lamis Andoni

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Tandis que Kadhafi s’est appuyé sur des slogans révolutionnaires creux pour se maintenir au pouvoir, son fils veut s’appuyer sur l’argent du pétrole pour conserver le sien.

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Plusieurs personnes se sont rassemblées devant l’ambassade libyenne à Londres en signe de solidarité avec les manifestants en Libye - Photo : AFP

L’absolue brutalité utilisée dans le répression des manifestations anti-gouvernementales en Libye met en pleine lumière la tromperie des dictatures arabes post-coloniales qui se sont appuyées sur des slogans révolutionnaires comme source de légitimité.

Depuis son ascension au pouvoir par un coup militaire en 1969, le colonel Muammar Kadhafi a employé chaque élément de la rhétorique révolutionnaire pour justifier ses actions servant à consolider le pouvoir dans les mains de ses parents et proches associés et à créer un réseau de forces de sécurité et de milices pour contraindre les Libyens à se conformer aux caprices de son régime cruel.

Par son soutien aux mouvements révolutionnaires dans différentes régions du monde - ceux, naturellement, qui ne mettent pas en danger son propre rôle - il a cherché à se faire valoir en tant que « défenseur des opprimés », provoquant ainsi la colère de l’Occident. Mais les gens qui aujourd’hui défient courageusement la sauvage répression exercée par son régime, envoient le message selon lequel les slogans anti-occidentaux - même si occasionnellement suivis d’un soutien à des causes justes- ne peuvent plus justifier le maintien de régimes oppressifs dans la région.

Une nouvelle ère commence dans laquelle les dirigeants seront jugés sur leur capacité à représenter les aspirations des peuples et seront tenus pour responsables de leurs actes. Pousser des cris de guerre de ralliement contre un ennemi étranger, même lorsque cet ennemi est très réel, tout en infligeant l’injustice à son propre peuple ne sera plus toléré.

Les régimes arabes post-coloniaux, y compris ceux qui sont apparus sur les vagues - ou ont même jusqu’à un certain point véritablement été les représentants - de la résistance anti-coloniale, ont dû recourir à la police secrète et aux lois répressives pour subordonner leurs sujets. La leçon est claire : sans démocratie représentative, les républiques arabes se sont métamorphosées en repoussantes dynasties héréditaires qui traitent leurs pays comme leurs propres entreprises privées anonymes.

Tout en piétinant les intérêts de son propre peuple, Kadhafi s’est façonné l’image d’un champion de la cause palestinienne, usant des attaques verbales les plus violentes contre Israël. Mais c’est un thème récurrent dans une région où les chefs doivent avoir recours à des discours creux sur la difficile situation des Palestiniens afin de donner à leur régime le timbre de la « légitimité ». L’« appui » de Kadhafi, cependant, ne l’a pas empêché d’expulser des Palestiniens habitant en Libye et de les laisser échoués dans le désert quand il a cherché « à punir la direction palestinienne » pour être entrée en pourparlers avec Israël.

Mais bien plus cynique encore que son support « pro-palestinien » est son exploitation de la situation pénible des peuples africains en se faisant introniser leader du continent. Cette exploitation est tragique, si les informations s’avèrent exactes, puisqu’il a employé des travailleurs migrants africains sub-sahariens contre les manifestants libyens. Mais il est hélas tristement et terriblement crédible qu’un dictateur impitoyable, un hystérique conduit par la peur de perdre sa richesse et son pouvoir, puisse exploiter des pauvres marginalisés contre des pauvres opprimés.

Le chouchou de l’Occident

Seif al-Islam, le fils de Kadhafi qui est apparu à la télévision d’état libyenne pour avertir que les manifestants menaçaient d’entraîner la Libye dans la guerre civile, n’a pas besoin à la différence de son père, de feindre de vouloir soutenir les défavorisés du monde. Car son pouvoir a une origine totalement différente.
Quand Seif a prévenu que des « rivières du sang » couleraient si les manifestations ne s’arrêtaient pas, il se donnait le droit, simplement parce qu’il est le fils de son père, d’écarter les revendications de millions de personnes et de proférer d’indignes menaces.

Seif peut paraître plus sophistiqué que son fou de père, mais sa prestation était celle d’un seigneur féodal incapable de saisir pourquoi ses serfs défieraient son autorité.

Il n’a aucun besoin d’utiliser les subterfuges de son père en usant de la rhétorique révolutionnaire creuse dont Kadhafi s’est servi avec succès devant le Conseil Révolutionnaire du pays et les Comités Révolutionnaires - lesquels sont censés représenter les intérêts du peuple - pour cimenter le pouvoir de sa famille, et comme outils pour subjuguer les masses.

Mais le rôle de Seif a été défini non seulement par son pouvoir dans le pays. Selon Vivienne Walt qui écrit dans Time Magazine, depuis la levée des sanctions occidentales contre la Libye en 2005, Seif a joué le rôle « d’assurance » pour les compagnies qui ont investi des millions de dollars dans le pays.

« Dans les entrevues avec des cadres de l’industrie pétrolières, tous déclarent que Seif est la personne que la plupart d’entre eux aimeraient voir au pouvoir en Libye. Il a fait quelques apparitions au Forum Économique Mondial. Et durant deux visites en Libye, j’ai vu d’innombrables cadres d’entreprise américains et européens faire la queue pour un rendez-vous avec Seif, » a-t-elle écrit récemment.

Il est peu étonnant que Seif se sente assez sûr de lui-même pour proférer des menaces à l’encontre du peuple libyen alors qu’il n’a même aucune fonction officielle. Sa position en tant que chouchou de l’Occident l’autorise - d’après ce qu’il semble clairement considèrer - à piétiner la vie d’autrui. Et cela peut également expliquer l’hésitation de l’Occident à condamner sans équivoque la brutalité insigne du régime Libyen.

Alors que le père assurait sa griffe sur le pouvoir et construisait une dictature tout en prétendant à « la légitimité révolutionnaire, » Seif a toujours escompté avoir le tampon occidentale de la légitimité en gardant ouverte la porte pour les compagnies d’exploitation étrangères, de la principale ressource du pays.
La répression menée par le père au nom de la révolution, et le statut du fils comme agent des compagnies étrangères a créé un pays riche en pétrole où un tiers de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et où existent 30% de chômeurs. C’est cela, la Libye de Kadhafi.

Mais le peuple libyen lance maintenant un bruyant adieu à la Libye de Kadhafi et de sa famille et, avec de grands sacrifices, il construit un pays nouveau, plus libre.

* Lamis Andoni est une analyste et une commentatrice des questions du Moyen-Orient et de la Palestine.

De la même auteure :

- La résurrection du panarabisme - 21 février 2011
- A tous les tyrans du monde arabe... - 17 janvier 2011
- Le renouveau des mobilisations sociales et politiques dans le monde arabe - 7 janvier 2011
- L’Europe doit émerger de l’ombre des Etats-Unis - 26 décembre 2010
- Un ultime acte de résistance ? - 14 décembre 2010
- Que va penser le monde arabe de ses dirigeants ? - 3 décembre 2010
- Israël veut sous-traiter l’occupation de Gaza à l’Union Européenne - 9 août 2010
- Calme précaire à Gaza et temps des soupçons - 21 mars 2008
- Les Palestiniens aspirent à l’unité - 18 janvier 2008

21 février 2011 - Al Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/indept...
Traduction de l’anglais : Abd al-Rahim


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