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Qu’est-ce qui fait qu’une révolution réussit ?

dimanche 20 février 2011 - 07h:45

Roxane Farmanfarmaian
Al Jazeera

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Bien que les aspirations soient différentes, les Égyptiens peuvent tirer cinq enseignements de la rébellion de l’Iran en 1979.

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Même si l’armée égyptienne est populaire, faire confiance aux forces militaires n’est pas toujours le meilleur plan pour les révolutionnaires.
(Gallo/Getty)




Le 12 février, il y a 32 ans cette semaine, l’Iran proclamait le succès de sa révolution : le Shah avait disparu, l’armée avait été décimée, et une nouvelle ère pouvait voir le jour.

Même si ce qui suivit est devenu très différent de ce qu’espèrent les Égyptiens aujourd’hui, l’Iran a été l’une des grandes révolutions du XXè siècle, et les Égyptiens peuvent effectivement chercher à s’en inspirer dans leurs actions pour renverser un régime bien établi et à gagner de nouveaux droits.

Aujourd’hui, l’armée égyptienne a pris le commandement, promettant des élections libres et régulières. Est-ce que cela veut dire que les manifestants peuvent rentrer à la maison et faire confiance à l’armée ? L’Égypte et l’Iran sont très différents, et leurs aspirations et les puissances des médias, et, espérons-le, l’avenir que les Égyptiens vont construire sera plus démocratique et plus sûr pour ceux qui s’emparent d’une victoire populaire.

Néanmoins, pour ceux qui, le long du Nil, sont confrontés à l’évolution rapide des évènements, la révolution iranienne dégage un certain nombre d’enseignements utiles.

Premier enseignement : les révolutions demandent du temps

Depuis le jour où l’on estime généralement que la révolution iranienne s’est mise en marche, amorcée par la mort de 400 personnes dans l’incendie d’un théâtre à Abadan, principale ville pétrolière d’Iran, jusqu’à la déclaration de la victoire le 12 février 1979, un an et un mois se sont écoulés.

Les manifestations ont eu lieu tant sous la neige de l’hiver que sous la chaleur torride de l’été, des personnes ont été abattues, les soulèvements après avoir été au début très médiatisés n’ont plus fait la une des médias internationaux. Mais les rassemblements se sont poursuivis, et ils se sont amplifiés, le peuple a tenu bon, les sacrifices déjà consentis ont abouti au renversement du régime militaire.

En Égypte, nous voyons les exigences évoluer alors que le véritable objectif du soulèvement devient clair : renverser le régime, et pas seulement ses nombreux chefs comme Gorgan. La démission de Moubarak, auquel succède l’armée, peut ne pas signifier grand-chose. Changer un régime est un processus lent, qui requiert une vision et une organisation, et, comme les manifestants iraniens l’ont découvert, de la ténacité.

Deuxième enseignement : les régimes bien établis ne partent pas tranquillement

Après trois semaines de bouleversements, il se peut que Moubarak soit vraiment parti, ou peut-être pas. Fait révélateur, il est toujours en Égypte (le 15 février, on le disait à Eilat, Israël - Ma’an - ndt) ; les présidents déchus n’ont pas généralement vraiment « disparu » tant qu’ils ne sont pas, comme le Tunisien Ben Ali, partis en exil. Le Shah a tenu un an, malgré les slogans permanents de « Mort au Shah ». Dans ses derniers jours, comme Moubarak, le Shah a tenté de monter un gouvernement de transition à partir du régime existant, remplaçant son Premier ministre par un nouveau visage, mais un fidèle.

Le Shah, en fait, est passé par trois Premiers ministres : le premier avait une réputation de démocrate, puis ce fut un général, et enfin, un membre de l’une des grandes tribus d’Iran et chef du principal parti d’opposition, le Front national (qui, alors, n’était qu’une coquille vide).

Le peuple de la rue n’en a accepté aucun. Comme le vice-Président d’Égypte, Omar Suleiman, ces dirigeants triés sur le volet par le Shah ont fait de petites concessions, accompagnées de menaces : le peuple doit rentrer chez lui, l’armée a le contrôle et sa patience est à bout, la démocratie du style occidental ne convient pas pour les Moyen-Orientaux.

Pour les Iraniens, comme pour les Égyptiens, le point important était de se débarrasser d’un régime élitiste, corrompu, quelle que soit la personne aux commandes. Et ainsi les manifestations se sont poursuivies, même après la fuite du Shah, veillant à ce que l’édifice existant soit au moins balayé.

Troisième enseignement : l’armée n’est pas digne de confiance

Contrairement à l’Égypte, jusqu’à présent, l’armée iranienne - à l’époque considérée comme la cinquième plus puissante au monde - ne s’est pas retenue de se tourner contre le peuple.

Le massacre du Vendredi, en octobre 1978, n’a été que l’un des nombreux cas où l’armée a tiré à balles réelles sur la foule. Et bien qu’à ce jour, l’armée égyptienne se soit abstenue d’attaquer aussi directement, le risque qu’elle passe à la violence plane en permanence sur le peuple dans la rue.

L’armée, qui tient actuellement les commandes du gouvernement, a lancé des appels pressants à la stabilité, évoquant les risques de désordre si les rassemblements se poursuivaient. Pourtant, en dépit de ces mêmes déclarations de l’armée en Iran, les manifestants ont persisté. Et en dépit des bains de sang, les manifestants ont refusé de retourner leur colère contre l’armée, et finalement, ils ont épuisé les soldats.

Des fleurs ont été accrochées aux canons des leurs fusils. Des familles, des amis et des voisins se sont étreints et ont bavardé avec les soldats alors qu’ils marchaient de concert dans les rues, enveloppant de banderoles les chars d’assaut stationnés sur les trottoirs, taguant des slogans sur leurs parois d’acier, et les parant de leurs affiches.

Pour les Égyptiens, il s’agit là d’un enseignement qui a son importance. L’armée conserve une grande puissance de feu, et aujourd’hui, elle donne des signes mitigés, c’est un moment qui peut-être dangereux. Il y a des informations selon lesquelles de jeunes militaires auraient rejoint les manifestants, alors que la vieille garde attaquait.

Rester non violent face à la force militaire est sans doute l’un des outils les plus précieux aux mains des manifestants, un outil qu’il ne faut pas gâcher.

Quatrième enseignement : les grèves sont la clé du succès

En Égypte, l’un des développements novateurs au cours de la dernière semaine a été cette vague de grèves dans les villes de province par les travailleurs des usines qui exigent de meilleurs salaires et des avantages sociaux. (*)

En Iran, les grèves, qui ont démarré sur les champs pétroliers et se sont propagées dans tout le pays, ont été cruciales pour mettre le régime à genoux. Les pénuries de gaz et de pétrole (dont dépendaient de nombreux ménages iraniens pour le chauffage au cours d’un hiver pourtant bien plus clément que pour l’Égypte aujourd’hui) ont provoqué des files d’attente qui s’étiraient depuis les stations-service, beaucoup attendant jusqu’à quarante-huit heures d’affilée.

Dans la nuit, les conducteurs dormaient patiemment dans leurs voitures ou sous leurs motos ou leurs charrettes à bras, pendant que le gouvernement ressassait que les Iraniens n’avaient aucune envie de telles privations. Seules, l’élite et l’armée avaient de l’essence et se pavanaient quasiment en roulant à travers des rues pratiquement vides, un comportement qui a renforcé la détermination populaire à leur encontre.

Les grèves, bien que parfois interrompues, se sont propagées vers les usines, les complexes industriels, et, avec animosité, vers les centrales électriques où le courant était coupé quatre heures chaque jour. Ce qui coïncidait avec l’heure des informations du soir à la télévision sous contrôle de l’État, une initiative d’ordre stratégique ; les Iraniens dînaient aux chandelles et, à la place, prenaient leurs informations à la radio, surtout à la BBC.

Les grèves ont été l’ossature du mouvement, tout en permettant aux grévistes de se joindre aux manifestations. Ceux-ci avaient le pouvoir économique de même que psychologique, et les Iraniens, comme les Égyptiens, ont montré leur volonté en vivant dans la difficulté pour arriver à déloger le régime.

Cinquième enseignement : réorienter les médias sous contrôle de l’État est une réalisation importante

En Égypte, le bouleversement a été le reflet de notre époque : les manifestations ont commencé avec les blogs et twitter, puis elles ont pris une dynamique avec les webcasts en direct, Facebook et les téléphones portables.

Même quand Moubarak a coupé les réseaux Internet et cellulaires, les communications de haute technologie se sont poursuivies.

Naturellement, l’Iran n’a bénéficié de rien de tout cela. Cependant, la réorientation des médias sous direction de l’État est un indicateur de la façon dont les évènements se déroulent. Les journaux Kaylan et Etela’at en Iran, comme Al-Arhram en Égypte, étaient les organes du gouvernement. Quand Kayhan et Etela’at ont commencé à montrer les gens dans la rue en train de brûler les portraits omniprésents du Shah, qui jusque-là étaient placardés sur chaque mur officiel et dans chaque entrée familiale, on a compris alors que l’emprise de l’État était viscéralement en train de se relâcher.

La même chose s’est produite avec Al-Ahram, qui, la semaine dernière, a publié les nouvelles avec plus d’impartialité. Pour les Égyptiens, c’est une étape importante, une brèche vers une véritable liberté de l’information. Parmi les nombreuses libertés recherchées, la liberté d’expression et le droit de se réunir librement sont les premiers signes d’un réel succès.

Les Vagues du Nil peuvent apparaître comme victorieuses, mais jusqu’à présent, il n’y a guère eu de changements garantis pour l’avenir dans la vie des Égyptiens. Malgré les réjouissances, les mêmes visages vus et revus des militaires restent en place. Si le mouvement veut obtenir sa juste récompense, le passé de l’Iran peut l’aider à apporter une touche de réalisme au présent, et avec de la chance, à éclairer l’avenir de l’Égypte, alors même que le sien propre reste dans l’ombre.


Dr Roxane Farmanfarmaian est conférencière affiliée au Département d’Études politiques et internationales à l’université de Cambridge. Elle est aussi universitaire invitée au Centre du Moyen-Orient à l’université de l’Utah. Elle vivait en Iran lors de la Révolution et de la crise des otages.

(*) - Voir :

- Égypte : la classe moyenne pour la junte militaire, les travailleurs pour la Révolution permanente - Hossam el-Hamalawy - Mr Zine
- Les travailleurs égyptiens exigent la dissolution de la Fédération syndicale dirigée par l’État - Jano Charbel - AlMasry AlYoum

14 février 2011 - Al Jazeera - traduction : JPP


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