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La fin de l’hégémonie saoudienne

vendredi 18 février 2011 - 08h:26

Hassan Khader - Al-Ayyam/Courrier international

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Les événements en Tunisie et en Égypte ont marqué le retour du politique dans le monde arabe. Pour l’Arabie Saoudite et son idéologie d’un autre temps, c’est une page d’histoire qui se tourne.

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Dessin de Chapatte.

Après les révolutions en Tunisie et en Égypte, le monde arabe dans son ensemble n’est plus le même. Une page s’est tournée dans l’histoire des Arabes, mettant fin à une époque qui a duré depuis plus de quarante ans. Progressivement mise en place après la défaite de 1967 [lors de la guerre des Six-Jours], la mort du président égyptien Gamal Abdel Nasser en 1970 et la fin de l’idéologie panarabe, cette époque s’est consolidée après la guerre d’octobre de 1973 [guerre du Kippour] et la hausse vertigineuse des revenus pétroliers que cette guerre a provoquée. Finalement, elle a connu son apogée dans les années 1980, lors de l’alliance entre les États-Unis, l’Arabie Saoudite et l’Égypte dans la guerre froide contre la Russie en Afghanistan.

Cette époque désormais révolue, c’était celle de l’Arabie Saoudite.

Elle ne se traduisait pas uniquement par une influence politique, elle signifiait également la promotion d’un certain nombre de valeurs et de discours idéologiques conservateurs. En effet, le régime saoudien dépensait des milliards de dollars pour financer la prédication [wahhabite, à l’étranger]. Les revenus du pétrole lui ont permis d’irriguer des réseaux économiques, commerciaux et financiers dont l’impact s’est souvent avéré encore plus important que celui de la politique officielle du régime. Ces investissements transfrontaliers ont créé des intérêts et des solidarités croisés entre l’Arabie Saoudite, des hommes d’affaires locaux et les différents régimes arabes. C’était notamment le cas en Égypte, où les habitants ont commencé à être spoliés de leurs richesses dès les années 1970 par le biais de banques de la finance islamique qui captaient l’argent des travailleurs immigrés égyptiens dans le Golfe.

L’environnement culturel, social et politique de cette époque était donc marqué par l’alliance entre docteurs de la foi, gros sous et consommation à outrance. Ainsi, le rêve de richesse avait remplacé les rêves de révolution. Dans le même temps, la politique s’était désintéressée de ce bas monde pour se tourner vers l’au-delà. Au lieu de s’occuper des conditions de vie, du logement, de la santé ou de l’éducation, on se préoccupait des "besoins spirituels". Et encore, la spiritualité était souvent réduite à des aspects purement formels et à des questions sans intérêt réel, du genre savoir s’il est licite qu’une femme donne le sein à un homme adulte...

Cela s’est également répercuté sur le conflit israélo-arabe et la cause palestinienne.

On a oublié qu’il s’agissait d’un conflit sur la terre pour en faire un conflit sur le ciel [conflit religieux]. Foin de questions aussi profanes que celles de la pauvreté, des libertés et, encore plus, de l’analyse des conflits d’intérêts ! On ne parlait plus de lutte anticoloniale ni syndicale, politique ou sociale. Exit la question de la femme, celles de la justice, de l’égalité, de la citoyenneté et des droits de l’homme. Tout était balayé par la vision binaire du bien et du mal : des martyrs d’un côté, des mécréants de l’autre. Croyants contre mécréants, sunnites contre chiites, musulmans contre chrétiens. Tout était englouti par une lutte entre absolus religieux empêtrés dans le passé, qui ne laissait plus de place aux partis politiques, aux syndicats ou à d’autres engagements. En lieu de quoi, c’est la figure du kamikaze qui s’est imposée comme l’ultime étape de l’élévation de la politique vers les sphères célestes.

Ce serait trop simple de tout mettre sur le compte des pétrodollars. Il ne faut pas penser que les problèmes ne seraient pas le produit de l’ensemble des élites du monde arabe. Saddam Hussein, par exemple, le tyran qui avait commencé son règne sous des mots d’ordre laïcs, avait ensuite compris tout le bénéfice qu’il pouvait tirer de l’instrumentalisation de la religion. A l’inverse, Nouri Al-Maliki, le Premier ministre de l’Irak actuel venu au pouvoir sur une base confessionnelle, est soudainement devenu démocrate après la révolution égyptienne et a déclaré qu’il ne se représenterait pas pour un troisième mandat.

Après la guerre d’octobre 1973, la montée de l’Arabie Saoudite coïncidait avec la mise en place d’un système d’alliances militaires et politiques au Moyen-Orient sous la tutelle des Américains.

Ceux-ci étaient désireux d’assurer la stabilité régionale, de garantir la sécurité d’Israël et de dissocier l’approvisionnement en pétrole de la question palestinienne. Cela avait installé l’idée que tout était possible tant qu’on pouvait payer, peu importe les considérations morales. Car le rôle régional de l’Arabie Saoudite était fonction de son immense et soudaine richesse. C’est elle qui lui a permis d’exporter ses valeurs et de convaincre les autres de la validité de son système politique venu tout droit du Moyen Age.

Il est certain que les nouveaux riches du pétrole et leur idéologie aride comme le désert sont les propriétaires des journaux les plus lus, des chaînes satellitaires les plus regardées et de la puissance financière la plus forte. Ils ont contribué à fournir le socle idéologique pour que le désert envahisse les villes et que se répandent les groupes extrémistes et terroristes. Ils ne se sont rendu compte de la barbarie qu’ils étaient en train de nourrir qu’après les attentats du 11 septembre 2001. Mais cela est une autre histoire.

L’important est que la révolution égyptienne - et avant elle la révolution tunisienne - a fait redescendre la politique sur Terre.

Les gens peuvent à nouveau se considérer comme citoyens, et non comme sujets du souverain. Ils lui disent que ça suffit. Non parce qu’il serait mécréant, ni parce qu’il aurait vendu la Palestine, mais parce qu’il ne leur avait assuré ni le pain ni la liberté. Parce qu’il avait oublié que ce qui pouvait convenir aux démocraties occidentales pouvait convenir aux Arabes, à savoir des élections libres, l’alternance pacifique au pouvoir, la liberté d’expression, l’égalité entre les sexes, les droits de l’homme, des Constitutions dignes de ce nom. Il n’est plus possible de parler d’exception arabe, de spécificités culturelles ou de différence historique. Ce discours appartient désormais au passé, chassé par les idées de la nouvelle ère qui s’ouvre.

15 février 2011 - Courrier international


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