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Égypte : la classe moyenne pour la junte militaire, les travailleurs pour la Révolution permanente

mercredi 16 février 2011 - 06h:55

Hossam el-Hamalawy
MR Zine

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Nous devons être vigilants. Nous ne devons pas en rester là. Nous détenons les clés de la libération de la région tout entière, pas seulement de l’Égypte. Aller jusqu’à une révolution permanente qui donnera le pouvoir au peuple de ce pays par une démocratie directe venant du bas...

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« La Fédération égyptienne des syndicats indépendants soutient les exigences de la révolution du peuple et appelle à une grève générale des travailleurs égyptiens, »
lit-on sur une banderole Place Tahrir.
Photo : Hossam el-Hamalawy.




12 février. Depuis hier, et en réalité bien avant, les militants de la classe moyenne exhortent les Égyptiens à suspendre les manifestations et à retourner au travail, au nom du patriotisme, leur chantonnant quelques-unes des berceuses les plus ridicules du genre « Construisons une nouvelle Égypte », « Travaillons encore plus dur qu’avant », etc. Au cas où vous ne sauriez pas qu’en réalité, les Égyptiens sont déjà parmi les peuples qui travaillent le plus dur dans le monde.

Ces militants veulent que nous fassions confiance aux généraux de Moubarak pour une transition vers la démocratie - la même junte qui lui a fourni l’ossature de sa dictature toutes ces trente dernières années. Et si je crois qu’effectivement le Conseil suprême des Forces armées, qui tous les ans reçoit des USA 1,3 milliard de dollars, va finir par manigancer une transition vers un gouvernement « civil », je suis sûr aussi que ce sera un gouvernement qui assurera la continuité d’un système qui ne touchera jamais aux privilèges de l’armée, qui maintiendra les forces armées comme l’institution qui aura le dernier mot en politique (comme par exemple, en Turquie), qui garantira que l’Égypte continue d’appliquer la politique étrangère états-unienne qu’il s’agisse d’une paix non désirée avec l’État d’apartheid d’Israël, d’un passage assuré à l’US Navy dans le Canal de Suez, de la continuation du siège de Gaza ou de l’exportation du gaz naturel en Israël à des taux subventionnés. Un gouvernement civil, ce n’est pas un gouvernement constitué de membres qui ne portent pas d’uniformes militaires. Un gouvernement civil, cela veut dire un gouvernement qui représente pleinement les exigences et les désirs du peuple égyptien sans aucune intervention des galonnés. Et je vois cela comme quelque chose de très difficilement admis, et encore moins mis en oeuvre par la junte.

L’armée est l’institution régnante dans ce pays depuis 1952. Ses chefs font partie de l’establishment. Et si de jeunes officiers et soldats sont bien nos alliés, nous ne pouvons pas, ne serait-ce qu’une seconde, accorder notre confiance aux généraux. De plus, il faut que ces chefs militaires fassent l’objet d’enquêtes. Je veux en en savoir plus sur leur implication dans le secteur des affaires.

Toutes les classes en Égypte ont pris part au soulèvement. Place Tahrir, vous trouvez des fils et des filles de l’élite égyptienne, ensemble avec les ouvriers, les citoyens de la classe moyenne, et les pauvres des villes. Moubarak a réussi à s’aliéner toutes les classes sociales de la société, y compris le vaste secteur de la bourgeoisie. Mais n’oubliez pas que c’est seulement quand les grèves massives ont débuté, il y a trois jours, que le régime a commencé de s’effriter et que l’armée a dû forcer Moubarak à démissionner parce que le système était sur le point de s’effondrer.

Certains ont été surpris quand les travailleurs ont lancé leurs grèves. Je ne sais vraiment pas quoi leur dire. C’est complètement idiot. La vague des grèves les plus longues et les plus soutenues que les travailleurs ont organisées dans l’histoire de l’Égypte depuis 1946 a été déclenchée par la grève de Mahalla, et c’était en décembre 2006. Ce n’est pas la faute des travailleurs si vous ne faites pas attention à ce qui se passe chez eux. Chaque jour au cours des trois dernières années, il y a eu une grève dans telle ou telle usine, soit au Caire, soit en province. Ces grèves n’étaient pas juste économiques, elles étaient aussi de nature politique.

Depuis le premier jour du soulèvement, la classe ouvrière participe aux manifestations. Qui pensez-vous qu’ils étaient ces manifestants de Mahallah, Suez, et à Kafr el-Dawwar, par exemple ? Toutefois, ces travailleurs y prenaient part en tant que « manifestants » et pas nécessairement en tant que « travailleurs » - au sens où ils ne manifestaient pas de façon autonome. C’est le gouvernement, pas les manifestants, qui a conduit à l’arrêt de l’économie, par ses couvre-feux, par ses fermetures des banques et des entreprises. Le gouvernement a fait une grève capitaliste, cherchant à terroriser le peuple égyptien. Ce n’est que lorsque le gouvernement a tenté de ramener le pays à la « normale », dimanche, que les travailleurs sont retournés dans leurs usines, ils ont débattu de la situation présente et ils ont commencé à s’organiser en masse, en bougeant comme un bloc.

Les grèves engagées par les travailleurs cette semaine sont à la fois économiques et politiques, les deux ensembles. Dans certains endroits, les travailleurs ne mettent pas la chute du régime dans leurs exigences, mais ils scandent les mêmes slogans que ceux qui manifestent à Tahrir, et dans de nombreux cas - au moins ceux sur lesquels j’ai pu m’informer, et je suis sûr qu’il y en a d’autres -, les travailleurs mettent en avant une liste d’exigences politiques solidairement avec la révolution.

Ces travailleurs ne sont pas rentrés chez eux de sitôt. Ils sont stimulés par le renversement de Moubarak. Ils ont commencé les grèves parce qu’ils n’arrivent plus à nourrir leurs familles. Ils ne peuvent pas retourner vers leurs enfants et leur dire que l’armée a promis de leur donner de la nourriture et leurs droits dans je ne sais combien de mois. La plupart des grévistes ont déjà commencé à rajouter des exigences nouvelles et ils ont créé des syndicats libres, distincts des syndicats de la Fédération égyptienne, corrompus et soutenus par l’État.

Aujourd’hui, je commence déjà à recevoir des informations selon lesquelles des milliers de travailleurs des transports publics organisent des manifestations à el-Gabal el-Ahmar. Les travailleurs intérimaires d’Helwan Steel Mills manifestent aussi. Les techniciens des chemins de fer maintiennent toujours les trains à l’arrêt. Ils sont des milliers à la raffinerie de sucre d’el-Hawamdiya à manifester, et ceux de l’industrie pétrolière entament une grève demain, sur des exigences économiques, et aussi pour s’en prendre au ministre Sameh Fahmy et faire cesser les exportations de gaz en Israël. Et de nouvelles informations arrivent régulièrement d’autres centres industriels.

A ce stade, l’occupation de la Place Tahrir est susceptible d’être suspendue. Mais nous devons faire Tahrir dans nos entreprises maintenant. Alors que la révolution se poursuit, une polarisation de classe inévitable se profile. Nous devons être vigilants. Nous ne devons pas en rester là. Nous détenons les clés de la libération de la région tout entière, pas seulement de l’Égypte. Aller jusqu’à une révolution permanente qui donnera le pouvoir au peuple de ce pays par une démocratie directe venant du bas...

Hossam el-Hamalawy est égyptien, socialiste, journaliste et photographe.
Son blog : http://www.arabawy.org/
Le suivre sur http://twitter.com/3arabawy

Cet article fut d’abord publié sur son blog le 12 février 2011 sous licence Creative Commons.

Dissent and the Spread of Information in Egypt from Hossam on Vimeo.

12 février 2011 - MR Zine - traduction : JPP


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