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La Place Tahrir préfigure l’Egypte solidaire de demain

vendredi 11 février 2011 - 05h:18

Gregg Carlstrom - Al Jazeera

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Unis contre le président, les manifestants sur la place Tahrir ont réussi à combler les clivages politiques dans leur pays.

Il faudra peut-être encore des semaines avant que le monde apprenne que les manifestants pro-démocratie en Egypte ont réussi à déloger leur président. Mais qu’ils aient ou non atteint cet objectif, ils ont déjà réussi à proposer un nouveau modèle pour une Egypte plus engagée.

Les manifestants massés au Caire place Tahrir ont créé leur propre communauté autonome. Les approvisionnements alimentaires sont limités, mais les vendeurs distribuent le pain, le fromage, l’eau et d’autres biens essentiels.

Une pancarte à l’extérieur du restaurant Kentucky Fried Chicken fait de la publicité pour des services médicaux. Des médecins et infirmières en blouse blanche parcourent la place, offrant des soins aux milliers de personnes blessées dans les affrontements de la semaine dernière.

Un journal donne les dernières informations sur les conditions régnant sur la place et sur la politique à l’extérieur.

L’engagement civique n’est pas un phénomène nouveau en Egypte, bien sûr, et ce serait méprisant que de dire le contraire.

Les mosquées jouent un rôle clé en fournissant des services sociaux aux personnes rassemblées, et la communauté de l’Égypte copte et chrétienne - un grand pourcentage de la population - représente une force politique.

Les groupes d’opposition, comme le Ghad (Demain) et le Wafd (la délégation) ainsi que le parti interdit mais [plus ou moins] toléré des Frères musulmans, ont leurs propres moyens d’informer et d’organiser leurs partisans sur les questions importantes.

Mais tous ces moyens d’information viennent d’en haut et sont enracinés dans des identités spécifiques - préférence politique ou affiliation religieuse.

Ces identités concurrentes s’exposées seulement à l’occasion sur la place Tahrir, laquelle est peut-être la le symbole plus frappant de cette Egypte qui vient de connaître deux semaines de manifestations pro-démocratie.

La communauté présente sur la place n’est pas uniforme, bien que ses membres se réfèrent presque exclusivement au nationalisme égyptien (et parfois arabe).

Prendre la parole

Lundi soir, à la périphérie de la place, un jeune homme barbu nommé Ahmed a prononcé un discours enthousiaste qui était largement favorable aux Frères musulmans.

Il a appelé à la légalisation du groupe et a dit qu’il ferait campagne en faveur des réformes constitutionnelles, des élections libres et équitables, et de la primauté du droit.

Ahmed m’a dit après son discours qu’il était un membre de la Confrérie. Mais peu de gens qui l’écoutaient le savaient, pas plus qu’ils ne semblaient s’en inquiéter.

« Je ne suis pas un partisan de la Confrérie [des Frères musulmans] », a déclaré Ibrahim, un jeune homme copte qui écoutait la performance d’Ahmed, en grande partie déclamée en rimes de poésie arabe. « Il est juste un très bon orateur ! »

L’une des principales caractéristiques de l’opposition égyptienne - l’un de ses défauts, diraient beaucoup - a été sa fragmentation.

Des politiciens laïques, comme Ayman Nour, le chef du parti al-Ghad, ne font pas confiance aux Frères musulmans.

Les partis constituant l’opposition légale sont réticents à s’aligner sur les réformateurs de l’extérieur comme Mohamed ElBaradei, l’ancien chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique.

La vieille garde de la communauté copte a tendance à soutenir le gouvernement Moubarak, même si nombre de ses membres les plus jeunes accusent le gouvernement de fomenter la violence entre Musulmans et Chrétiens qui a secoué l’Egypte ces dernières années.

Les manifestants de la place Tahrir rejettent cette fragmentation.

Beaucoup refusent de s’aligner sur des partis précis ou des hommes politiques - si l’on demande qui devrait remplacer Moubarak, plusieurs manifestants ont simplement haussé les épaules - en choisissant plutôt d’appeler à un gouvernement d’union nationale.

« Nous devrions avoir un nouveau gouvernement, un gouvernement technique », a déclaré Negla, un médecin de la station du Sinaï de Sharm el-Cheikh qui s’est rendu au Caire pour participer aux manifestations.

« Nous devons choisir les meilleures personnes dans tous les partis. »

« Un pays libre »

Sans aucun soutien institutionnel, les manifestants ont été obligés de s’organiser, de fournir des services de base pour une communauté qui a souvent atteint des centaines de milliers personnes.

Les exemples les plus frappants sont les « forces de sécurité », les hommes qui contrôlent les pièces d’identité et les poches à l’entrée de la place.

Ailleurs en Egypte les services de sécurité sont presque universellement détestés pour leur corruption et leur brutalité. Ils sont en effet plus susceptibles de commettre des crimes que de les prévenir.

Sur la place, il n’y a aucun récit de vol ou de violence, et les jeunes hommes portant des badges écrits à la main avec la mention « sécurité » sont considérées comme dignes de confiance.

« C’est le seul endroit en Egypte où vous n’avez pas à craindre d’être torturé lorsque vous exposez votre opinion », a déclaré un militant nommé Saeed.

La nourriture et l’eau sont partagées librement parmi les manifestants, dont beaucoup aussi se serrent dans des tentes et se blottissent autour de feux de camp pour se réchauffer dans les nuits d’hiver du Caire.

Les groupes sont mixtes - jeunes et vieux, riches et pauvres, musulmans et coptes - dans une mesure que l’on ne voit pas souvent dans la capitale.

Certaines de ces scènes sont devenues emblématiques, comme l’image des Coptes formant un cercle de protection autour de musulmans faisant leurs prières.

Les manifestants de la place parlent souvent de retrouver leur dignité, de permettre à leurs enfants d’avoir une vie meilleure que la leur.

Dans un pays qui s’est souvent senti pris au piège dans la stagnation - économique et politique - ce nouvel optimisme est un changement palpable.

« Ils [le gouvernement] veulent que nous soyons des esclaves. Nous ne voulons pas être des esclaves », a déclaré Hisham, un architecte âgé de 30 ans qui campe sur la place Tahrir.

« Pourquoi les gens ont-ils peur ? Regardez autour de vous [à la place]. Nous sommes un peuple libre dans un pays libre. Nous voulons que ce soit l’Egypte. »

Le sens de la communauté

Le sens de la communauté au sein de la place Tahri, s’étend à la façon dont des manifestants s’occupent des journalistes étrangers.

De jeunes hommes conduisent les reporters à travers les contrôles de sécurité, et un « attaché de presse » répond aux questions et propose de l’aide en cas d’urgence.

Lorsque je me suis agenouillé pour prendre une photo avec mon appareil, lundi soir, trois hommes se sont approchés de moi en l’espace d’une minute.

« Anta B’khair ? |Vous sentez-vous bien ?] » demandèrent-ils.

C’est intéressé, bien sûr : les manifestants dépendent de la sympathie exprimée dans la couverture des évènements et ils ont peur de ce qui pourrait arriver si l’attention des médias sur la place disparaissait.

Mais leur inquiétude était néanmoins authentique, et c’est à comparer avec la façon dont le gouvernement traite les journalistes. Des dizaines d’entre eux ont été arrêtés par le renseignement militaire ou agressés par des partisans de Moubarak.

Il est difficile de dire comment l’engagement civique des manifestants est perçu en dehors de la place Tahrir.

Dans les conversations dans plusieurs quartiers résidentiels au cours de la semaine dernière, les Égyptiens font parfois des commentaires sur l’atmosphère qui règne sur la place centrale.

« Il n’y a pas de troubles sur la place entre les Chrétiens et les Musulmans », a déclaré un vieil homme nommé Omar, assis dans un café dans le quartier Agouza dans la capitale .

« C’est la façon dont il faut être dans toute l’Egypte. »

Les Egyptiens ont également fait des commentaires en ligne - sur Twitter, Facebook et les blogs - sur l’absence de harcèlement sexuel, un problème commun au reste du pays. Des milliers de femmes ont visité la place chaque jour, et il n’y avait aucune des sollicitations verbales qu’elles sont souvent obligées de subir en public.

Bon nombre des manifestants à l’intérieur Tahrir font valoir que le gouvernement Moubarak a tenté d’étouffer l’engagement civique, qu’il favorise l’apathie et la division afin de maintenir son pouvoir.

La communauté improvisée dans Tahrir offre pour beaucoup d’Egyptiens une vision convaincante de ce que la citoyenneté peut être - un chemin vers un pays plus égalitaire et plus engagé.

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« Moubarak nous a toujours donné deux choix, moi ou le chaos », a déclaré Negla, le médecin de Charm el-Cheikh.
« Peut-être que ceci est la troisième option. »

7 février 2011 - Al Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/news/m...
Traduction : Abd al-Rahim


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