16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Tunisie/Égypte : des comparaisons non fondées ?

samedi 29 janvier 2011 - 08h:28

Dina Ezzat
Al-Ahram/Weekly

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Ni le gouvernement égyptien ni l’opinion égyptienne ne semblent manifester de réactions exagérées aux évènements de Tunisie, selon Dina Ezzat.

JPEG - 52.2 ko
Manifestation le 25 janvier au Caire.




« Il n’y a pas la moindre similitude. Les manifestations devant l’ambassade d’Algérie étaient vraiment massives. Il était très difficile de passer au travers de la sécurité pour prendre des photos. Les manifestations devant l’ambassade de Tunisie furent très petites et il n’y eut aucun problème, vraiment aucun, pour prendre des photos, » dit un photographe de presse d’un quotidien indépendant.

Comparer les grosses manifestations de rue devant l’ambassade d’Algérie, dans le district de Zamalek au Caire, qui suivirent la défaite l’automne dernier de l’équipe nationale de foot égyptienne aux épreuves de qualification pour la Coupe du Monde, avec les petites et brèves manifestations de militants politiques devant l’ambassade de Tunisie, également à Zamalek, serait, selon un habitant de la région, « comme si on comparait la Somalie à l’Égypte ».

Mais qu’en est-il de comparer la Tunisie avec l’Égypte ?

Le ministre du Commerce, Rachid Mohamed Rachid, et le ministre des Affaires étrangères, Ahmed Abul-Gheit, n’ont pas mâché leurs mots pour nier tout parallèle entre les scènes politiques à Tunis et en Égypte.

« Les évènements de Tunis ne peuvent se reproduire en Égypte. L’Égypte a un mécanisme de 64 millions de cartes de rationnement pour amortir les hausses internationales des prix alimentaires. Et nous n’avons pas augmenté les prix des carburants depuis 2008, » expliquait le ministre du Commerce et de l’Industrie.

«  Chaque pays a son propre contexte. Ceux qui parlent de répétition des évènements tunisiens en Égypte disent n’importe quoi. Ils se livrent à des fantaisies sans fondement » déclarait de son côté le ministre des Affaires étrangères.

Tant Rachid qu’Abu-Gheit répondaient alors aux questions de journalistes à Sharm El-Sheikh, en marge du Sommet économique arabe organisé et présidé par l’Égypte.

Leurs remarques réagissaient aux comparaisons faites entre la Tunisie et l’Égypte et qui étaient devenues incontournables dans la presse indépendante et dans certains débats télévisés. Pourtant, même les critiques les plus virulents du régime concèdent que la Révolution du Jasmin est peu susceptible de se répéter en Égypte, soit en raison des « mécanismes de décompression », soit en raison de la faiblesse de la classe moyenne égyptienne et des syndicats comparés à leurs homologues tunisiens.

La réaction officielle de l’Égypte, publiée par le bureau de presse du ministère des Affaires étrangères vingt-quatre heures après le renversement du Président tunisien Zein Al-Abidine ben Ali, a évité de prendre position. Elle dit simplement « respecter les choix du peuple tunisien » et appelle tous les Tunisiens à respecter leurs intérêts nationaux.

La Présidence est restée à l’écart jusqu’à ce lundi (17 janvier), quand son porte-parole, Suleiman Awad, a fait une brève déclaration à l’agence d’informations officielle MENA (Middle East News Agency - Le Caire) pour réfuter un article diffusé et ensuite repris par la chaîne satellitaire Al-Jazeera, suggérant que le Président Hosni Moubarak avait ordonné des mesures préventives - tant militaires que socio-économiques - pour éviter une révolution en Égypte. L’histoire, dit Awad, « a été inventée de toutes pièces et est sans fondement ».

D’après le porte-parole présidentiel, Moubarak n’a programmé aucune réunion avec ses principaux généraux, comme Al-Jazeera le laisser entendre, et n’a pas davantage ordonné d’annuler l’augmentation des prix de certains produits de base, « car, en premier lieu, il n’y a aucun projet de cette sorte ».

Moubarak, ajoute Awad, dirige les affaires comme d’habitude, supervisant les préparatifs pour le sommet de Sharm El-Sheikh qui s’ouvre mercredi après-midi (19 janvier).

Ceci dit, les quotidiens officiels et les chaînes de la télévision d’État ont eu quelque mal à mettre l’accent sur l’ « engagement réaffirmé » du parti au pouvoir, le Parti national démocratique, et de son gouvernement, à « respecter les directives claires et fermes du Président Moubarak pour éviter que les pauvres ne subissent tout le poids des augmentations des prix ».

Le Premier ministre, Ahmed Nazif, le ministre de la Santé, Hatem El-Gabali, et le ministre de la Solidarité sociale, Ali Meselhi, ont publié concomitamment des déclarations annonçant des subventions accrues pour les zones rurales, des plans de préventions médicales élargis et le subventionnement de nouveaux programmes sociaux.

Pour un membre de la Commission politique du parti dominant, « placer ces déclarations dans le contexte d’un apaisement social dénature la réalité ».

« Les déclarations du Président Moubarak sur le soutien aux pauvres ne sont pas une nouveauté, » dit-il, parlant sous couvert d’anonymat. « Depuis le premier jour, Moubarak a démontré sa sensibilité à l’égard des défavorisés et cela reste constant, même alors qu’il lançait son programme de réformes économiques. »

« Les évènements récents en Tunisie peuvent avoir servi ceux qui (à l’intérieur du parti et du gouvernement) plaidaient pour reporter à l’an prochain le projet d’ajustement (des prix de certains produits de base) contre ceux qui défendaient un ajustement plus tôt ».

« Aucune décision définitive n’a été prise en la matière. Ce que nous savons, cependant, c’est que le Président fait passer un moment très difficile à son groupe économique à chaque fois que celui-ci suggère une hausse des prix ».

Un ancien conseiller du Président Moubarak affirme que cette version « est probablement exacte ».

« Au cours de mes années de travail avec le Président, j’ai noté un malaise systématique de sa part à propos de toute hausse des prix, même des cigarettes, un produit qui, en premier lieu, ne devrait pas être subventionné. De toute évidence, il finit par accepter certaines augmentations, mais je peux vous dire que s’il suivait les conseils de certains membres éminents du groupe économique, les choses prendraient une autre tournure ».

La Révolution du Jasmin peut avoir pris ses racines dans l’insatisfaction socio-économique, mais elle a pris finalement une dimension politique, les manifestants étant passé des exigences de meilleures conditions économiques à celle de la fin du long règne de Ben Ali.

Ces dernières années, l’Égypte a connu ses propres manifestations demandant des conditions économiques améliorées et/ou une réforme politique. Les manifestants, des vingtaines ou des centaines, mais jamais des milliers, demandaient la modification de la Constitution pour limiter le nombre de mandats présidentiels à deux, que Gamal Mubarak, le fils cadet du Président et la vedette politique du PND (parti national démocratique), soit exclu de toute élection présidentielle à venir, la création de plus d’emplois et l’extension des subventions. Beaucoup de ces manifestations ont eu lieu devant le Parlement, là où, dimanche, un Égyptien s’est immolé par le feu pour protester contre les difficultés économiques. Deux autres ont fait de même mardi, l’un devant le Parlement, et l’autre à Alexandrie, et sont décédés de leurs brûlures. Rien ne dit, toutefois, qu’ils recueilleront le soutien qui suivit l’immolation de Mohammed Bouazizi, dans la ville tunisienne de Sidi Bouzid.

Cela ne veut pas dire que l’opinion égyptienne n’est pas marquée par la Révolution du Jasmin. A en juger par les courriers adressés aux rédacteurs en chef, y compris à ceux qui ont publié les déclarations officielles, et par les interventions sur Facebook, les Égyptiens ont été massivement impressionnés par la révolution tunisienne. Pourtant, à observer la différence entre les manifestations de masse à propos du football en novembre dernier, et le modeste rassemblement de militants politiques devant l’ambassade tunisienne de vendredi dernier, on pourrait bien en conclure que la Révolution du Jasmin n’inspirera pas une Révolution des Roses.

Article écrit le 17 ou le 18 janvier par l’auteur, il peut sembler quelque peu décalé avec les derniers évènements (ndt). Voir notamment :

- Égypte : les manifestants défient le couvre-feu et Moubarak envoie l’armée - Al-Jazeera
- De la Tunisie à l’Égypte, un air de liberté - Alain Gresh - Le Monde diplomatique
- Égypte : nouvelle « journée de la colère » - Al-Jazeera

Du même auteur :

- Gaza : un nouveau cri d’alarme
- Gaza à nouveau sur le devant de la scène
- Karen Abu Zayd : « Malheureusement, l’UNRWA est toujours nécessaire »
- Gaza prise en otage
- Quand nous serons en janvier
- Dans l’attente d’un miracle ...
- Frontières et lignes de front

Al-Ahram/Weekly - Publication n° 1032 du 20 au 26 janvier 2011 - Photo : Reuters/Amr Abdallah Dalsh - traduction : JPP


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.